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L'AMOUR DES APPARENCES

Une histoire d'amour avec le nécessaire abandon des apparences. Accepter ce que l'on est, tolérer l'autre tel qu'il est. Oublier les ambitions amoureuses, faire avec le minimum vital. Supporter les empêchements sans s'aigrir...

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Texte original complet exclusif.
Tous droits réservés. Reproduction interdite

Dîner entre amies. Trois femmes propres sur elles auxquelles il faut ajouter un homme invité à la dernière minute par la maîtresse de maison. Maison d'un quartier pavillonnaire pour cadre moyen proche du supérieur. Sur les murs des affiches de films américains et russes pour une vision large du monde des parvenus au succès. Lise a tout commandé chez le traiteur du centre commercial. Suzanne a apporté du vin bien en cave et Caroline un tout nouveau livre sur le développement personnel. Une littérature commerçante qui se taloche en faites ci, faites pas ça et vous serez au firmament de la quintessence de votre sur-moi.

Quant au brun précipitamment enrôlé, tout à fait correct sur lui, sans cravate néanmoins mais en polo crocodile sans contrefaçon, il a pour rôle de tomber amoureux de Caroline, si possible entre la poire et le fromage. Il présente une façade neutre, une mine très intériorisée et un air pensif qui donne à son front large et ses grandes oreilles, un air d'intello mal embouché, mal fini ou pire encore sans doctorat, ni maîtrise de ses humeurs maussades. Un boudu ficelé par une prestance ténébreuse. 37 ans de ténèbres, ça vous fronce intensément le sourcil brun tourbe.

Caroline est une belle femme, belle sans pour autant estourbir les moineaux. 36 ans au compteur de vitesse. Son exploit de vie ? Avoir manqué sa mort de peu. Le soir de ses 33 ans au lieu de rentrer chez-elle après une fiesta carabinée, l'enivrée est entrée dans un platane sans détour, en ligne droite, toute seule au volant comme une grande célibataire qu’elle est. La voiture en leasing s'est vue raccourcie de 51,7 cm selon l'expert de l'assurance.

Les véritables amies de Caroline, fausses blondes maigres toujours présentes, s'investissent courageusement dans la mission désespérante de distraire Caroline qui depuis l’accident a changé de véhicule. Désormais, elle est toujours en fauteuil pour le restant de sa tristesse. Avant l’accident, elle était catégorisée parmi les femmes en escarpins qui ne se démontaient pas avec un démonte pneu. La déesse des nimbes rêvait des cieux constellés de compliments. Maintenant, même avec de la dentelle suggestive, les mécanos ne se précipitent pas à lui mettre la pression. Il serait injuste de dire que Caroline est en dépression malgré tout, simplement l’insolence, les grands éclats de rire ne sont plus de la noce, elle est sévère pour tout, pour rien, pour être dure, pour être insensible ou insensibiliser sa peur de souffrir à nouveau. Elle envisage d’enterrer sa vie de femme en s’asseyant dessus. Vu qu’elle est toujours assise, elle pense que l’étouffement sera impeccable bien plus efficace qu’une corde de pendu qui lui serait difficile d’accrocher en hauteur. Elle n’est pas dupe encore une fois, sa copine Lise dégote un mec par soirée, à six soirées par an ; six friands de gaudrioles qui trébuchent sur les roulettes de la jolie brune aux cheveux longs et raides. Des yeux marron avec une aussi stupéfiante bouche que son nez est immanquable. Une sorte de sauvageonne apache du Quercy, région natale de l'abîmée. Le trait sauvage, le comportement citadin ; un écart de vertige qui sent l'habillage et l'habileté de circonstance. Elle aimait avoir les cartes en mains et les distribuer à qui l'aidait à gravir ses ambitions. Depuis qu'elle est en miettes, elle supporte mal les tours de table. Caroline est agacée et s’adresse à cet homme qui depuis le début du repas n’exprime rien de palpitant mais qui la survole posément.
— Je vois que vous me regardez mais je ne parviens pas à cerner la teneur de votre insistance. Vous vous dites sans doute que si je n’étais pas handicapée je pourrais être attirante…
— Je vous regarde nager dans votre handicap, visiblement vous buvez la tasse.
Il vient d’ouvrir une chambre froide, va-t-il autopsier la demi-morte ? Lise trouve que le tact serait le bienvenu. Suzanne, bien qu'elle n'est rien écouté ou rien entendu, acquiesce autour de la nappe javanaise, le verre en poigne. Lui ne se démonte pas et ne se dégonfle pas :
— Je me posais la question de savoir si vous étiez idéalement valide, vous m’auriez envisagé ou m’auriez-vous ignoré me trouvant trop quelconque ? Debout sur vos deux jambes, vous pourriez toiser à volonté, choisir sans la moindre complaisance un très grand nombre de candidats à l’aventure et faire la difficile sans vous lasser le moins du monde. Ne me dites pas que par le passé cela ne vous électrisait pas cette ascendance féminine ou féminisée, je ne sais trop. Il fallait plaire à votre séduction. Aujourd’hui, votre réel handicap est de devoir composer.

Titillée, Caroline aurait pu faire l'aveu qu'elle n'avait pas même le choix de ne pas faire le choix... C'est long à dire, il faudrait argumenter, s'étaler, étoffer pour quel niveau d'audience  ? Caroline reconduit sa pinçure à son point d'origine, sous le cœur et reprend son attention. Marc s’attelle à la démonstration qu'il a envie de faire et besoin de faire.
— Vous ne choisissez plus, vous pensez ne plus être en mesure d’être choisie, pire peut-être, vous pensez ne plus être un choix. Maintenant vous me regardez, vous me détaillez, vous n’êtes pas loin de me soupeser. Tout à l’heure vous ne le faisiez pas, vous étiez toute à vous-même.
Une respiration, une reprise :
— Question m’auriez-vous sélectionné ?
— Je ne sais pas.
— Il y a trois ans avant votre premier verre d’alcool, vous auriez su sans hésiter.

