#Ancienne abbaye – #Nouvelle abbaye – #Maison abbatiale – #Commende – #Pêcherie
La famille de Chalus a retrouvé des éléments sculptés
dans les déblais. Mettre une tête de Saint dans son mur eut été un aveu
de pillage. Les habitants locaux se sont contentés des moellons ordinaires
pour construite leurs maisons. Ils risquaient moins la damnation. Les
arcades de l'abbaye de Landévennec sont réemployées dans les maisons et
boucheries Pouliquen à Brest en 1810, du nom du maire qui en fut l'instigateur
durant son mandat passé. La présence de palmiers de Chine sur le site
est le fait du comte qui y voyait un jardin exotique pour adoucir l'image
des ruines. Le surnom du quartier émerge dans certains esprits : la petite
Nice.
Guénolé est un fils d'immigré Galois né dans la région
de Saint Brieuc. La Bretagne d'alors est chrétienne mais la religion n'est
active que dans les grandes villes. La Bretagne compte beaucoup d'immigrés
venant de la Grande Bretagne. Les guerres saxonnes, les divisions de clan,
les épidémies incitent des familles nobles à franchir la Manche pour venir
s'installer en Petite Bretagne.
Dès son enfance Guénolé reçoit un enseignement religieux et multiplie
les miracles. Il guérit un aveugle, répare des jambes brisées, replace
un œil perdu qu'une oie avait arraché... Il parvient même à ressusciter
un homme en armes attaché au service de son père...
Avec un tel CV, Guénolé, sur ordre de Dieu lui-même selon la tradition,
en compagnie de 11 religieux comme lui, s'installe sur les terres de Landévennec
pour y fonder une communauté monastique vers 485 (la date varie énormément
selon les documents). Un simple oratoire est construit semble t-il. Selon
certaines sources, les moines vivaient dans des huttes. D'autres sources
affirment que le roi Gradlon curieux de la venue de ce religieux qui fait
des miracles, aurait logé les moines à sa cour. Qui prononce le nom de
Gradlon, fait remonter à la surface le mystère de la ville d'Ys et toutes
les légendes qui s'y rattachent. Aucune chance de retrouver une réalité
historique... Les terres de l'abbaye qui étaient une forêt celle de Land-Tévénec
qui se traduit par lieu abrité, fut un don du roi à son ami moine. D'autres
sources annoncent que le préfixe breton Lan signifie petit ermitage.
Ces moines aux cranes rasés au dessus du front ont la tonsure jusqu'aux
oreilles et les cheveux longs dans le cou. Habillés d'un lainage blanc
épais à capuche, recouvert de peaux de chèvre, ces moines ont été acceptés
par la population locale grâce à la réputation miraculeuse de l'abbé Guénolé.
Cet homme admiré meurt le 3 mars 532, parmi les moines, les bras levés
au ciel, acceptant la mort que lui avait annoncé un ange la veille au
soir.
Les règles de vie du monastère sont le silence, la prière, le dénuement,
l'isolement, le travail manuel et intellectuel...
Entre l'année d'implantation de la communauté en 485 et le 11ème siècle,
le développement patrimonial de l'abbaye de Saint Guénolé se fait au delà
de son rayonnement pastoral... Beaucoup de terres dans le Finistère actuel
appartiennent à l'abbaye. Les moines devenus bénédictins (ordre scots
à l'époque de Guénolé) sont propriétaires de nombreux moulins à vent en
presqu'île... Le sens de l'économie est au cœur des préoccupations monastiques.
La religion est un levier pour asseoir une hégémonie, la culture une source
de rayonnement intellectuel qui impressionne les illétrés. Le roi Gradlon
d'Argol nouvellement converti par Guénolé, fait don de ses terres à la
communauté religieuse... Il ne sera pas le seul. Les siècles passant,
l'accumulation de fermes, autour de la baie de Douarnenez et la rade de
Brest fait que l'abbaye de Saint Guénolé est devenue une puissance économique
incontournable.
La Noblesse laïque de la Presqu'île ne parvient pas à amoindrir le réseau
d'influence religieux. Et pourtant ce n'est pas faute d'avoir essayé de
reprendre des terres... D'autres seigneurs, par crainte de l'enfer et
par opportunisme social, œuvrent à l'assise de l'église et font construire
des chapelles pour prouver leur bonne foi !
Les terres sont des enjeux politiques. On découpe celles-ci en surfaces
plus longues que larges pour éviter qu'un héritier puisse revendre sa
terre au camp adverse. Les droits de passage sont des verrous. Le morcellement
était la hantise des familles nobles. Une hantise qui s'est transmise
dans les familles de paysans... Aujourd'hui encore le cadastre met en
évidence ce découpage.
