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CHANGER DE VIE OU CHANGER SA VIE

Un homme reçoit une proposition d'une femme. Sa réponse va changer sa vie pour le meilleur et pour le pire. Chacun de nos choix se répercute au delà de ce que l'on imagine. Il n'y a pas plus diabolique qu'un choix surtout quand il vient de ce que l'on ne sait vivre par soi-même.

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Texte original complet exclusif.
Tous droits réservés. Reproduction interdite

— Moi vouloir toi.
C'est une Sofia qui s'exprime, ça lui arrive de jacasser sur la couleur de ses cheveux bruns qui pourraient avoir un ton plus chatoyant si la nature respectait la femme dans son intégrité. Malheureusement, la chevelure étant plutôt héréditaire et ayant été conçue par des ours bruns des Pyrénées espagnoles, elle est brune de forêt et de peau, elle sent le Sud et Raphaël qui l'écoute et qui n'y entend rien aux tonalités capillaires se contente de sniffer une odeur de femme en délicate sueur. Il adore cette odeur qui lui pénètre les narines aussi impunément qu'une senteur exagérée d'un lit de goémon sur une grève en marée descendante. Raphaël, 26 ans, est carré de visage pâle et ses idées provinciales se calent dans ce cube en y épousant les angles vifs. Sofia, 24 ans, est ronde de tête et souple dans ses raisonnements qui s'accommodent de nuances jusqu'au doute sur tout. Elle est légère, il est pesant, ils sont de la catégorie des français moyens sans espoir d'avoir une villa sur la côte basque. Ils sont voués à vivre en studette dans des quartiers à problèmes. Cependant le principal problème à surmonter est l'ennui professionnel des jours laborieux de vendeurs non qualifiés dans le mobilier nordique. Les loisirs des protagonistes se résument à une sortie mensuelle, ainsi qu'à une nuit câline par trimestre après une rencontre hasardeuse dans un bar branché drague sans détour. Deux caches-misère qui occupent à peu de frais mais que les deux tourtereaux ne partagent pas, du moins jusqu'ici.

Raphaël s'est échauffé à entendre cette proposition qui n'est pas restée sans effet sur ses hormones mâles. Sofia est tout à fait attractive, elle mélange le raisonnable à l'attirant avec un pull moulant qui habille une féminité qui n'a pas froid aux yeux marron sans jamais pratiquer l'effronterie ou le grand déballage. Raphaël adore la femme qui vit sa nature sans artifices. Elle ne s'évapore pas à être ce qu'elle n'est pas, elle œuvre à n'être rien qu'elle sans effort. Sofia a donc les sens en éveil et le bon sens pratique à fleur de peau, elle veut une couette partagée avec une connaissance satisfaisante, le fait savoir sans plus d'effet de manche qu'elle n'en ferait pour demander une baguette de pain à son boulanger quotidien. Raphaël est blessé par le ton cordelette de la voix de Sofia, amoureux qu'il est, il aurait préféré une corde en si, un cri du cœur, une ode à la révélation de l'amour. Et si Sofia n'était pas amoureuse, si elle exprimait le souhait d'une distraction éphémère ? Raphaël dissocie la détente au respect sentimental qu'il est persuadé de mériter d'emblée.

Sofia raconte ses aventures depuis deux ans à Raphaël, un amant par ci, un homme marié par là, un jeunot entre deux, les corvées exigées par certains, les incompétences notoires des gâcheurs, les petits coups du sort, le grand coup d'une heure, les périodes de disette… D'ailleurs, si Raphaël s'en souvient bien, Sofia lui a confié vendredi dernier qu'il y avait bien deux mois qu'elle n'avait pas mis une tige dans le vase. Raphaël en est convaincu, il devient un bouche-trou, une sucette à grisaille, un dévideur de solitude féminine. La piqûre à l'âme devient une blessure d'amour-propre, il a besoin, d'instinct, de faire mal. Rond, il se serait rassuré en estimant qu'il valait mieux avoir un attribut dans la place forte avec l'espoir de devenir l'incontournable distraction d'une femme tant désirée; mais carré, il est réactionnaire, il coupe court, ne laisse rien traîner et endosse la rigueur du maître à penser espérant encore un sursaut sentimental de la part de Sofia qui s'impatiente d'entendre une réponse favorable tant elle lui paraît évidente. Le oui est en définitive un non brusque :
— Je n'aime pas trop les histoires de désir soudain… 
Lui qui est l'archétype du gars confit dans le jus de ses frustrations, donnant la leçon sur l'utilité de la raison dans l'émancipation du désir charnel, il en est pitoyable et se sait malsain. Il prend conscience de la comédie qu'il interprète, voit la déception de Sofia qui passe sa main dans les cheveux mi-longs, elle cherche un peu de féminité supplémentaire se sentant diminuée par l'affront. Il voit Sofia se déconfire, il ne dit rien, un rien à dire sec, il est coincé entre sa mesquinerie et son orgueil. La timidité lui joue des tours, des tours de pompe à refoulement, pour lui-même et pour les quelques femmes qui l'ont approché jusqu'ici. Etant un sombre reclus incapable d'aller vers une femme, la femme vient à lui. Et s'il en apprécie la commodité ce n'est pas pour autant qu'il se satisfait des premiers pas féminins. Plus sinistre encore, il clame à qui veut l'entendre tout le bien qu'il pense de la libération de la femme, de l'importance de son émancipation au sein d'une société conduite par les hommes. Un toutim de politicien, une verve de tribune. On le croit moderne, il est le geôlier de son introversion et si demain il devenait expressif, il maudirait les femmes qui demandent de passer une nuit de confusion avec un collègue de travail cuit à l'étuvé. Les vapeurs des hommes ne font pas le bonheur des femmes et si l'on croit que les femmes ont l'esprit épris des sérénades prénuptiales, il y a bien des hommes handicapés par le dévoiement de leurs appétences. Un homme qui n'assume pas s'ouvre la déveine et se cautérise en abîmant l'existence des femmes. Raphaël est ainsi, tout ce qu'il ne sait pas vivre en amour, il le fait payer à celle qui ose se porter à son chevet. Une misère cérébrale est en lui, il aime le saccage pour rayer sa peine et se ride autant qu'il peut. 