Caroline n’est pas au beau fixe, elle est plus désarçonnée qu'elle veut bien le percevoir. L’aurait-elle choisi ? Elle n’est pas certaine, vraiment pas certaine. Cette incertitude lui amène un mauvais goût dans la salive.
Lui continue :
— Vous ne vous souvenez pas... Nous nous sommes déjà rencontrés juste avant votre accident. Vous portiez une robe azurée pour affirmer l'espace que vous pensiez occuper, vous célébriez votre réussite professionnelle, vous m’avez donné votre coupe de champagne prétextant que vous ne buviez pas avant de rejoindre le staff de votre entreprise et tout particulièrement et en priorité le monsieur de la gouvernance qui satisfaisait votre arrivisme et votre libido. Double avantage pour éclairer votre auréole. Ce jour là, j’avais gagné le trophée en verre blanc que j’ai déposé sur le plateau d’une serveuse mignonne à croquer. Nous avons bavardé en dehors de ses instants de servitude. Elle était encore étudiante et voulait devenir comme vous. Je me souviens très bien que votre appétit social la grisait. Je lui souhaitais de réussir dans la créativité de son art d’être elle-même mais je la conjurais de se dispenser de devenir un reptile prétentieux. Sa réaction fut mitigée, pas facile d’abandonner l’espoir d’un rayonnement suprême. Les êtres solaires se voient mal en astéroïdes indétectables. Nous avions gardé le contact et donc elle a appris votre escapade campagnarde. Depuis, nous sommes en très bons termes, elle pétille, elle s'engage avec mesure me semble-t-il. Je suis convaincu que vous lui avez sauvé la vie en vous encastrant superbement car à n’en pas douter, cette nuit-là vous étiez ivre de vos apparences, l’alcool est innocent, relâchez-le. N’essayez pas de broncher. Cela me revient aussi : quand j’ai su votre état de santé et ai eu la confirmation que vous ne remarcheriez plus jamais, j’étais devant mon réfrigérateur. J’ai coupé la conversation téléphonique avec votre amie Suzanne ici présente et je me suis enfilé trois jus d’orange d’affilé, cul-sec. J’ai ajouté quelques pensées : finis les avancements prodigieux et les excès de vitesse dans l'organigramme. Votre raccourcissement fut ni une bonne, ni une mauvaise nouvelle dans le fond. Je ne peux pas dire que je n’ai pas déploré votre souffrance physique et je me suis soulagé en sachant que les médecins devaient vous gaver d’antidouleurs suffisamment puissants pour que vous vous sentiez absolument cotonneuse.

Si Caroline a trouvé l'intrusion dans son malheur très agréable, le demi-inconnu commence désormais à râper l'émotivité. Ce n'est pas tant le style lourd-dingue d'un agressif compulsif qui dérange mais la façon de retranscrire le scénario des causes de l'accident qui est difficile à encaisser. L'histoire est mal racontée et les conclusions ressemblent à des virages en épingle. L'ancienne directrice du marketing passe un doigt sur sa joue creuse pour conjurer une démangeaison nerveuse. Venir en elle en bataillant avec des mots inexacts, Caroline gagne en colère. Elle se tait et se noue pendant que le sermonneur fait son spectacle. On dirait un juge qui égraine la longue liste des accusations indéfendables à l'encontre d'une assurée-coupable.

— Par contre votre souffrance psychologique, je lui ai trouvé une forme d’indécence perverse. Il n’y a pas un fait déplorable qui ne soit pas de votre responsabilité. Vous avez additionné tous les agissements pour parvenir à vous mettre dans le fossé. J’ai fait mon enquête auprès de votre entourage. La conclusion générale est qu’une pauvre malheureuse qui se fait emboutir en tant que passagère suscite la compassion, une déterminée qui dérape, c’est dommage pour la carrosserie de votre croupion mais vous ne suscitez pas un débordement émotionnel collectif, pas le moindre gémissement notable. Certains messieurs ont plus ou moins élégamment déploré le gaspillage de votre matière première ; votre postérieur connut un franc succès du temps de sa splendeur.

Retournement de sensation, curieusement, la violence du propos est parfaitement digeste pour Caroline. Elle a avalé l'argumentaire. La « foule » des compatissants, ceux dont les sourires compassés lacèrent l'envie de partager les envies de vivre les plus simples, les sourires des benêts de circonstance sont autant de rappels à l'infirmité que de rappels à la distance qu'il y a entre un valide et un invalide. La foule ne s'empêche pas de compatir à outrance sans se demander si compatir n'est pas le promontoire d'une indifférence extorquée à l'hypocrisie.
Il poursuit un peu surpris d'un bref apaisement lu sur le visage de Caroline. Il pense d'abord à lui, un lui qui le fait parler à la manière des mitrailleuses enragées dans les combats désespérés.
— Revenons à votre intérêt à mon endroit. Visiblement, je n’aurais pas eu beaucoup de visibilité. Les rangs des prétendants étant clairsemés, vous me voyez un peu… Je peux donc dire que votre handicap me permet d’être vu chose qui ne se serait pas produite il y a 36 mois. Ceci dit, si vous deviez me laisser vous approcher dans l’esprit du proverbe, faute de grives je picore un merle moyen je n’apprécierais évidemment pas. J’ai effectivement tout de moyen. Moyen dans les apparences et moyen dans les usages. Socialement ce n’est guère plus affriolant, je me classe au beau milieu des ratés sans ambition ce qui a pour avantage de détecter l’ampleur des mépris des uns et des autres. Ainsi que vous me trouviez banal ne me peine aucunement, bien au contraire, je trouve dans la banalité du réconfort. Les illustres sont aussi lassants que les frustres parce que chacun d’eux se lamente à propos de ce qui les oppose, l’apparence. Ce qui me déplairait, c’est que vous anticipiez en la moindre seconde inattentive que mes goûts en féminité soient moyens et que donc je pourrais me satisfaire de ce que vous me présentez là, une silhouette de dérive proche de la mendicité amoureuse. D’une part, je ne vous aurais pas abordée du temps de votre splendeur, par timidité certainement, par rejet de votre rejet sans doute. Les infortunés glanent toujours de la condescendance à défaut de se nourrir du respect qui leur est dû. Je n’ai aucune pitié à vous proposer. Conduire en état d’ivresse est une indécence criminelle. Vous le payez cher ! Vous avez rejoint le camp des translucides en vous accrochant à votre arbre. Vous êtes ce que vous ne vouliez pas être : invisible parmi les invisibles. Pourtant, vous êtes toujours vous... Debout ou assise, vous n'échappez pas à votre résonance, au bruit de votre souffle. Quand je pars en vacances dans une maison familiale à Morgat, je fais un petit détour par la départementale qui vous concerne tant. Je m’arrête à l’entrée du champ qui précède le rang d’arbres. Je pense que vous avez rencontré votre vie de plein fouet.  Depuis vous êtes dépourvue d'apparence. Impossible de faire comme si de rien était, impossible de vous combler du passé, impossible de fronder l'avenir.