Petit à petit cette influence sera reprise en charge par l'Evêché de Cornouaille.
C'est le commencement de la fin.
Le trafic commercial marin proche des côtes attire des curieux. Si les
Petits Bretons vont se frotter avec les Grands Bretons du Sud de l'actuelle
Angleterre, les Grands Bretons comprennent que la presqu'île de Crozon
est une terre d'abondance... Le cabotage local transporte des porcs jusqu'à
la Rochelle et ramène du vin, par exemple... Le minerai de fer "coule"
sur les sols alors que dans d'autres régions, il est rare...
Des Normands, des Vikings, d'autres malandrins, quelques navires espagnols
font aussi des razzias criminelles, il y a des tentatives de débarquements
anglais, hollandais... Périodiquement l'abbaye est détruite. Les moines
s'enfuient et reviennent reconstruire en plus grand... Question insécurité,
les Crozonnais vivent des drames durant des siècles jusqu'à une paix relative
et une révolution française qui change tout, ou presque...
Nombreuses sont les chapelles, avant même la révolution, qui sont tombées
en ruine. Si la ferveur religieuse subsiste et touche dorénavant la population,
cette population est pauvre et ne peut entretenir les églises. Depuis
longtemps, la royauté tente de briser le pouvoir de l'église. Dès lors
la noblesse, face à un clergé moins puissant, reprend ses prérogatives
et donne l'obole, rien de plus.
Après la révolution, en 1792, des enchères sont organisées mais échouent
car le prix demandé est trop élevé. 1796, Joseph Richard-Duplessis (négociant
membre du Directoire Départemental du Finistère - plusieurs hommes de
cette famille portent les mêmes prénoms dont l'un est maire de Brest de
1797 à 1799) achète l'abbaye seule pour 24000 livres vendue au titre de
bien national. Les plus belles pierres sont transférées à Brest. Les fermes
et les terres ainsi que la maison abbatiale sont achetées pour 10000 livres
par une certain Bouchet de Brest. En ce qui concerne l'abbaye, le nouvel
acheteur sera un nommé Guillaume Typhaigne, ancien officier, maire de
Landévennec (1803-1809). Charles Aveline ancien employé des octrois à
Brest "brièvement" propriétaire, endetté auprès de la famille
Rideau/Vincent des fours à chaux et briqueteries de Roscanvel, devient
vendeur. Méry Vincent acquiert les murs aux enchères pour la somme de
14300 livres pour en faire don à son fils Aristide. Aristide Vincent devient
maire de Landévennec (1837-1844) et fait prélever des pierres pour se
faire construire un four à chaux avec les matériaux. La famille Vincent
se défait de ses biens . Le docteur François Bavay est possesseur les
ruines de 1841 (1843 pour certaines sources) à 1873 (année de sa mort).
Certaines maisons de la presqu'île ont dans leurs murs des pierres de
l'abbaye de Landévennec. 1875, la famille du comte Louis de Chalus qui
en devient propriétaire après la vente des héritiers Bavay, arrête les
saccages et transmet les vestiges de l'abbaye à une nouvelle congrégation
bénédictine en 1958. La noblesse agissant pour le salut du clergé... Un
retournement politique judicieux pour sauver la mémoire des lieux qui
n'intéressaient plus personne.
48° 17' 26.1" N
4° 16' 1.2" O
Le cœur du domaine de l'abbaye, des hectares à perte de vue.
La gestion financière de l'abbaye
de Landévennec eut de graves conséquences économiques sur la Presqu'île
de Crozon en maintenant, dans une indifférence complète, un seuil de pauvreté
contraint par le régime féodal et clérical. Lutte de pouvoir entre ces
deux « factions » dominantes et dont la porosité ne fit qu'accroître les
inégalités avec pour seule régulation, une injustice organisée dans la
défense des privilèges au dépend des démunis. Qu'une aristocratie chercha
le gain à tous crins, le contraire eut surpris. Qu'une confrérie religieuse
œuvra aux bénéfices substantiels, cette détermination étonne tant la modestie
des biens terrestres semblait être l'apanage de la vie monastique.
L'abbaye de Landévennec en ces siècles de l'ancien régime ne fut ni pire,
ni meilleure que tout autre établissement religieux. Absence de charité,
détournements de fonds, falsifications de titres... Oppressions, démêlés
judiciaires... Rien de l'état d'esprit du bon chrétien.
Le moine Guénolé exista sans doute ; qu'il fut à l'origine d'une communauté
d'une douzaine de moines qui s'installa dans le doux écrin de Landévennec
pour y diffuser la nouvelle religion chrétienne en terre païenne, c'était
la vocation des moines que le prosélytisme. La réalité est qu'aucun texte
ayant résisté au temps, si tant est qu'il y en ait eu, n'a pu donner la
date de la fondation de la communauté qui selon les sources varie entre
le 5ème et 7ème siècle. Tout ce qui est connu aujourd'hui de la vie monastique
locale fut décrit par le moine Gurdisten vers 870, soit à minima deux
siècles après la mort de Guénolé. Le moine prit soin de réécrire et d'enluminer
la genèse de l'abbaye en dotant le célèbre moine de qualités divines.