Obligation de fin d'horaires moroses, Sofia lui a dit bonsoir, avec rancœur et un renvoi de nougat dépassé par les non-événements. Elle va devoir rentrer chez elle, dans une chambre avec King Kong au-dessus de son lit, en photo souvenir. Souvenir de l'adolescence qu'elle n'a jamais voulu quitter. Le poilu brun irait bien avec ses cheveux trop sombres pour être beaux comme elle le voudrait. Tout le reste, elle l'accepte, ses hanches un peu large, son nombril tarabiscoté, son nez sans allure particulière, même son tour de poitrine est acceptable, même les vestes masculines de sa garde-robe bien remplie de mauvais plans font partie de son acceptation. Néanmoins, elle ne s'attendait pas à un refus de Raphaël, elle sait qu'il frétille pour elle. Elle sait reconnaître les indices probants d'une excitation coupable de déborder sur le linoléum. Le trouble, les mots qui s'engluent, les respirations qui s'étirent et enfin le manque d'air qui comprime le faciès ; toute cette ristourne, vingt fois par an, elle le vit avec des hommes de passage, des hommes d'alcôve, des hommes d'étage ou en étagère. Elle voulait seulement un ami dans son lit, une connaissance suffisamment connue et comprise pour éviter les cafouillages des promptes entreprises. Elle commence à se dire qu'elle s'est trompée à propos de son collègue, il n'est rien d'autre qu'un employé prenant le même bus pendant quatre stations avant de bifurquer, lui vers le nord magnétique, elle vers le sud critique, à la limite de la ville et des champs, le no mans land des pauvres. De sa cuisinounette, elle voit une cheminée d'usine polluante ; de sa chambre, elle voit un chêne pathétique, tout seul dans la boue de l'hiver.

Pour un cœur de Raphaël, la rentrée dans le quartier des pieds nickelés, des embrouilles et des petits commerces adjacents, est plus lourde qu'à l'habitude. Il a acheté trois pommes et aimerait manger une poire. La baguette de pain est calcinée, il n'a rien dit à la vendeuse. Celle-là a une sacrée trogne et ne mérite pas qu'on s'adresse à elle, mieux vaut l'éviter tellement elle inspire l'évitement. Arrivée à l'immeuble des années soixante. Une immense caisse de résonance dans laquelle les pleurs du 6ème sont des rires du 2ème et les rires du 3ème sont des pleurs du 7ème. Pour trouver sa porte après la montée dans un ascenseur qui sent la chaussette et la gaufrette coca, Raphaël doit suivre une ligne bleue depuis un mois, elle remplace la ligne orange qui précédait. Des artistes de la bombe de peinture peinant à se ressourcer, tirent des traits ondulant sur les murs du couloir sable. 6ème porte à droite, imitation acajou des banlieues, clé usée par les différents locataires d'un meublé de 13m²63 selon le contrat de location. Probablement 12m²36 selon le peu de place qu'il y a à respirer une odeur de plâtre humide.

20h37, la voisine s'égosille au téléphone. Dès qu'elle palabre, elle crispe la cloison séparatrice. Raphaël est au courant des problèmes de couple de cette voisine qu'il n'a jamais vu mais qu'il entend cauchemarder. La plupart des nuits, elle dit « Noooon ! ». Va savoir à quoi elle dit non, seule dans son lit.

Son mec actuel a une cervelle, il déblatère des trucs de mécanique quantique et nargue sa partenaire du fait qu'elle n'y entrave pas la moindre particule énergisante. Elle préfère le jarret troussé, elle voudrait beugler au lieu de subir un abrégé deux fois par semaine. Ce n'est pas beaucoup, s'est souvent dit Raphaël ; il oublie que lui c'est trois fois par an et quelques fois non remboursées par la sécurité sociale. L'avantage du quartier est tout de même le démarchage de rue des filles shootées aux friandises. Toujours accrocs aux sucettes, elles bradent devant une urgence. Raphaël paye régulièrement son loyer et trois colporteuses chaque année. Il s'est habitué à smicquer depuis qu'il est majeur et à l'allure où il monte les élévations sociales, il peut espérer une passe à l'hôtel d'ici sept ou huit ans. Pour l'instant, il fait les caniveaux de pénombre.