Le silence soudain alourdit le désarroi de Caroline. Elle coule à pic.

Suzanne est aux toilettes, elle n'est de toutes les façons jamais là, elle est en fusion avec un ailleurs bien à elle. Lise ne sait pas trouver les mots. Ce devait être une soirée ludique, évocatrice de légèreté somnifère. Suzanne reparaît la mine soulagée, elle va pouvoir reprendre une énième gorgée pour remplir une vessie vidée. Elle offre la tournée et se soigne à ras bord.

Marc boit ses effets et salive à nouveau.
— Il est plus facile de rentrer dans un platane que de se heurter à ce que nous devrions nous défaire. Vous paraissez bien sonnée. Dites-nous ce qui est le plus douloureux ou le plus grave, est-ce votre colonne vertébrale amochée ou d'être une femme réduite à la charité sentimentale après avoir été une femme prompte au dédain. Ces postures sont des allures de survie d'une personnalité en mal de vivre, qu'en dites-vous ?

Il exige une confession, elle bifurque :
— J’ai besoin de votre aide. Carole concède tout sans exception mais préfère voir cela en une opportunité stupéfiante. Elle se convainc sans effort que tant d'intrusion dans son intime prouve un intérêt indiscutable de la part d'un homme qui se tend vers elle. De quelle nature, cet intérêt fouineur ? Elle aimerait que ce soit ce qu'elle espère tout à coup... Il reprend la charge, elle s'enorgueillit. Une telle visite au débotté, une telle dérouillée intérieure, elle n'en avait jamais connu auparavant, ce n'est pas désagréable, c'est rugueux, cela saisit les émotions dans les recoins, mais ce n'est décidément pas déplaisant... Au contraire tout compte fait et dans une vie vide, les comptes sont vite faits. Elle n'est pas la seule à flotter dans l'instant, il pavoise.
— Je ne suis ni un tuteur, ni une canne. J’ai ma vie à remplir. Je dois me trouver une femme qui me supporte, que je paie mes impôts et que je règle mes problèmes avec ma mère. Par contre, je veux bien de votre aide. Tenez je vous confie mon téléphone. Vous voudrez bien gérer ma vie privée, j’ai actuellement une liaison avec une femme mariée particulièrement diplômée en vie trompeuse jusqu'à se tromper de destinée avec moi et je vois de temps en temps une correspondante de presse avec qui je passe du bon temps. J’ai quelques amis bien que je ne sois pas un très bon ami. L’amitié m’ennuie sauf celle de la jeune-femme dont je vous ai parlé tout à l’heure. J’apprécie de suivre son parcours et ses confidences, une lumière indéfinissable ne la quitte jamais et ses ombres sont anecdotiques, juste suffisantes pour lui donner une profondeur d'âme disponible au bien-vivre. Sinon ma mère avec qui vous aurez des conversations que je vous souhaite passionnantes, moi j’ai du mal à comprendre ce qu’elle ne me dit pas. Elle n'est que pénombre à midi et opacité à minuit. Il paraît qu'au fond des océans dans les abysses, des animaux sans couleur vivent paisiblement loin de toute humanité, c'est sans doute ce qui les protègent. Ma sœur aussi, je ne sais pas quoi en faire. Reste les appels professionnels ou autres. Vous voudrez bien expliquer à l’entreprise de plomberie que je tente d'apprivoiser qu’un joint en carton à 60€ pièce, cela est dispendieux pour un prolétaire. Enfin je vous laisse l’outil, je n’en ai pas besoin, je déteste être sonné et le temps qu’on n’y perd me submerge d’aigreurs. Voici les clés de mon studio. Il a un avantage pour les handicapés, les toilettes sont aux normes. Quand j’y suis, j'ai l’impression d’être dans un hall de gare devant un public nombreux. Je voudrais que vous visitiez les lieux sans me prévenir. Vous débarquez, vous fouillez les tiroirs et déplacez les objets à votre convenance. Vous jetez tout ce qui vous passe par la tête, enfin bon, vous disposez. Par contre, la maison familiale en Bretagne est en hauteur avec des escaliers infernaux, vous verrez la commodité y est absente même pour les agiles. Les toilettes dans lesquelles se torcher sans se peler les coudes sur le crépis est impossible, les murs sont roses papier toilette 1983, date à laquelle mon père à passer le pinceau sur sa maîtresse et sur les murs en même temps, un séjour bricolage en bord de mer. Maman vous racontera certainement le Vaudeville. Une fois que vous saurez où vous avez mis les roulettes, vous ferez en sorte d’exister et vous déciderez du devenir de notre éventuelle relation. Je vous donne 100 jours pour régner sur moi, en cas de faiblesse, je vous renverserai et vous remplacerai par une correspondante de presse qui m’intéresse au plus haut point. Elle est sportive, a de longues jambes, un esprit sain, elle me fait de l’effet. Je ne lui ai pas encore dit que je l’aimais et suis prêt à le lui crier avec sincérité. Vous l’aurez au téléphone elle-aussi, vous ne pourrez vous soustraire à son charisme. Elle est votre nouveau platane. A vous de vous dépatouiller avec tout cela. Je ne vous pardonnerai aucun dégât, elle s’appelle Myriam et vous devrez l’épargner de vous tout en prenant la place que vous voudrez bien prendre. Exister sans bousculer quoique ce soit. Après ce que je viens de vous dire, vous allez décanter et formuler quelques circonstances atténuantes, vous vous lamenterez ainsi : “Comment ai-je pu être comme cela ?”. Evitez de prétendre que je n’ai pas le droit de vous juger. Je ne juge pas ce que je ne connais pas et relève simplement vos conduites passées, rien que des faits établis. N’oubliez pas que j'ai enquêté sur vous et question inconduite vous avez un talent inépuisable. L’une de vos premières sorties de route est d’avoir séduit le petit ami de votre prétendue meilleure amie de l’époque. Vos amies ici présentes l’ignorent, je suppose. Des amies ajustées ne savent jamais tout. Vous aviez 13 ans et le jour de votre anniversaire, vous avez perdu votre virginité contre un arbre. Je n’ai pas pu savoir s’il s’agissait d’un platane, vraisemblablement pas car vous étiez dans les bois. Corentin, le prénom du garçon, s’en souvient encore. C’était sa première fois à lui aussi, il m’a avoué qu’il avait toujours regretté de ne pas avoir réservé sa première fois à Hélène, cette chère meilleure amie d'alors qui a divorcé deux fois depuis. Je l’ai rencontrée, je puis vous affirmer qu’elle en gros sur le cœur comme si c’était hier.