Ainsi l'installation de l'abbaye par la bienveillance du roi légendaire
Gradlon, pour « service rendu », est un arrangement historique flou, définitivement
opaque.
Les évêchés se déterminaient par la cartographie des influences féodales
des seigneurs qui s'adossaient à l'organisation de l'église catholique
pour engranger les meilleurs avantages sachant que les évêques étaient
des fils de bonne famille. L'évêché de Cornouaille Bro-Gernev englobait
l'actuel Finistère Sud dont la presqu'île et le centre occidental de la
Bretagne avant le régime concordataire.
A l'intérieur même de l'église apparut une lutte à propos des prérogatives
des moines sur la gestion de leurs biens qu'ils voulaient indépendante.
Inversement, les évêques successifs demandaient des comptes et surtout
des retombées financières croissantes pour être remarqués de la papauté.
Ceux-ci étaient en liens avec le parlement de Rennes et déplaisaient autant
à la petite noblesse presqu'îlienne qu'aux moines souvent issus du peuple,
du moins d'un niveau social non titré. Les nobliaux prirent l'habitude
de faire des dons de parcelles aux moines afin d'entrer dans les faveurs
du ciel de sorte que l'accumulation des surfaces permit d'établir un vaste
domaine agricole qui venait en soustraction des possibilités de rayonnement
de l'évêché.
Le cartulaire (recueil de chartes et des titres) de 1050 de l'abbaye décrit
les possessions de l'abbaye. Les donations et possessions englobaient
Landévennec, Argol et Telgruc à plus de 98% des terres. Crozon (+ Lanvéoc),
Camaret, Roscanvel à 60% des terres en ce qui concerne la presqu'île de
Crozon. Certes, nombreuses étaient les terres à l'abandon, à défricher,
de peu de profondeur, et donc d'une culture plus que délicate mais cela
restait un patrimoine foncier qu'il fallut gérer. Un moine ordinaire n'avait
ni le temps, ni peut-être les compétences du comptable de sorte qu'un
abbé régulier était élu à chaque monastère. Une élection parfois tonitruante
et manipulée par l'évêché afin de placer un « connaisseur » ayant des
accointances avec les notaires et les aristocrates du cru ceci jusqu'au
concordat de Bologne.
Une douzaine de moines ne pouvaient entretenir et cultiver des milliers
d'hectares de sorte que le domaine de l'abbaye aussi vaste fut-il était
un domaine congéable. D'un côté le foncier (bailleur) propriétaire du
bâti, des terres et des bois nobles et de l'autre le domanier (fermier)
propriétaire de l'outil de travail, bâtis compris mais devant verser des
rentes et la dîme. Le fermier pouvait affermer les terres du bail... Dilution,,
éparpillements, malversations, litiges en tous genres...
Guerres de succession à chaque décès de l'abbé régulier. Règlements des
conflits par les évêques de Vannes et de Rennes qui fréquentaient la maison
du Duc de Bretagne.
Autre souci de légitimité, les désaccords de propriété en une époque où
le cadastre n'existait pas, où la noblesse et le clergé s'inventaient
des prérogatives et des droits illusoires par des documents falsifiés
qu'il fallait démêler dans des accords complexes et rarement appliqués.
La famille Rosmadec
était l'une des rares à nuire aux velléités expansionnistes des ecclésiastiques
car elle-même espérait une hégémonie régionale avec quelques aboutissants
honorifiques au royaume de France.
Bien que le concordat de Bologne entre François 1er, roi de France, et
Léon X, pape, data de 1516 et autorisant le monarque à nommer les évêques
et les abbés issus de sa noblesse selon ses désirs de contrôle de l'Eglise
quelque peu envahissante et trop argentée, le processus de la « commende
» se mit en place seulement en 1522 en presqu'île (10 ans avant le rattachement
de la Bretagne à la France) et l'abbé régulier de l'abbaye de Landévennec
devint un abbé commendataire. Le premier commendataire était un protégé
d'Anne de Bretagne, Thomas Le Roy qui occupa ces fonctions deux ans avant
de mourir. Les successeurs œuvrèrent avec modération jusqu'à la nomination
d'un prêtre breton sans carcasse, Pierre Loargan, qui se trouva propulsé
par l'entremise de deux nobles : René de Mesgouez seigneur de Kermoalec
et Troilus de Mesgouez marquis de la Roche. Ce dernier, ex page et amant
de Catherine de Médicis était maître en opportunisme, manigances et spéculations
jusqu'à mourir honni et ruiné. Mais du temps de sa splendeur, avec son
frère, ils mirent l'abbaye dans un grand dépouillement.