Soirée maussade, la voisine va s'acheter un pull bleu magique demain et Raphaël s'est allongé sur son lit canapé entre deux coussins bleus République. S'il était d'humeur, il aurait admis ce point commun fondamental d'un besoin profond de bleu entre la voisine et lui.

Brossage de dents longues dans un temps chronométré par la brosse électrique qui détermine intelligemment l'hygiène buccale de son utilisateur fétiche. La plaque dentaire entretenue par croûtes de pain interposées ne cherche pas à s'installer. La pomme croquée est en cours de digestion. Il n'y a rien à la télé ou dans le casque. Il fait 18,9° au thermomètre d'ambiance digital. Il n'y a rien sur les murs et Raphaël s'endort en voyant Sofia dans un lainage bleu océan dans son rétroviseur. Raphaël « rétrovise » sa vie avant de tomber dans une grogne de somnambule. Sofia fait des allers-retours entre un château de la Loire et les falaises d'une Bretagne vue en carte postale dans un site internet de vente de CPA. Ils appellent le business un marketplace, l'englishement a le don d'énerver Raphaël. Le franchouillard supporte difficilement le britannique de ligne car il n'est jamais parvenu à rêver en anglais. Il rêve en français exclusivement sauf quand il rêve de Sofia. Là, tout devient plus compliqué. Il y a des langues qui se perdent et qu'il ne retrouve jamais quand il se réveille. Il n'est jamais parvenu à lui glisser un son, même pas en rêve.

Cette nuit, la voisine a dit non entre minuit et une heure, une seule fois ; ce n'était pas méchant, sa lampe de chevet n'étant pas tombée sur le carrelage, la secousse n'avait eu aucune horreur, ce qui permit à Raphaël de se grignoter une faim. Il aura mâché la proposition de Sofia sans pouvoir la digérer. Pourquoi avoir dit non alors que oui fut préférable surtout qu'en ce moment Sofia sent la vanille même la nuit, à 26 kilomètres de lui, RER compris.

La vie intime de Raphaël se résumait à une revigoration de son entrain par des stimulations nocturnes à la condition que la voisine ne lui dise pas non dans les oreilles ouvertes à la moindre nuisance sonores.

Chaque matin fait le point sur un remord chronique. L'incapacité pour le solitaire pathétique de saisir l'instant présent. Le refus de miser sur l'avenir de la prochaine seconde qui pourrait ne contenir aucun motif sérieux d'être heureux de rien et de tout en même temps. La recherche d'une coïncidence entre l'inutile et l'utile. Raphaël préfère la messe à l'offrande.

Mal de corps au lever du soleil. Petit déjeuner au demi-yaourt de chèvre sur un morceau de pain déchiré par deux mains à peine tièdes. Le déçu pathologique regarde par la fenêtre ventée par ses joints à l'abandon. Un choucas des tours HLM tarabuste un conduit de cheminée, le volatile est nerveux. Raphaël est à plat de couture avant d'aller travailler à revoir la tête de Sofia entre deux porcelaines des usines Chine & co.

Comme prévu, le temps consacré au labeur suprême est exaspérant. Vaquer à des occupations inintéressantes qu'il faut remplir d'un sens que l'on ne trouve pas au fond de soi, rabote l'envie de vivre. Se sentir nauséeux certes, mais plus encore avoir la peau râpeuse sous les effets du manque de tendresse, voilà qui est plus astreignant. Le travail n'est pas une santé, il est une Raphaël d'achoppement entre la liberté et le respect de soi. La servitude contraint les esclaves à se contenter des plus grands efforts pour la moindre des reconnaissances, le salaire minimal de la dignité minimale. Sofia et Raphaël, bien qu'ils n'aient jamais évoqué leur avenir professionnel ensemble, rêvent d'une autre vie dont ils ignorent les vocations. A force de suer l'abrutissement, l'ambition devient impossible.

Raphaël est en vacances à la fin de la semaine. La loi du travail forcé autorise un congé pour rappeler le temps des récréations de l'enfance. On quittait la géographie et ses fleuves pour plonger dans un temps chronométré à la découverte des jeux agréables à la découverte des espaces sensibles. On s'émouvait, on craignait le ridicule, on voulait en faire voir, tout n'était pas beau, on n'était pas les dieux de l'Olympe, mais les rires et les pleurs faisaient vibrer l'instinct de vie qu'on appelait jeunesse étourdie...

Raphaël depuis l'âge adulte se réfugie sur un mont de campagne avec du givre dessus six mois de l'année. Si les uns convoitent le soleil brûlant, Raphaël apprécie de frisquet dans les terres arides. Cette année cependant, il va jouer à domicile faute d'économies suffisantes pour s'offrir un voyage. Le fait de manger moins n'a pas suffi à remplir l'enveloppe d'un vrai départ. Il va faire du vélo dans le quartier une fois ou deux et dormir la tête vide beaucoup, surtout le jour. Dormir le jour permet de se mettre en sommeil, les yeux mi-clos, la nuit.