Caroline porte le revers de sa main sur les lèvres pour s’empêcher d’hurler. Marc devient théâtral.
— Je n’ai pas envie d’assister au naufrage, vous épargner par la moindre affection serait me fourvoyer. Je m’en vais. Si vous pensez que j’ai été trop odieux à votre égard, renvoyez-moi mon téléphone et mes clés. Vos amies ont mes coordonnées.
— Restez, prenez mon téléphone. Je vous trouve injuste, insultant sous vos airs de faux français moyen vous êtes sentencieux, colérique. Vous aimez disserter et vous gaver de cruauté. Du peu que je sais de vous, vous avez l’air bien handicapé. J’ai néanmoins besoin de vous et je vais vous utiliser pour m’être utile et vous être utile à l'occasion. Si j’ai été ignoble dans ma vie et de toute évidence je l’ai été...
Caroline provoque une pause avant de contre-attaquer, elle réalise que son inquisiteur a abrégé son propos, elle raisonne à voix portante.
— Savez-vous des choses plus affligeantes à mon propos ? Oui, bien sûr… Et vous m’avez épargnée, grand dieu, vous crevez d’amour pour moi et ce platane a forgé votre hargne. Bien sûr que vous aimez cette journaliste mais pas comme moi. Moi qui vous ait cogné durement le premier jour du premier amour que vous avez vécu de toute votre petite vie de maigrelet. Je suis en vous même coupée en deux, vous en voulez encore de cette garce qui vous débecte tant. Je vous écœure parce que vous vous écœurerez d’aimer à la folie tout ce qui vous rejetez. Vous êtes un frustré qui se consume sur place à pleurnicher sur les écorces de platane. Vous puez l’orgueil démentiel en vous déguisant en ange rédempteur. Vous bouillez devant moi, ce n’ai pas une gifle que vous vous voudriez me donnez mais un sérieux coup de reins. Aussi violent qu'un accident de voiture tant qu'à faire. Vous profitez de mon handicap pour m’aborder. Moi debout, vous auriez minaudé en quêtant mon sourire. Vous êtes un minable c’est pour cela que l’on ne vous voit pas. Ce ne sont pas des roulettes qui remplacent vos jambes, vous vous frottez sur le sol en poussant des invectives pour que l’on vous entende souffrir, vous mendiez votre reconnaissance. Mais vous avez raison à défaut de grive, je vais m’intéresser à vous. Les pauvres ont leurs pauvres ; les handicapés ont leurs handicapés. Je considère que je n’ai pas le choix et que ce serait de l’amour-propre bien mal employé que de négliger vos sentiments. Vous n'êtes pas mal physiquement, vous ferez très bien l’affaire pour ce que j’ai à faire de vous. Vous pensiez que j’allais devenir une première communiante, je suis une mégère qui ne demande qu'à être apprivoisée. Je vais me faire un mec, vous en l'occurrence, cela remplira mes jours transparents. Ma psy que vous aurez certainement au téléphone, m’a suggéré de me confronter à la vie, de vivre des situations pour me remettre en selle. Jusqu'ici je trouvais son conseil tellement insipide que je n'ai rien fait pour le suivre par manque d'évidence, de perspective. Maintenant, je crois qu’elle a raison, je vais me confronter à vous et vous verrez que vous piquerez du nez. Il va de soit que si vous quittez cette pièce sans mon autorisation, non seulement vous donnerez la preuve que vous êtes un pleutre mais aussi un homme sans parole prêt à disparaître après une brève apparition, comme n’importe quel homme en définitive. J’aurais l’occasion d’en discuter avec votre maman, et vos maîtresses. Vous connaissez les femmes ? Pas sûr ! Nous papotons, nous évaluons, nous échangeons des trucs, des machins à propos des hommes et curieusement nous tombons toujours d’accord : la seule érection qui tienne c’est celle de l'orgueil masculin.
Caroline est fière d'elle, elle a fait sa rogne proprement, intimidante mais pas trop, courageuse sans plus... Néanmoins, le mot courage reparaît dans son dictionnaire de vie comme par enchantement. Le délice du moment baisse le ton.
— Lise, je te félicite pour ton choix, tu m’as rabattu un superbe tocard. C’est tout à fait ce qu’il me fallait. J’ai en effet davantage besoin de partir de plus bas encore que je ne suis et monsieur, dans son fond de cuve, me procure déjà beaucoup de plaisir. Sincèrement, je ne pensais pas retrouver une telle sensation de soulagement. J’ai un homme coincé devant moi et moi je suis coincée dans mon fauteuil, désir au centre, la partie va être amoureuse. Je n’ai pas les moyens psychologiques de résister à une telle déclaration d’amour. J’ai besoin de retrouver ma ligne de flottaison et vous monsieur le faux insignifiant, je vais vous déshabiller à mon rythme et selon la longueur de mes bras. Derrière votre attitude ridicule, le fait que vos sentiments ne se soient pas brisés contre mon platane prouve que vous m’aimez et cela quoiqu’il advienne, je vous en suis reconnaissante peut-être devrais-je aussi remercier la trajectoire de ma vie. Mes amies, je vous présente mon homme. Je suis heureuse de ne plus être seule dans mes apparences. Tant de débats intérieurs sans jamais m'ébattre. J’ai beaucoup à faire pour atteindre ma plénitude et celle d'un homme présent auprès de ce qui reste de moi, peut-être le meilleur des hommes qui sait ? Monsieur mon homme, vous voilà à la fête ce soir, buvez un peu de champagne, je me mets désormais au jus d’orange. J’aimerais vous voir pompette, dessoudé. A ma différence, vous ne serez pas seul pour être reconduit chez vous. J’ai voulu ce soir là tuer ma solitude, elle a survécu, la teigne. Elle me colle au train depuis que je suis enfant. J’ai tout fait et mal fait pour m’en débarrasser, personne n’a voulu d’elle. Elle ne pensait qu’à moi, me courtisait même dans le lit de mes amants. Elle a refusé le divorce à l’amiable, je lui avais promis ce soir là de lui rendre visite un week-end sur deux, elle n’a pas cédé d’un pouce alors j’ai appuyé sur l’accélérateur, c’était elle ou moi, toutes deux avons survécu, elle beaucoup plus narquoise qu'auparavant. Pourquoi les gens glissent-ils sur moi et ne s’accrochent-ils pas ? Je suis un imperméable. Etanche, je suis étanche jusqu’à, il est vrai, votre douche écossaise.
Caroline cale en côte.
— Ce n’est pas le moment Caro, dis-lui tout.