Vincent Le Grand, juge à Carhaix, recueille le témoignage des moines de
Landévennec, le 14 juillet 1603 pour éditer un procès verbal révélateur
:
« … Les moines seront contraints de quitter l'abbaye et leur profession
pour trouver d'autres moyens par lesquels s'entretenir. Ils nous ont encore
remontré que l'avarice desdits seigneurs de Kermoalec et marquis de la
Roche les aurait tant transporté qu'ils auraient pris la vaisselle d'argent
dédiée pour servir l'église, [ainsi que] crosse, calices, patènes, plats,
chandeliers et autres, et en auraient fait de la vaisselle de cuisine
pour leur usage particulier, [avec l'intention de] les lisser comme leur
propre à leurs héritiers. Ils auraient pris et fait rendre et fondre en
leur manoir de Trévalet, pour en faire servir de canons, deux des plus
grosses cloches de ladite abbaye... »
Seuls cinq moines (1597) acceptèrent de vivre dans cette abbaye sans fenêtre
et aux toits percés avec pour toile de fond les guerres de la Ligue qui
infiltraient des incursions protestantes dans la région avec pour apothéose
des famines et des épidémies. 1606, deux moines survivaient dans une demi
ruine. L'abbé incompétent mourut fort à propos tant on espérait s'en débarrasser.
Le successeur Jean Briant / Briand acquit la réputation de rénovateur
de l'abbaye. Un bienfaiteur de la congrégation selon certains écrits tardifs,
mais un gestionnaire strict quant aux taxations infligées à une population
que la main-mise de l'abbaye étranglait. Un abbé qui n'oublia pas de se
faire construire une maison
abbatiale sur place. Plusieurs groupes de moines demandèrent leurs
« mutations » pour cause de trop grande précarité entre les murs du monastère...
Autre dégradation : le patrimoine foncier en voie de dislocation faute
d'entretien et d'une claire gestion. Les paysans payaient indifféremment
des redevances aux seigneurs qui le demandaient ou au clergé qui l'exigeait
sur des parcelles éloignées de l'abbaye dont on ne savait plus la réelle
propriété tant les actes avaient été dénaturés au fil du temps. L'abbaye
se repliait et intensifiait ses prises de bénéfices sur la presqu'île.
Après la rehausse de Jean Briant qui confia 40 000 livres à son successeur
Pierre Tanguy, qui lui-même transmit sa charge à son neveu Jacques mort
en 1695, la décadence absolue. Les deux abbés Tanguy furent des fraudeurs
de haute volée, faussaires experts, percepteurs de rentes illégales, escrocs
majeurs. Pratiquant la déforestation aveugle pour de l'argent facile de
court terme ce qui eut pour conséquence, l'affaiblissement de la rentabilité
des forêts de Landévennec. Le Conseil de Rennes condamna Jacques Tanguy
avant d'octroyer le droit à des réparations auprès des héritiers des abbés
malfrats... L'abbaye était devenue une œuvre de malversation toujours
en défaveur de la population locale.
Bien qu'un tiers des revenus de l'abbaye était sensé revenir aux moines
(mense conventuelle), les frais de fonctionnement et d'entretien ordinaires
menaient les moines à l'emprunt et à la dette envers le diocèse qui profitait
de ce moyen de pression pour faire taire les moines.
Les annales des abbayes commendataires de 1742 notaient les finances de
l'abbaye :
Sous la gestion de Jacques-Philippe de Varennes de l'ordre de St Benoît,
nommé en 1713, versait 120 florins or à Rome pour un revenu de 4500 livres
déclaré. En comparaison, l'évêché de Quimper versait 1000 florins or au
Vatican et disposait d'un revenu auprès de 200 cures de 22 000 livres.
L'abbé de Varennes fut l'un des rares abbés à soutenir financièrement
les moines en réduisant sa part personnelle et celle de l'évêché. Réduire
la mense abbatiale revenait à réduire les perspectives d'une promotion
épiscopale.