L'absence de jeunesse est toujours aigre mais le sentiment d'éternité d'un temps long que rien ne vient perturber est rassurant. Il a sauvé cette capacité de son enfance : l'étirement des minutes. L'ennui en bout de piste ne produit plus aucun dommage et ce serait dommage que de bouger dans un lit. Le lit réclame l'immobilisme pour être consommer à plein draps.

Manque de chance, ou pas de bol, la voisine dit «  Noooon » formule chouette, elle hulule de la négativité à 4h 12 du matin dans un janvier vraiment matinal, à l'heure où Raphaël se met à dormir physiologiquement contraint. Enervé, pulsionnel, il tape du point sur le mur séparatif. Un bruit de tuyauterie de la part de l'étage en dessous se met en triangle. Se manifester sur la droite et c'est le dessous qui cliquette. Le talent de vie de Raphaël : émettre de rares agacements qui agacent ceux dont il ignore l'existence. Là où, il voudrait porter le témoignage de son existence, nul ne répond. Le voisin du dessus en a profité pour tirer la chasse d'eau. La composition du bouillon s'entend au coude de la descente d'eau usée. Bruit sourd, c'est du costaud, bruit de fontaine, c'est fluide comme un rû. Le voisin a fait son rû. Cette information majeure conclue admirablement le temps de la manifestation de Raphaël qui se gratte un bouton frontal avant de dormir de travers et faire son rû à la lumière du jour.

Trois jours déjà à se glander les menottes. Certains ennuis, n'ayant aucun sens giratoire, organisent une débandade totale. Plus rien ne sert à rien. Raphaël ne prend plus de douche, il transpire moins quand rien n'est à faire, tout est en vacance. Il va en fin d'après-midi, lorsque les travailleurs ne sont pas rentrés et que les chômeurs sont imbibés de l'alcool télévisuel, vers la boîte aux lettres de son rez-de-chaussée. Max de pubs, des organismes supplient une aide pour les pauvres, les malades, les affaiblis, les défaillants, les moitiés de portion. Toute la misère du monde est dans la boîte métallique couleur sang de bœuf. Une lettre d'employeur écornée amène la misère concrète. Raphaël est licencié en droit d'aller pointer à l'organisme des éjectés. La boutique ferme faute de clients « rétributifs ». Sacrée secousse, Raphaël se dit qu'il ne verra plus Sofia. Sofia, c'est fini avant d'avoir commencé alors que la porte était ouverte. Raphaël est jaune avarié, avec une envie de gueuler jusqu'à ce que l'outrance ferme sa gueule...

— Vous allez bien ?
— Oui, oui.
— Non, je vois bien, venez, je vous dois bien ça.

La blonde banale avec un nez retroussé, retrousse une manche et soulève le bras de Raphaël.
— Je suis votre voisine bruyante. Je suis désolée. J'ai une vie de merde en ce moment mais ce n'est pas une raison pour vous en faire profiter. Mauvaise nouvelle ?... Oh je vois... Pardon j'ai lu l'entête de votre courrier. Licenciement économique... Je connais. J'ai l'art d'être un surplus économique, remarquez, si jamais nous nous trouvons, vous et moi dans la dèche, nous pourrions nous mettre en collocation. Depuis la semaine dernière, je suis une célibataire endurcie.

Elle bavarde, elle n'arrête pas de bavarder et quand elle respire elle en place une ou deux. Elle envisage de partir en Bretagne refaire sa vie. Elle était montée vers la civilisation pour un grand théâtre d'illusions sincères. Elle n'aime plus l'univers du spectacle et l'univers masculinisé guère davantage avec les mecs tous en chaleur. Elle ne le dit pas pour Raphaël qui paraît être un gentil monsieur bien propre sur lui, mais pour tous ces obsédés qui courent partout même au supermarché, ce n'est pas plus tard qu'hier, au rayon des carottes, un lourdeau lui a dit qu'il en avait une moins orange mais toute aussi ferme...
— C'est dégoûtant n'est-ce-pas ?
Raphaël gicle, il fait l'homme :
— Je suis un dégoûtant comme les autres, quand je vous vois, je ne pense qu'à ça ?
— Vous me charriez ? Non... ?
Il modère la masculinité :
— En fait oui et non. C'est la première fois que je suis grossier envers une femme mais c'est vrai... Enfin vous avez compris. Pardonnez-moi, je ne sais plus ce que je dis. J'en ai tellement marre de tout ce que je vis et en manque de tout ce que je voudrais vivre que je deviens un petit pervers frustré comme tous les mecs qui ont des problèmes de carotte.
— Au moins, vous avez la franchise d'admettre que vous en dehors des clous. Allez venez, je vous invite chez moi, vous me direz pourquoi mon évier se bouche tous les jours. Les hommes sont bricoleurs non ?
Pas d'enjeu, Raphaël est rugueux :
— Cliché ma bonne dame, mais un siphon devrait être à ma portée.
— J'ai trouvé le plombier de mes rêves, à portée de main... Voyez, ce n'est pas si mal comme journée de merde !
— En considérant que je me prénomme Raphaël Sans Emploi...
— Et que je m'appelle Ingrid Temporaire...
— Infortune est faite !