Lise pousse, supplie avec son regard avec sa main posée sur le poignet de Caroline.
— Dis-lui sinon ça vous perdra.
Caroline reprend en urgence.
— C’est à cause de vous que je me suis jetée contre cet arbre. A cause de vous, du moins à cause de votre conversation avec cette jeune-fille qui faisait le service. Elle est ma nièce. Elle m’a rapporté votre opinion mais aussi la voie que vous lui préconisiez au cours de la réception. Vous avez été la goutte qui a fait déborder mon tourment. La coupe était pleine, la souffrance indolore était rase. Quand je me suis réveillée à l'hôpital et qu’on m’a annoncé ma paraplégie, je me suis promise de vous tuer en vous écrasant les jambes. Ma nièce n’en a rien su, par contre pendant ces trois dernières années, j’ai eu la liste de toutes vos qualités humaines, deux fois par semaine au téléphone. Votre soutien indéfectible pour ses études, vos conseils de grand frère, vos soirées pyjama à la consoler quand elle se séparait d’un garçon. Vous êtes l’homme idéal que je dois impérativement fréquenter. Trois années à vous maudire. Puis ma haine m’a quittée surtout quand j’ai su que vous vous intéressiez à moi, mes antécédents affectifs. Pour aller fouiner comme cela dans le passé d’une demi portion il vous fallait être bien accroc, à moins que ce soit le désir d’avant qui vous reste collé à la peau. Va savoir. Pas sûr que je veuille le savoir. Lise et ma nièce m’ont quasiment forcée à vous rencontrer. Pas seul à seul, je n’en aurais pas eu la force. Votre regard interrogateur sur moi, ce soir a déclenché la passe d’armes.
Elle regarde cet homme, elle aime se voir en lui.
— Exister sans bousculer quoi que ce soit dites-vous, vous m’avez projetée contre mon déséquilibre. La sagesse est faite pour les sages, s’ils existent. Vous faites des dégâts vous aussi et vos dégâts involontaires sont aussi sulfureux que mes addictions au mal de vivre. Avant la nuit de mon accident, je n’avais jamais bu autant y compris dans les soirées les plus déglinguées. A ce moment là, à me savoir si peu comprise cela m’a complètement anéantie. Ce besoin d’être vue au plus fort de l'amour, d’où cela me vient-il ? Je n’en sais rien, j’ai des parents adorables. Je n’ai subi aucune violence, je n'ai aucune situation dégradante à déplorer, du moins je ne m’en souviens pas, alors, pourquoi suis-je un puits qui ne capte aucun sentiment ? Quand vous avez évoqué la peinture des toilettes que votre père a repeintes, je me suis souvenu de mon père et de sa porte en chêne récupérée dans une brocante. Il avait eu beaucoup de mal à la décaper. Les vieilles peintures ne partaient pas. Le travail fait, il a posé au sol cette antiquité pour la repeindre. J’ai renversé des peintures à l’eau et à l’essence qu’il avait dans son atelier. Des restes de peinture très épais, incompatibles, qui ont fait une sorte de pâte gluante. Ma mère a vu mon œuvre la première, elle n’a su dire que “ho la la” ; mon père est arrivé, il a ajouté “nous avons une artiste à la maison”, tout le monde a bien ri. Cela a été le plus beau jour de ma vie. Voyez, je ne peux me plaindre de rien. A ce fameux gala de consécration, je courais derrière mon boss parce qu’il m’avait promis le grand amour en trois D. Si vous m’aviez ne serait-ce que dit la moitié des mots doux et encourageant que vous avez égrenés à ma nièce, j’aurais vécu une lueur qui m’aurait permis de passer le cap de mon sentiment d’abandon. Je me serais interrogée, qui s’intéresse à moi, ce n’est pas Zeus mais qu'il est agréable de porter sur soi un joli regard plutôt que son apparence. Vous avez joué au jeu de massacre comme tout à l'heure. La conclusion est navrante : je sais que de ne pas être auprès de moi vous a privé de ce qui vous était important. J’ai urgemment besoin de vous. Je ne m’en sortirai pas seule alors pas de test, de délai, je vous prie. Pas de défi… Je suis KO, à votre tête vous n’êtes guère mieux.