Etat des finances de l'abbaye au 26 août 1766 :
Pension versée par l'abbé 1437 livres
Métairie de Penforn 105 livres
Dîme d'Argol et de Telgruc 1359 livres
Corvées de Landévennec 107 livres
Vente d'un bois de 2 arpents, 80 perches 180 livres
Rentes sur Tibidy 24 livres
Rentes de l'île de Sein 30 livres
Rentes sur la maison de Bel-Air de Quimper 96 livres
Rentes sur deux fermes de Guasquelliou 137 livres 7 sols
Une garenne 32 livres 2 sols
Rente sur l'Hôtel de ville de Paris 122 livres 10 sols
Versement pour offices claustraux 55 livres
Métairie de Gernévez d'Argol 61 livres
Fermage de 9 moulins 1773 livres
Rentes de la Chambrerie 107 livres
Versement à la sacristie 100 livres
Revenu des 6 prieurés 3209 livres 2 sols 2 deniers
Casuel 200 livres
Charges ordinaires 1289 livres 9 sols 4 deniers
Réparations ordinaires 2000 livres
Cette nomenclature n'éclaire pas tous les avantages financiers du monastère
/ seigneurie. Par exemple, revenait à l'abbaye, les redevances de trois
principaux bacs permettant de traverser la rivière Aulne autant pour les
échanges commerciaux, militaires, agricoles que pour les passages privés.
A chaque, embarquement un tarif qui au 18ème siècle était fixé par le
roi. Le passage de Landévennec lui-même était tarifé que l'on fut homme
ou bête à 1 sol 10 deniers et par quintal de marchandise 1 sol. Par manque
d'entretien à la charge de l'abbaye, la circulation des bacs était aléatoire.
Sans oublier les affaires de pêcheries...
Le pli de « l'indélicatesse » était pris, voici l'abbé Jean-Baptiste-Marie
Champion de Cicé (en fonction de 1746-1779) qui ne rêvait que d'une chose,
une nouvelle maison abbatiale digne de son nom et bien qu'interdite d'élévation
par l'autorité royale afin de pourvoir aux travaux urgents de l'abbaye
estimés à 20 000 livres, parviendra à ses fins ultérieurement tout en
sacrifiant une ancienne chapelle portant les armes de la famille de Rohan
et constituant un patrimoine identitaire ancien de l'abbaye auquel les
moines étaient attachés.
Une fois de plus, les moines fléchirent leur instinct de révolte qui gagnait
par le biais d'un courant Janséniste prônant la mesure en toute chose.
Bien leur en avait pris car le roi Louis XV institua en 1766 la « Commission
des Réguliers » surnommée la « Commission de la hache » favorisant la
fermeture des monastères ayant peu de moines (moins de neuf). Les relations
de l'abbé Champion de Cicé permirent de maintenir l'abbaye litigieuse
en 1769.
Les moines à plusieurs reprises s'opposèrent aux injonctions royales ou
se permirent de les critiquer parfois par écrit sous le couvert d'un esprit
janséniste trop aigu. Fort préoccupés de leur sort, leur éloignement de
la misère des habitants resta cependant coupable.
En cette fin du 18ème siècle, l'ancien régime était à bout de souffle.
Une enquête administrative commandée par l'abbé Champion de Cicé (dernier
abbé commendataire) datant du 20 février 1778 précisait à propos de la
presqu'île :
« Ce canton offre le tableau le plus triste ; à peine y voit-on quelques
parcelles cultivées et dont l'habitant puisse tirer pendant trois mois
sa subsistance, le surplus est en friche... On ne peut rejeter la désolation
qui règne dans cette contrée que sur la nature des possessions ; toutes
ces terres sont en général sous l'usement de Cornouaille, c'est-à-dire
qu'elles sont tenues à domaine congéable. »
S'il y avait le moindre doute que les occupants de l'abbaye de Landévennec
n'avaient pas conscience du malheur qu'ils perpétuaient, cette enquête
qui recommandait des remaniements pour octroyer des biens fonciers à la
seule charge des paysans afin qu'ils pussent se nourrir décemment plutôt
que de travailler pour rien ou presque, ou d'abandonner les terres, établissait
sans conteste le dévoiement clérical au bénéfice de la cupidité.
Vers 1779, une nouvelle gestion des biens de l'église apparut. Les fruits
de la gestion des monastères passèrent directement par l'évêché pour se
fondre dans la mense épiscopale. La méthode de suppression de la mense
abbatiale prit effet le 7 juillet 1784. Les moines et l'évêché furent
emportés dans un tourment, auparavant larvé, mais désormais béant alors
que des travaux essentiels attendaient un financement. On déboisa à outrance
à nouveau pour remplir accumuler des fonds. Le tiers revenant aux moines,
ils s'empressèrent de rénover le bâti du cloître au niveau de 21 000 livres,
pour le reste, l'argent se dilua on ne sut où.
Les moines étaient quatre à la veille de la Révolution française, effectif
insuffisant pour maintenir le monastère selon la commission de la hache
!
Les événements de 1789 et le démantèlement des biens religieux au profit
des biens nationaux fit sortir des réalités financières déplorables à
l'abbaye de Landévennec remarquées en 1790 :
Mense / revenu à l'année : 16060 livres 15 sols 7 deniers.