L'Ingrid d'un calibre modéré, reprend la conversation homologuée monologue féminin. Un encart vers les fringues, les eaux de toilette, la sécheresse de la peau à cause des gels douche bas de gamme, de l'huile d'olive trop cher et du cousin par alliance de Nîmes qui avait promis de lui envoyer une bouteille d'huile première pression à froid, et qu'il ne l'a pas fait...

Raphaël a dégorgé le siphon de l'éviernounet et y a exfiltré des cheveux, blonds bien sûr...
— Je me lave les cheveux à l'évier, je ne me mets pas de shampoing... Enfin, vous voyez... J'ai la peau sensible... C'est que je suis une vraie blonde, ma mère est Suédoise et mon père nettement Allemand. On a toujours vécu en France.

Avec Ingrid en une demi-heure de thé indéterminé, Raphaël connaît le problème des soutiens-gorges pour les petites poitrines. Il est surpris, il pensait que les petits seins tenaient tout seul. Ingrid est étonnée de cet intérêt gravitationnel qui ne semble pas être le fruit du légume de la concupiscence.

Il est d'un tard sans heure précise. Ils sont déjà en couple et l'ont compris après le détail du premier resto, du premier baiser, du premier mot d'amour, tout leur paraît sans importance. Ils n'ont rien de matériel à partager, ni l'un, ni l'autre ne connait l'avenir et puisque demain n'est pas offert, ils s'y présentent sans angoisse. Une chose les réunit, un besoin de s'agripper pour ne pas boire la tasse définitivement... Ingrid a déjà goutté aux splendeurs des fumées exotiques, Raphaël a eu sa période somnifères. Ils se le sont dit mutuellement, ils se sont avoués leurs médiocrités. C'était l'aveu le plus important à faire pour en finir avec la course des apparences. Certains cultivent le besoin d'en dire le moins, pour masquer la plus inavouable des viduités : celle de la difficulté de vivre sans raison particulière, pas eux et c'est tant mieux pour eux. Ingrid est apaisée et ferait bien l'humour sous sa couette. Raphaël la quitte en lui disant :
— Tu es arrivée juste au bon moment dans ma vie, quoique tu décides pour la suite.
— Tu es sérieux ? Oui, tu l'es... Je ne sais pas ce qui va nous tomber sur la tronche. Je suis contente de connaître mon voisin et plus au vu des affinités. Tu veux bien m'accorder un peu de temps, j'ai encore le corps de mon ex en tête, j'en ai bavé... Je ne sais pas pourquoi mais en discutant avec toi, j'ai eu l'impression que je remettais des pendules à l'heure... Si tu as quelqu'un, je ne veux pas vivre dans le mensonge... Ce n'est pas de la jalousie, je serai à toi mais évite de m'embarquer dans des plans foireux. Si c'est du plaisir que tu veux, tu l'auras, ne t'inquiète pas. Je ne te demande rien d'autre que de ne pas me balader, ok ? Tu me prends comme je suis, tu me jettes dans le même état sans cogner, sans insulter...
— J'ai une femme en tête. Je n'ai pas été à la hauteur. Avec elle, j'ai été plus minable que d'habitude. Elle travaillait avec moi. Il ne s'est rien passé, j'ai mes traces affectives encore... Ma pendule ne fonctionne pas à la seconde, j'ai besoin de temps pour tout, pour des peccadilles de noisette. Je suis mauvais à aimer, je ne te promets rien, j'ai appris que les prometteurs ne sont pas les payeurs. Je sais que je vais passer une bonne nuit, je vais regarder sur Internet, les soutiens-gorges pour filles plates ! J'ai envie de t'habiller !
— Pour un mauvais, tu me fais planer.
— Méfie toi des mots, ils sont l'outillage du malin !
— Tu es superstitieux.
— Je me défends de l'être, il est probable que je le sois.
— Je vais allumer une bougie ce soir avant de dormir. Elle chassera les mauvais esprits.
— Tu vas bien dormir alors ?
— Oui pas de cris, pas besoin de crier. J'ai moins peur de vivre seule. J'ai mon artisan personnel à côté de moi...
— Bonne soirée.
— A toi aussi...