Lise ajoute souriante :
— Tu oublies quelques détails.
— Je suis lessivée, raconte ce que tu veux.
— Bon voilà Marc, vous êtes tombé dans un traquenard de filles. Nous connaissions l'étendue de votre enquête que vous avez raconté à la nièce de Caro. Nous en avons profité pour faire une contre-enquête. Votre mère est au courant de tout. Nous avons contacté Myriam, la journaliste, en lui expliquant la situation affective, elle est prête à se retirer si vous lui en faites la demande. Nous avons contacté votre maîtresse de courtoisie pour lui dire que vous pensiez à quelqu’un d’autre, elle nous a répondu qu’elle s’en doutait. Ce n’est donc pas à Caroline de vous choisir mais à vous de choisir Caroline, en l’état si je peux me permettre... J'ai le chic pour gaffer.
Marc reprend. Il régurgite son étonnement aisément et se satisfait de son ridicule :
— Vous êtes impressionnantes mesdames. Sophie est votre nièce, il n’a eu de cesse de vous évoquer toutes ces années. Je comprends mieux son obstination à ce que je m’approche de vous. Vous choisir, s’il s’agit d’un choix et j’en doute, il y a longtemps qu’il est fait je dois cependant préciser une chose. J’ai rêvé d’être contre vous, tout contre, votre handicap dans l’intimité ne m’inquiète pas outre mesure, vous m’apprendrez à vous toucher comme vous le ressentirez. Je suis confiant à ce propos, ce qui m’inquiète sincèrement ce sont mes chères promenades au bord de la mer. Les chemins dans les dunes qui sinuent à l’infini. J’ai toujours vécu en promeneur éloigné. Ces décors ne vous seront approchables que de loin. Il n’y a aucun aménagement pour les personnes à mobilité réduite. Je ne saurais vous porter sur mon dos et je ne supporte pas l’idée que vous ne soyez pas là avec moi. Vous pourriez me dire que des navigateurs partent durant des mois en mer et de nouveau à terre, ils reviennent au foyer retrouver leur épouse. Oui, bien sûr mais moi sans vous je ne me promène plus, je suis en errance et au vu de mon état psychique durant ces trois dernières années, je sais que je ne supporterais pas de vous dire : “je pars me balader, je reviens tout à l’heure” sans que ce ne soit un plus grand empêchement que celui qui m’a empêché de vous effleurer toutes ces années. Je n’ai pas envie de jouer les amoureux transis jusqu’à vous promettre que je bitumerai la côte bretonne pour que vous puissiez rouler auprès de moi.
Caroline se dit “c’est à ce point là qu’il m’aime”, elle a un peu peur, tremble comme une élue ayant aperçu une lueur divine et conclut :
— Notre premier problème de couple.
Un rire qui colle à la vie, un soupir qui expulse le passé et attire l'avenir. Caroline fait une bascule entre défaite et espoir, le choc est violent, d'une violence tellement bénéfique que le bonheur survient et l'envie de le cultiver aussi.

Caroline saisit le téléphone de Marc, liste les contacts et entre en communication avec Mathilde.
— Allo, Mathilde c’est Caroline, bonsoir… Non, non, ne vous inquiétez pas, votre fils est devant moi. Je vous avais promis de vous donner de nos nouvelles. A peine parvenons-nous à trouver un accord pour être ensemble, nous sommes confrontés à notre premier problème de couple. Vous voulez que je branche le haut parleur mais il y a quelques amies dans la pièce… Bon comme vous voudrez, voilà, on vous entend.
— Marc, c’est maman…
— Oui…
Le fiston est mal mis comme une chaussette qui boudine dans une chaussure trop petite.
— Ecoute-moi, ton père et moi n’avons jamais eu de problèmes de couple, nous nous sommes épousés amoureux. Nous avons poursuivi avec toutes les phases du couple, la naissance de ta sœur aînée tout d'abord et ainsi de suite. Nous étions tellement le couple idéal que ton père a commencé à s’ennuyer sans que je ne m’en aperçoive à l’époque où tu es né. Moi j’étais dans les couches culottes et lui dans la couche de d’autres femmes. Durant ton enfance, ça été la période la plus difficile pour moi, je voyais ton père les jours fériés, pour le reste je suis devenue une femme esseulée. Tu as du sentir que j’étais moins maternelle ; tu sais, une femme heureuse est plus facilement une mère heureuse. Je ne l’étais pas. J’ai souqué des années et des années jusqu’à ne plus en vouloir à ton père. De quel droit pouvais-je lui reprocher d’être un ménage sans problème. Quand, il est tombé malade, j’ai fait le strict minimum de l’infirmière conjugale, j’ai compris alors qu’à la place de la froideur, j’avais de la rancœur. Je suis persuadée que les couples sans problème ont un grand problème d’apathie car il suffit de gratter un peu pour découvrir que rien ne va jamais dans un couple et que seule la bagarre pour la survie est le moteur de la durée. Le désir s’épuise vite quand il n’a aucune tension, aucune rébellion. Quel est votre problème dis-moi ?