Dette : 34556 livres 9 sols 5 deniers.
Recouvrements en cours : 2709 livres 3 sols.
Une faillite d'autant plus manifeste que les terres revendues à la noblesse
durant des siècles réduisit la valeur foncière d'une seigneurie rapace.
Une abbaye dont les ferrures de la porte connut l'or durant le 17ème siècle
selon des descriptifs contemporains... exagérés ou non... Dans les années
grasses, le revenu de l'abbé, à son seul usage, flirtait avec les 1500
livres annuellement, nourri, logé, blanchi... Sans nécessité de prière
avec obligation de faire de l'argent, toujours davantage...
En l'an mille, l'abbaye possédait des terres dans 22 communes du Finistère Nord actuel dont deux à 60%. Plus les deux-tiers du Finistère Sud actuel à diverses densités territoriales avec des débordements à l'Ouest du Morbihan actuel et des Côtes d'Armor actuelles dans des densités modérées.
Porte cochère et porte piétonne à l'instar des demeures de la noblesse de l'ancien régime.
Blason en kersanton martelé à la Révolution probablement. Famille Tanguy supposée. Avec mitre (haut à gauche) et crosse (haut à droite). Ecartelé aux 1 et 4 d'argent à l'aigle cantonnée de deux étoiles, le tout de sable ; aux 2 et 3 d'azur à une colombe d'argent, portant dans son bec un rameau d'olivier de sinople. Les abbés Tanguy se sont plus à marquer de leur noblesse plusieurs sites : église de Landévennec, chapelle du Folgoat, église d'Argol. Des gestionnaires de la commende calamiteux mais imbus d'eux-mêmes...
Entablement du cintre de la porte cochère.
Détail d'un des deux pilastres.
Entablement du cintre de la porte piétonne.
Une lucarne haute du 19ème siècle de lamaison abbatiale.
Une première maison abbatiale avait existé au 16ème
siècle proche de la vie monastique mais ruinée au début du 17ème siècle
et sera rénovée en réfectoire pour les moines.
A l'extérieur et néanmoins à proximité du monastère de Landévennec,
là où aurait logé dans une "cabane" le moine Guénolé dans son
ermitage, l'abbé commendataire Jean Briant / Briand se fit construire
une simple "maison de campagne" sous sa dénomination déclarative
en 1619 que les témoins du bâti appelèrent manoir.
La maison abbatiale actuelle remplace l'ancien manoir du Penity de Jean
Briant qui fut démoli en deux temps vers 1885 et 1925 et qui se situait
sur la gauche de la nouvelle élévation. Cette nouvelle maison abbatiale
de Landévennec fut construite à la demande de l'Abbé Champion de Cicé
en 1769 pour étendre un premier bâtiment vieillissant qui fut détruit
ainsi qu'une chapelle aux armoiries de Rohan à la stupéfaction des moines,
avec pour remplacement des écuries. Ce n'était plus un bien religieux
après la révolution de 1789, il fut donc acheté avec sa métairie pour
la somme de 10000 livres par un investisseur Brestois, le Sieur Bouchet.
Ce bâti sera enfin la propriété de Mr Louis de Chalus, le protecteur des
ruines de l'abbaye de Landévennec.
Il y ajoutera, au 19ème siècle, un étage.
Les deux maisons abbatiales à leurs différentes époques logeaient les
admistrateurs et recevaient des intellectuels religieux bénédictins, pour
s'y reposer ou pour achever des recherches spécifiques.
Dom Noël Mars (1612 - 1702), un frère historien des monastères séjourna
à la première maison abbatiale. Il fut l'auteur d'un important descriptif
de l'abbaye.
Dom Louis Le Pelletier (1663 - 1733) fut de cela aussi. Cet homme d'église
linguiste œuvra pour la langue bretonne qui avait différentes origines,
et des développements locaux qui n'étaient pas répertoriés par écrit.
Il rédigea un dictionnaire à partir de 1716 (en l'abbaye de St Mathieu)
qu'il reformula en 1728 à Landévennec pour n'être publié qu'en 1752. Ce
religieux mourut à Landévennec après un séjour au Pénity...
Le nom donné à ce bâtiment est le "Penity", terme breton désignant un
ermitage, un lieu de recueillement ou de réflexion.
Bien souvent, la maison abbatiale bénéfiçiait de réparations à faire pâlir
les moines vivant dans un cloître qui prenait l'eau. Le domaine de l'abbé
est fermé au reste du monde par un mur dont le portail imposant montre
une volonté d'en imposer dans l'univers de la modestie monacale. Le blason
volontairement dégradé lors de la révolution serait celui de Pierre Tanguy
(successeur de Jean Briant) , un abbé commendataire corrompu de l'abbaye
de Landévennec, un clin d'œil du destin pour se souvenir des errances
de la commende.