Raphaël n'a plus rien à maudire, plus rien à angoisser. Sofia devient un souvenir tranchant.Le fil de la lame va s'émousser. Raphaël se dit qu'il n'a aucune condition à imposer à Ingrid. Elle est là, d'ici quelques jours, ou quelques semaines, il sera dans son lit. Il fera de son mieux pour qu'elle se détende, pour qu'elle soit en vacances de ses maltraitances ou de sa solitude. Juste un bien fondé. Raphaël n'a pas à reculer, ni à décliner, ni même à éviter. Il n'est pas amoureux, il est précautionneux. Il a besoin de réussir quelque chose. Ce sera Ingrid. Bon, elle est blonde et filiforme avec bien évidemment des yeux bleus délavés. Elle est blanche un peu rosée et encore, Raphaël se demande s'il n'a pas imaginé du rose sur du blanc de pêche blanche. Ingrid est mûre, ça, ça lui plaît. Un rayon de belle humeur et elle sera juteuse... Raphaël doit réussir pour se sortir de sa chienlit et va travailler à rendre heureux une femme plane, bruyante, lui qui convoitait la rondeur mâte et les silences ajourés, demi-teinte, demi ton, vie à demi qui sait. Malgré le changement de trajectoire quelque peu outré, il change aussi de cap : n'attendre rien, ne pas retenir ce qui lui pèse, ne pas expliquer les idées malignes. Il veut s'ajuster à la situation. Il veut passer sous une fraiseuse, avoir mal peut-être. Il veut souffrir du bien des choses et non du mal des privations. Qu'on ne lui parle pas d'amour, il n'y comprend rien et se demande si comprendre n'est pas l'éteindre.

Ingrid et Raphaël se sont mariés en juillet de l'année dernière après trois ans de vie commune sans heurts ni cabale. Ils vivent une vie de survie. Ils se sont délestés de tout pour venir s'installer en Bretagne dans une commune très commode équidistante de la mer et de la ville. Après neuf mois d'aide sociale, Raphaël a réussi à s'installer plombier après une mise à niveau de ses compétences grâce à des formations. Ingrid aussi a réussi à devenir un peu plus que femme de ménage. Une entreprise avait besoin de laver ses sols et de ranger ses comptes de temps à autre. Ingrid est douée en serpillière et en chiffres. Le couple a bon espoir à faire la soudure dans la plomberie. Raphaël a immédiatement plu à ses premiers clients. Il est propre sur lui, propre dans sa fourgonnette de location et mesuré dans ses tarifs. Il vient à l'heure repart en disant au-revoir. Pour Ingrid c'est un peu plus glissant, le patron lui fait du gringue. Elle a appris que c'était un obsédé et qu'il fallait s'en méfier. Raphaël là dessus a été royal et avait demandé à Ingrid de ne pas s'exposer, elle pouvait quitter son emploi dès que celui-ci lui sera invivable. Ingrid sait qu'elle ne tiendra pas ce poste très longtemps. Son patron ne s'arrêtera pas et caméra à l'appui, elle envisage un chantage. Elle ne le mentionne pas à Raphaël mais depuis sa résolution, elle est mauvaise comme la gale. Le mec libidineux est une monnaie courante, le type usant de son petit pouvoir pour se satisfaire est une enflure qu'il faut museler. Il faut bien admettre qu'elle a quelques colères à faire passer sur l’adipeux à cravate. Elle en est consciente, elle se dit que le principal est sauf.

Pendant, une semaine, Ingrid a filmé son couple sans que Raphaël ne se rende compte de rien alors un mercredi matin, Ingrid a transféré son dispositif dans les locaux de l'entreprise, plus précisément dans la salle de repos entre cafetière et micro-onde. Mercredi rien, jeudi rien, vendredi plouf ! Le patron moustachu avec son pantalon flottant a entamé une danse du bas-ventre devant Ingrid avec le tragi-comique de l'irrésistible attirance et l'honneur qu'Ingrid ressentirait au plus profond d'elle-même si elle concédait une partie de son anatomie à l'usage occasionnel de son tendre patron. Comme les miracles voyagent en couple parfois, deux employés ont assisté au bouquet final de la tentative d'embrassade non consentie. Le moustachu a remballé sa langue dans le clapet à insanités et s'est précipité à s'extraire de sa mauvaise passe. Ingrid se sent un peu pute et toute aussi fière d'elle. Les témoins paraphes le chef d'œuvre de la carabistouille. D'ailleurs ces derniers sont prêts à témoigner : le trop était trop et les révoltes féminines n'étaient pas réservées qu'aux chiennes. Ingrid est sonnée n'ont pas par l'agression providentielle mais par sa propre veulerie. Puis elle fait vite les comptes. Son mari a besoin de 30 000€ pour s'installer définitivement. Un bidouillage informatique avec un film vidéo en pièce jointe gicle sur l'écran du smartphone de l'investisseur en femmes agressées par sa sueur et sa bave. A la fermeture, le patron passe du cramoisi au verdâtre en rencontrant Ingrid dans le couloir de la direction. Elle serpille en se tortillant, elle pose le chiffre et la condition.
— 30000 € en cryto monnaie demain soir à la même heure. En cas de défaut de paiement, madame Berin de St Braie, votre épouse, saura qu'elle vit avec un porc. Le vicelard n'a rien exprimé, il n'a pas vu venir le chantage. Il est indisposé et rassuré, avec du pognon on rafistole toujours les embrouilles des pétasses.

Le lendemain matin, il convoque Ingrid dans son bureau pour lui mettre la pression. Il va lui brisé sa carrière de serpilleuse, elle ne touchera plus un chiffre de sa vie. Elle lui a répondu 40 000€. 10 000 en plus pour avoir subi des menaces l'ayant émotionnellement traumatisée. Il cède mais avec démission immédiate. 47 minutes plus tard, l'accord est scellé. Ingrid est partie avec sa fierté sous le bras. Elle admettait que le chemin de la liberté était plus que douteux néanmoins le joli coup de grâce en valait la peine. Elle se voit déjà plombière avec une voiture électrique lie de vin et sellerie chamois.