Marc avait imaginé, toute son enfance, une multitude de combinaisons qui expliquerait la manque d'amour de sa mère à son égard. Il n'avait jamais envisagé que sa mère était une femme, et encore moins une femme en détresse. Il avait macéré dans la sienne et si préoccupé par lui-même, il n'avait jamais constaté qu'au delà de l'apparence du couple heureux que semblait être ses parents, tout n'était que désillusions. Il n'avait rien compris, il n'avait pas vraiment cherché à comprendre, il s'était complu à souffrir aveuglément. C'était plus facile de s'occuper de sa douleur que de faire tomber l'apparence du bonheur de sa mère. Il n'était pas allé vers elle, il s'était satisfait de voir ce qu'on lui montrait. Une linéarité silencieuse, si calme, si veloutée comme un bien-être infini dans lequel il n'avait pas sa place. Marc devine l'étendue de sa passivité, il attendait l'amour maternel avant de s'exercer à aimer... Face à Caroline, qu'il fixe, il se dit que depuis qu'il la connaissait, jusqu'à aujourd'hui, il s'était contenté d'attendre qu'elle l'aime. Le ton employé dans sa déclaration colérique était une véhémence contre les femmes qui apparemment ne l'aimaient pas. Marc sombre.

Caroline reprend la conversation avec jubilation. Elle est enfin heureuse, elle le sent couler dans ses veines.
— Marc est un peu sous le choc ce soir. Je vais vous répondre. Votre fils s’inquiète de ne pas pouvoir se balader en bord de mer, dans les dunes avec moi. C’est vrai qu’un fauteuil roulant dans le sable ce n’est pas possible…
Mathilde en mère impériale, de celle qui entoure le vaste monde de sa tendresse déterminée conseille à plein poumons :
— Vous passerez par la mer, en canoë, vous mettrez une semaine au lieu d’un quart d’heure pour parcourir cent mètres, ce temps-là ne sera pas perdu. Tu sais mon fils, tes promenades matinales, tes couchers de soleil, ton admiration pour les panicauts des dunes ce n’est rien d’autre que ta solitude que tu contemples et avec laquelle tu t’es marié. Fais-livrer trois mètres cube de sable dans le jardin, fais-y pousser des panicauts et surtout fais l’amour à la femme que tu aimes, n’importe comment, fais le sinon ta vie ressemblera à la mienne, des balades en bord de mer en attendant qu’une lame de fond termine la comédie d'une existence pour rien. Quand Caroline m’a raconté son histoire, j’ai tout de suite pensé à moi, comme à chaque fois que l’histoire des autres nous intéresse parce qu’elle est celle que l’on a en soi. Elle a de la rage à partager, je l’admire pour ça, moi je me suis laissée embarquer vers un océan d'isolement, j’ai souffert mais je n’ai eu aucune volonté. Rien, même pas celle de prendre des somnifères. J’avais mes enfants, j’avais toi dans l'errance, et l’inquiétude d’une mère pour ton avenir sans pouvoir te venir en aide. Je t’aime mais je n’avais pas la tête à te le faire ressentir, je te demande pardon pour cette négligence coupable, je vois combien je t’ai fait du mal…
— Mathilde, je crois que là, Marc est défait. Il vous appellera dès demain. Merci Mathilde. De tout cœur merci…
— Dites-moi ma fille, je connais votre voix mais pas votre visage. Vous pourriez m’envoyer une photo de vous.
— Je vous envoie la trombine.
— C’est vous !?
— Oui, pourquoi ?
— Marc parle.... Je vous embrasse tous les deux. Vous viendrez me voir en Bretagne, il ne pleut pas autant qu’on le dit.
— Mathilde, quoiqu’il advienne de notre histoire, je vous promets de venir vers vous prochainement, très prochainement.
— Tout va bien alors. A bientôt mes enfants.
— A très bientôt Mathilde, encore merci.

Communication achevée. Marc est momifié.

— Que devez-vous me dire Marc ?
Il est en difficulté. Cette fois il est dans l'intime là où tout est grâce ou agression.
— Il y a quatre ans, j’ai fait une photo de vous. Je l’ai conservée dans mon téléphone et ma mère m’a surpris à vous parler d’amour.
— Quatre ans, un an avant le cocktail… Tout ce temps pour venir jusqu’à moi.
— J’ai un sérieux handicap, je vous aime. Tout m’empêchait de vous le dire, j’ai eu peur de ne pas vous comprendre comme je n’ai pas compris ma mère. Me sentir aussi proche d’elle et me voir aussi loin d’elle. J’ai eu peur de cette distance élastique, mon comportement a affecté ma mère, j’étais convaincu que j’allais vous porter préjudice avec ma façon d’aimer qui abîme tout sur son passage. J’ai contribué à votre accident.

Il a violenté sa discrétion, son indiscrétion le déboussole. Elle est en délice et boit au calice. Elle tutoie l'enchantement.
— Appelle ça par son nom, une tentative de suicide. Marc, arrêtons de souffrir. On s’aimera avec les moyens du bord et advienne que pourra et vive les panicauts. On fait comme tu as dit. Maintenant, j'ai très envie de te séduire, de te plaire. 100 jours pour te rendre complètement siphonné de mon corps. Moi, je vais me battre comme une enragée que je suis pour que tu sois heureux en moi. Il n’y a que toi qui puisse me remplir et crois-moi sur parole, tu as du boulot, je suis en manque de tout. Tu appelleras Mathilde demain, il serait bon que tu la voies avant de me faire l’amour.
Caroline est guérie et veut son affirmation, veut sa part du gâteau.