Penity : à la bretonne. Pénity : à la française.
48° 17' 26.9" N
4° 16' 3.5" O
La vasière du Pâl de Landévennec est bordée par une continuité de perches (vestiges) dont l'origine est méconnue mais dont la disposition ressemble aux installations des pêcheries de l'abbaye de Landévennec du moyen-âge jusqu'au 18ème siècle.
Vestiges de perches sur la vasière du Pâl.
En premier plan le sillon du Pâl, ensuite sa vasière, puis les rangs de perches ruinées, en arrière l'Aulne / rade de Brest.
Les ruines de l'ancienne abbaye de Landévennec et son mur clos donnant sur la zone de pêche.
Le portail de l'abbaye qui donne sur le Pâl et les pêcheries...
La berge de l'abbaye est murée pour limiter les atteintes des marées.
Forts courants contraires entre la rivière et la mer.
Zone probable des pêcheries. A gauche, la rade de Brest et son eau de mer. En fond, à droite, la rivière du Faou en eau douce et enfin à droite, en premier plan, l'eau douce de la rivière Aulne, hautement fréquentée, fut un temps, par les saumons.
A la différence d'un vivier qui regroupe des pêches dans
un petit milieu clos en attendant la vente des poissons et des crustacés,
une pêcherie est un dispositif de capture installé sur le littoral, dans
un estuaire, dans une rivière ou un fleuve. « Barrage » fixe de pêche
qui remonte à l'antiquité. Le procédé consiste à planter des pieux jusqu'à
3,9 m de long (12 pieds) dans l'eau d'une zone de pêche de manière régulière
avec peu d'espace entre chacun d'eux. Dans la partie immergée la plus
profonde, il est nécessaire de croiser horizontalement des branchages
rectilignes comme lors d'un travail de vannerie. Sur la partie haute de
la « palissade » un filet de pêche en continu est tendu. Dans le cas de
l'abbaye de Landévennec, on ignore à partir de quelle époque les moines
installent des pêcheries sur l'estuaire de la rivière Aulne qui se jette
dans la Rade de Brest. L'abbaye ayant été à plusieurs reprises pillée,
des textes anciens nomment cependant Jean Briant / Brient, abbé de la
Commende de Landévennec en tant que restaurateur et moderniste qui décide
de remettre en ordre les pêcheries vers 1610.
Ensuite l'activité est décrite partiellement dans des concordats datant
essentiellement du 17ème siècle sachant que si les moines œuvrent avec
plus ou moins d'efficacité à l'entretien de deux pêcheries, ceux-ci sont
en litige constant avec l'abbé commendataire, le gestionnaire financier,
de l'abbaye à qui revient un tiers de la valeur des poissons capturés,
ceci étant, ce dernier doit fournir la quantité de bois utile à l'entretien
des pêcheries.
Une pêcherie qui enferme des saumons, des sardines, des thons, consomme
énormément de bois car les marées arrachent des pieux /perches et la navigation
fluviale vers Châteaulin en fait de même. L'abbé quant à lui est mandaté
pour faire des bénéfices et ces bénéfices viennent de la coupe de bois
de chauffage de jeunes arbres alors que la fabrication des pieux réclament
des bois d'un quart de siècle d'existence qui se vendent moins chers.
Trop gros pour la chauffe, trop petits pour la menuiserie. En l'absence
de bois adapté pour cause de coupes intensives ordonnées par l'abbé sur
les parcelles proches de l'abbaye, les moines parviennent difficilement
à se fournir par des coupes, sur des terres de l'abbaye, ce qui rend leurs
pêches bien ingrates. L'abbé, quel qu'il soit, accuse les moines d'être
des incapables et les moines assurent que l'abbé vend des bois à tort
et à travers pour des rentrées d'argent immédiates. La collecte des baliveaux
de treillage n'est guère plus aisée car les baliveaux sont les rejets
après une coupe pour devenir futaie ainsi, les moines ulcérés par les
procédures et les accords sans suite avec la commende, semblent abandonner
les pêcheries dès le début du 18ème siècle. Période d'abandon général
de la pratique...
Parmi les nombreux rapports de situation souvent destinés aux délibérés
de la Table de Marbre, haute instance juridique des Eaux et Forêts en
lien avec l'autorité royale, il est mentionné jusqu'à quatre pêcheries
au pied de l'ancienne abbaye qui devaient traverser le Pâl d'aujourd'hui
et plus encore. L'une aurait été d'une longueur de 1700 mètres (856 toises).
Lors d'une estimation de travaux de 1676, on parle alors de 3980 pieux
à changer. Preuve à charge des coûts d'entretien.
Les pêcheries bretonnes déplaisent aux rois de France.