En rentrant à l'appartement en centre bourg avec vue sur la place de l'église, Ingrid, le soir en plein déroulé, raconte son infraction au bon sens. Raphaël est estomaqué, fait ses projections financières et admet qu'une entreprise a toujours besoin de fond, propres ou sales, le détail ne vaut pas un reproche.

Ainsi, en 38 mois très exactement, Ingrid et Raphaël sont passés du statut de bons à rien pathologiques à celui d'artisans de confiance enregistrés parmi les plombiers méritant confiance et gratitude sonnante et trébuchante. Le bébé est attaché aux parois d'Ingrid qui ne s'en porte pas plus mal. Raphaël roule des mécaniques avec des suspensions un peu molle, il se la joue bourgeois en devenir. Tout va bien et nettement mieux à chaque lever de soleil même quand il pleut mouillé ou qu'il vente de travers. L'été sera chaud quelle que soit la température ambiante, les propriétaires qui louent à la belle saison ont très souvent des problèmes de tuyaux de dernière minute. Les petites interventions rapides façon ambulance sur place en moins d'une heure rapporte le pactole pour peu de risques de malfaçon.

Une commune rurale est tellement rurale que le centre de l'univers est un bourg commerçant avec une place, une fontaine et huit tilleuls armoricains. Raphaël et Ingrid loue un appartement au-dessus de la poissonnerie.Ils ont la mer dans le pif surtout en été. Ils en rigolent. Ils auraient préférés une location avec vue sur la mer, la vraie, celle qui iode les bronches. Le loyer étant plus raisonnable au-dessus des crabes et des maquereaux, ils se contentent d'un océan de puanteurs.

Ingrid admire la prestance de madame Berin de St Braie marchant de sa hauteur sur le parvis en compagnie d'un mari aussi agité que teigneux, chaque dimanche à 10h45, parfois 47. Dame Yolande entrepreneure en vertu conjuguée aime à se présenter devant le seigneur en toute prestance spirituelle. Elle a la vierge en elle et cela lui sort de tous ses trous de nez et de bien d'autres encore. Brune, belle femme pourtant, de la hanche, du galbe... Elle a certainement exercé sa colonne vertébrale à la cérébralité immodeste. Yeux ouverts et fusants, beige acrylique. Maquillage plâtreux à peine rosi. Les hommes la regarde, elle le sait et s'en pourlèche le postérieur sans qu'aucun homme, pas même son mari scabreux, ne puissent se douter des bienfaits des hommages appuyés. En dehors de son époux dépravé, la dame est bien jeune, riche d'elle-même et de ses comptes fructueux. Elle pèse 49 kg en hiver et 47 kg en été maillot une pièce compris. Elle pèse aussi 18 millions d'euros en immobilier locatif. Elle travaille à ne rien faire consciencieusement. Le mystère de cette femme indépendante financièrement réside dans le flou d'un mariage surprenant avec un gars laid plus vieux et plus pauvre qu'elle. Pourquoi s'encombrer d'un tel sac vomitoire pour traverser le théâtre d'une vie sans inquiétude matérielle. Il semblerait que seul le curé soit au courant de la trajectoire de la belle enrichie.

Depuis quelques semaines déjà dame Yolande et Ingrid en damoison font la causette dans la supérette du centre. Elles ont échangé sur l'étrange épaisseur des peaux d'orange ce qui a incrusté la conversation dans de la cellulite. Confidences faites, les mots prirent une tournure systématique...
— Je prends du bacon pour ce week-end, je me régale toute seule. Mon mari est parti en voyage d'affaire, vous voyez ce que je veux dire.

Ingrid a failli lui demander pourquoi, elle se laissait humilier. Par crainte de gaffer à propos du chantage elle s'est tue sur le thème et renchérit sur le projet de la promenade du dimanche.
— Nous irons mon mari et moi avec notre fils à la plage pic niquer s'il fait beau. La mer est un spectacle à elle toute seule et puis nous avons besoin de nous retrouver...

Ingrid regrette sa révélation dépeignant le bonheur conjugal et s'empresse de le dire
— Excusez moi, je n'ai pas réfléchi.
— Ne réfléchissez surtout pas, la réflexion vous jouerait des tours, croyez-moi sur parole.

Ingrid et Yolande jouent désormais au tennis le samedi matin au club d'un hôtel balnéaire et consomme le mercredi en fin d'après-midi un thé lapsang souchong tout à fait cordial depuis 4 ans sans l'ombre d'une interférence. Yolande est malheureuse en tout pour tout. Ingrid est heureuse par répartition géométrique. Tous les périmètres de sa vie sont établis sans défaut dans la cuirasse.

La rencontre finale de ces deux femmes s'est produite ainsi.