Machinalement, Caroline reprend le téléphone de Marc, compose un numéro et branche le haut-parleur :
— Allo, Maman… ça y est me voilà heureuse. J’ai rencontré quelqu’un…
— Un homme ?
— Oui maman, pas un cocker…
— Tu es heureuse alors… Papa vient, Caroline a rencontré quelqu’un. Qu’est-ce que je suis contente et vous avez fait l’amour, il t’a plu au moins. Ne fais pas dans l'a peu près. Il doit t’aller comme un gant…
— Maman, qu’est-ce qui te prend ?
— Tu crois que ta mère est la sainte vierge ?
— Maman !
— Oui ma chérie.
— Ce n’était pas un accident…
— Ho mon Dieu ce n’est pas Dieu possible. On a rien vu, rien entendu, on aurait juré que tu étais la plus heureuse des femmes. Ce n’est pas à cause de lui au moins ?
— Ce n’est pas à cause de lui comme tu l’entends mais il n’y est pas étranger. Cependant c’est moi seule qui ait voulu tout plaquer. Je vous demande pardon à papa et à toi. Je ne sais pas pourquoi je me suis toujours sentie en dehors de ma vie. Ce que je vivais, ce n’était pas moi.
— Je vais te dire quelque-chose, ne le prends pas mal et écoute moi bien. Ton père et moi nous nous sommes aimés toute notre vie…
— Je sais.
— Oui tu le sais mais pas comme tu le crois. Tu n’es pas née d’une histoire d’amour mais d’une dispute. Nous étions en vacances en bord de mer dans un hôtel à touristes. Ton père faisait du gringue à une jeune serveuse avec tout ce qu'il fallait au balcon. Une fois le repas terminé, nous sommes partis en promenade dans les dunes. Je l’ai traité plus bas que terre… Je l’ai traité de couilles molles…
— Maman, on est sur haut parleur, je ne suis pas seule.
— Tant mieux, j’ai toujours voulu faire de la radio dans une émission de psycho machin-chose. Je l’ai giflé. Je lui ai dit que de faire jouir une gamine, il suffisait d’avoir la main baladeuse et trois promesses en l’air mais qu’une femme c’était autre chose. Il m’a attrapée. Je peux te dire que j’ai dérouillé. J’étais chancelante en me relevant. Je l’ai menacé que si la prochaine fois, il ne s’y reprenait pas plus longuement, je divorçais. Depuis ce jour là, non seulement je suis devenue une femme mais j’ai eu plaisir à donner du plaisir à ton père. Tu as été conçue ce jour là. Ce n’était pas de l’amour chababa, ça été violent, certains diront vulgaire. Très violent, très vulgaire. Toute la violence que tu as eu contre toi, sers-t'en pour le tenir en joue ton compagnon. Il n’est pas ton copain, il sera peut-être ton amant le plus inoubliable, cependant même s’il devenait ton mari, il n’est pas ton allié, ce sont des foutaises, il est le passager de ton épanouissement ma chérie. Ta grand-mère disait qu’il fallait tenir à bonne température le thermomètre des hommes. C’est elle qui m’a appris l’importance de la sensualité, je l’ai écoutée avec distraction, cela aurait pu me coûter mon mariage. Avant de mourir, elle m’avait demandé si je m’occupais toujours bien de mon mari en désignant mon bas-ventre. Je lui ai répondu que oui, elle a souri « alors ma fille est heureuse ». Elle est morte une semaine après. Je te transmets le secret familial du bonheur à deux.
— Je ne savais pas que j’avais une mère endiablée…
— J’ai 66 ans et j’ai encore le diable au corps.
— Waouh, moi qui te voyais sage comme une image.
— Quand je te reverrai, je t’en raconterai de bien bonnes, je suis sûre de pouvoir te faire rougir à mon âge. En tout cas, nous croisons les doigts pour toi, nous sommes là ma chérie…
— Merci maman, tu peux me passer papa.

— Allo, ma chérie, ça y est alors tu es amoureuse.
— Oui papa, c’est plus que cela, il va y avoir du sport.
— Avec ta mère, je n’ai pas vu le temps passé, elle est effrontée. Elle m’en a fait voir mais elle a raison, mon enfant, ne tombe pas dans la facilité, ne te satisfais de rien. C’est le seul moyen de traverser l’Atlantique à la rame.
— Oui, je crois que j’ai compris papa, merci. Quand je pense que j’ai été fabriquée dans une dune.
— Je m’en rappelle comme si c’était hier, il y avait un petit vent frais qui n’a rien éteint tout au contraire.
— Ben dis-donc, le petit vent frais de surcroît, je n’ai pas encore vécu cela mais je crois que je ne vais pas tarder à me mettre dans les courants d’air… Dis-moi as-tu toujours la porte que j’ai repeinte façon dégoulinade ?
— Bien-sur, elle est au grenier dans une couverture.
— Pourrais-je la récupérer ?
— Bien évidemment, quand tu voudras !

Marc tend la main, il veut s’exprimer.
— Papa, je te passe Marc, il souhaite s'exprimer.
— Bonsoir Monsieur. Votre épouse vient de confier une part de votre intimité. Je voudrais vous dire que je ne sais pas si je rendrai heureuse votre fille Caroline. Je peux même affirmer que je suis tétanisé pourtant j'ai envie d'essayer...
— Je suis parti dans le mariage avec moins de biscuits mon garçon, alors bon vent !

Communication terminée, ambiance bulle de savon et rêverie.

Suzanne qui est en bout de table qui n’a rien dit et qui dit tout le temps rien, plate comme la Belgique, tient à avoir le dernier mot à titre exceptionnel. Elle rumine.
— Quatre ans pour vous mettre d'accord pour un frottis ? A cette allure-là vous n’êtes pas prêts de connaître l’ennui de couette.
Elle s'étonne tellement, qu'elle perd momentanément le souffle et reprend.
— Ce n'est pas comme avec mon mari, on a tout fait vite et on a tellement fait vite qu’après avoir fait deux fois le tour de la question on s’est superbement emmerdé, mais alors copieux ! Lise tes praires sont super bonnes.
Ce sont des coquilles saint jacques mais Suzanne est pompette, elle a tout bu ce soir y compris la tasse de sa vie. Son mari est parti avec une distraction.
— Après le dessert, je divorce. Vous m’excuserez de parler de moi mais moi aussi j’existe.
— Oui, Suzanne, tu existes... Il te reste seulement à t'en persuader. Comme moi, comme nous tous peut-être.
Caroline philosophe pour adoucir le flot de ses émotions vives.

Lise se promet de faire mieux avec sa vie. Suzanne implore un câlin, Caroline lui bécote la joue... Marc est chaviré, il doit déposer ses jugements à terre et apprendre à voir, à entendre, ce qu'il ne voit pas, ce qu'il n'entend pas.

Ce que l'on croit percevoir de l'existence n'est rien d'autre que le reflet de ce que l'on se dissimule.

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