• L'ordonnance royale de 1544 – François 1er, interdit
les pêcheries nouvelles qui se multiplient sur la côte bretonne. Les seigneurs
bretons feignent d'ignorer le rattachement de la Bretagne (1532) au royaume
de France. Le roi constate une privatisation du domaine maritime dont
les bénéfices lui échappent. L'ordonnance ne sera jamais respectée.
• L'édit du 15 mars 1584 (articles 84-85), conseillé par l'amiral
Anne de Joyeuse (Mignon) au roi Henri III régulant les pêcheries, tombe
aussi dans les oubliettes.
• L'édit du 4 février 1593 – Henri IV, fait interdiction
des pêcheries. Sans suite.
• 1629 – Louis XIII,: le garde des Sceaux, Michel de
Marillac, sous le Code Michau, republie les articles de l'édit de 1584
sans plus de succès.
• Ordonnance du 14 mars 1642 : Richelieu, Grand Maître de la
Navigation s'y risque et échoue.
• En 1669 – Louis XIV, une ordonnance royale interdit
les pêcheries sur les rivières et les fleuves à cause des incidents de
navigation. Pas de changement en vue même si les incidents de navigation
sont bien réels.
• Une réglementation nationale est publiée en 1681. Une version
bretonne (1684) pour tenir compte des droits des seigneurs bretons dicte
que les pêcheries d'avant 1544 peuvent être maintenue mais celles au delà
la date fatidique sont interdites et doivent être démolies. Des commissions
vont s'attacher, sur le terrain, à vérifier les prélèvements seigneuriaux,
les taxes, les droits pour exercer une pression directe. La projection
s'avère délicate, voire « politique ».
• Le 1er juillet 1726 – Louis XV, l'inspecteur général
des pêches pour les provinces de Flandres, Picardie, Normandie et Bretagne,
François Le Masson du Parc, adresse aux propriétaires des actions administratives
menaçantes pour qu'enfin les pêcheries disparaissent. L'envoyé du roi
joue avec le phénomène écologique de la préservation des alevins. Problème
de la ressource avéré mais ce n'est pas pour autant que l'exploitation
soit régulée.
• Le 17 septembre 1726 : publication de l'arrêt du Conseil
d’État qui ordonne le respect de l'ordonnance de 1544 et le corpus de
1681. Sans effet.
• 1733 : ciblage amirauté par amirauté des pêcheries à détruire
faute de preuve d'antériorité à 1544. Cependant, la royauté propose des
exceptions politiciennes qui vont devenir légion. Quant à poursuivre les
propriétaires fichés, les pêcheries sont sous-traitées à des fermiers
qui les sous-traitent à des fermiers pêcheurs qui ne savent ni lire, ni
écrire.
• Une commission extraordinaire vérifie méthodiquement les
droits littoraux à partir du 21 avril 1739. Commission alternative puisqu'elle
disparaît et reparaît durant des années, jusqu'en 1755.
Ce sont les plaintes de plus en plus récurrentes des marins navigateurs
qui vont venir à bout de cette résistance à l'autorité royale. Les caboteurs
s'empalent sur les pieux des pêcheries et les dégâts sont coûteux. En
plus de cela, les pieux facilitent l'ensablement des passes. Ajouté au
fait que la rentabilité des pêcheries est de plus en plus discutable,
les nobles et le clergé abandonnent la pratique d'eux-même sans l'aide
des rois.
En ce qui concerne, les pêcheries de Landévennec, il ne semble plus y
avoir trace de cette pêche mi 18ème siècle. Probablement, une « faillite
» et non une soumission.
Il semblerait qu'il y ait eu une ou plusieurs tentatives de viviers menées
par les moines...
La première pierre de la nouvelle abbaye de Saint Guénolé
à Landévennec est posée par le Cardinal Roques archevêque de Rennes le
10 mai 1953. L'abbaye est construite sur des plans de l'architecte Yves
Michel. Les vitraux sont des réalisations de Maurice Rocher.
L'imposant bâtiment a été réalisé par tranches jusqu'en 1965. L'inauguration
se fit le 7 septembre 1958 afin de d'accueillir au plus vite la communauté
des moines bénédictins de la Congrégation de Subiaco venus de l'abbaye
de Kerbénéat de Landerneau dont le père supérieur était l'abbé Louis-Félix
Colliot qui s'était beaucoup investi dans ce projet et ceci jusqu'en 1970.
Projet qui fut rendu possible parce que la famille de Chalus , propriétaire
privé des terres et des ruines de l'ancienne abbaye, avait endigué la
dislocation du patrimoine religieux. Les de Chalus avaient accepté le
principe des visites du public et rêvaient d'une réinstallation monastique.
48° 17' 15.2" N
4° 16' 10.2" O
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