Raphaël et sur une ligne droite bretonne, une ligne sur laquelle il véhicule en passagère son épouse d'Ingrid avec derrière le Stanislas qui a déjà toutes ses dents. Voiture silencieuse avec des gadgets électroniques qui n'en finissent pas de tout faire à la place du conducteur. La belle ligne droite est vide de circulation et mène à la plage quoiqu'il advienne en ce joli mois de mai. L'écran central montre un plan du chemin à parcourir pour atteindre le sable tiède et les coquilles vides des coquillages morts. Effet double, deux routes possibles pour une même destination, distance très similaire. Une route atteint le Nord de la plage, l'autre atteint l'extrême Sud, le soleil reste à l'Ouest quoiqu'il advienne.

Raphaël a un moment d'absence, un trouble de vison intérieure, une sensation astigmate. Le devenir lié à une direction, au choix, à tout ce qui sera définitif après celui-ci, à tout ce qui pourrait être modifiable. Raphaël se malaise les boyaux, il n'est pas bien et s'arrête sur le bas côté de la chaussée, une entrée de terrain agricole. Ingrid s'étonne, s'inquiète sans ne rien dire, elle sait que son mari décroche de temps en temps. En dehors de ces périodes d'absence tout en présence, il est formidable. Bon mari, bon père, que demande le peuple, un peu plus d'envol ? Le mariage est une racine, pas une aile. Ingrid est heureuse sans chercher à l'être. Elle se retourne, le fiston dort avec un maillot de foot sur la banquette arrière. Il réfléchit dans ses rêves pour devenir une star du ballon rond, son but est de marquer des buts tout le temps, tous les jours. Comme il est trop petit pour jouer aussi bien qu'un joueur pro, il dort beaucoup pour rêver sa carrière en secret.

Raphaël fixe l'écran GPS avec cette route en trait parfait et la fourche qui n'est plus très loin, route de gauche, route de droite... Il transpose l'hésitation à sa vie hésitante. Il regrette tout, tout le contenu de son existence ; il aurait voulu faire autrement, aurait voulu savoir ce que décider voulait dire. Il pousse l'ébauche d'une double vie comparative. Vivre sur la route de gauche comme vivre sur la route de droite sans se mentir, sans perdre ni se perdre, sans se désagréger pour s'émanciper de toutes les possibilités non vécues. Par malheur, Raphaël n'est pas magique, il n'est pas assuré et se rassure rarement. Subitement il revient à la raison, se reprend, sourit à Ingrid, redémarre et enfourche la route rectiligne en se projetant dans l'avenir immédiat. Il marmonne  :
— Je choisirai au dernier moment, je savourerai mon hésitation et que rien ne dérange mon impulsion.

Il va choisir enfin sans angoisse, bien sûr ce n'est qu'un petit exercice...

Raphaël est subitement heureux de l'expérience du choix qu'il s'impose, si heureux qu'il est mou de l'accélérateur et encombrant sur son milieu de chaussée. Au carrefour annoncé par un panneau métallique avec du rouge plus sang que du jeune sang frais , Raphaël approche sa main de son clignotant, il va clignoter sa décision.

Une rapide masse sombre vient en face et choque la voiture informatisée de Raphaël qui se trouve le nez écrasé dans un ballon blanc. Raphaël se met en colère, on ne lui a pas laissé choisir, il a mal partout, ne sent pas ses jambes. Enfin si... Elles sont froides, comme givrées. Ingrid est écrasée, difforme, éclatée rouge, plus rouge qu'un rouge neuf de panneau. Stanislas dort pour de bon et achève sa carrière de foot par une sortie de terrain prématurée, il a de l'herbe sur le visage au titre des héros des pelouses imaginaires. La voiture termine la farandole dans le décor d'un fossé plus profond qu'il ne le laissait entrevoir. Tous se couchent, Raphaël voit flou et ne bouge que trois doigts dans le vide. Ce n'est plus de la souffrance, il est en déchéance,  en abdication. Le choix n'est pas dans la vie qu'il ne choisit pas.

Une femme nettement secouée s'agite à la portière, elle n'arrête pas de demander si ça va bien... Elle tarde à appeler les secours. De toute façon, Raphaël n'a pas le choix, il doit mourir maintenant, le destin a choisi l'heure pour lui en entraînant de force, une famille sans choix particulier que celui de subir une chauffarde ivre. Mme Berin de St Braie, complètement dénoyautée avec des kilos d'alcool dans trois litres de sang avait choisi le Nord de la plage sans hésiter, là où il y a une falaise pour se jeter. L'accès Sud est une coulée d'argile de la période glaciaire qui n'a pas d'épaisseur ou qui sert aux suicidaires qui veulent se fouler la cheville. Non, elle voulait de l'éclaboussant. Elle avait prévu de se balancer de 58 mètres de haut pour se faire mourir par elle-même plutôt que de subir la dégénérescence maladive et le manque de perspective vitale que l'existence lui proposait. Encore 9 mois d'agonie souffreteuse qu'avaient pronostiqué des médecins qualifiés, c'était déjà un miracle qu'elle soit encore en vie. Un bonus qui lui avait donné du temps pour faire mourir une famille unie par des circonstances incertaines. Si Raphaël avait accepté de passer la nuit avec Sofia, il n'aurait pas fréquenté Ingrid, Raphaël ne se serait-il pas trompé de route dès le départ ?

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