Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin commence par l'extrait qui suit concernant l'anse de Dinan en Crozon qui donne sur la mer d'Iroise. Paysages inoubliables surtout quand l'enfance s'en imprègne.
"Une vallée plate, ouverte sur l'océan [mer d'Iroise NDLR].
De chaque côté des petits villages gris(1) : Goullien [Goulien NDLR],
Gaoularc'h, Kerlero(2), Kersiguenou, Kered [Kerret NDLR], Kersued [Kersuet
NDLR]... Derrière la dune, un pays sans arbres(3), mais entre les villages
un damier de petits champs cultivés(4) et de prés bordés de haute lande,
de prunelliers, d'aupépiniers(5) courbés par le vent de la mer(6)... Au-delà
des dunes une immense plage de sable fin, avec pour décor, tout près,
à gauche, le "château de Dinant"(7), à droite au loin "les Tas de Pois"
[pointe de Pen-Hir NDLR] de Camaret qui, le soir disparaissaient dans
la brume ou s'incrustaient en noir sur le ciel du couchant.
C'était une plage déserte, pure, propre(8)... Au pied des dunes, de gros
cailloux de porphyre, de quartz et de schiste s'enfonçaient à demi dans
le sable sec. Au dessous, des trésors de coquillages polis par la mer(9),
et, bien souvent par une seule trace de pas sur la vaste de lieue de sable
dur que la courbe écumante et grondante des vagues assaillait d'un seul
élan. C'est sur cette "fin de terre"(10), dans ce pays du bout du monde(11)
que je passais les vacances d'été."
Notes :
1 Les villages traditionnels (penty
= maison & mel = moulin
sont en pierres apparentes souvent locales : schistes
et surtout grès
à l'exception des pierres d'appareillage des linteaux
et encadrements importées en kersanton
très souvent et quelques granits
plus rarement. Au début du 20ème les nouvelles maisons plus hautes, avec
un étage et un grenier sont crépies
au ciment gris, une modernité de l'époque, ceci pour les fermes cossues
et les maisons de ville.
2 Le hameau de Kerlero n'apparaît sur aucune carte. Kerloc'h,
Kerellou existent. A noter l'évolution orthographique des noms des hameaux
jusque dans les années 1950/60. Une sorte de francisation simplifiée inexplicable,
quand d'autres dénominations passent les siècles. Sans oublier les noms
des rues remis en cause. Sans oublier les hameaux
qui disparaissent faute d'habitants.
3 Aujourd'hui, c'est un peu moins vrai, quelques arbres plantés existent
et des fourrés se multiplient par manque d'entretien mais en 1914 comme
durant des siècles, la partie occidentale de la presqu'île
de Crozon est vierge de tout arbre. L'impression de désert vert saute
aux yeux des explorateurs de passage au 19ème siècle.
4 Le culture en parcelles
date du 19ème siècle quand, après bien des décennies de dislocation des
terres seigneuriales ou de l'Eglise souvent vaines,
le petit paysan parvient a acheté des lots de survie. La révolution ne
sait pas faite en un jour mais en un demi-siècle.
5 Le mot aubépinier n'existe pas seule l'aubépine a son piquant.
6 Ce n'est pas une question de vent mais d'eau salée. Cette dernière
issue des embruns grillent les bourgeons côté mer. Les bourgeons côté
terre survivent. Les végétaux se développent de manière déséquilibrée
et penchent côté terre.
7 Pointe de Dinan, la francisation a fait perdre le t. Le château
imaginaire des Korrigans.
8 A environ un siècle d'écart de vue, les microplastiques
souillent désormais le rivage, la propreté évoquée n'est plus. Quant à
la fréquentation, la période estivale est plus agitée qu'auparavant et
à la hausse mais rien qui ne ressemble aux plages du Sud de la France
!
9 Le sable de la plage du/de Goulien suivi de celui de la plage de
Kersiguénou, puis de Kerloc'h est un sable
coquillier. Il a participé à la construction de la base
de l'Ile Longue.
10 Fin de Terre = Pen ar Bed = Finistère
11 Bout du Monde ! Bien que les pointes de la presqu'île
de Crozon ne soient pas les plus avancées du Finistère vers le ponant,
les presqu'îliens se considèrent être les habitants du bout du monde avec
autant de fierté que de dépit... L'éloignement un vaste sujet qui apparaît
à chaque campagne électorale municipale et qui se volatilise ensuite.
Vivre en presqu'île est une mise à l'écart qui peut être heureuse dans
l'aisance, ou malheureuse en cas de soumission à une vie démunie.
L'anse de Dinan ses porzhs au Sud (petits ports provisoires de la saison de pêche), l'occupation romaine, les chasse-marées, la vieille batterie, les terrains de manœuvres militaires, la présence des régiments territoriaux, 14-18, les défenses allemandes Cr6, Cr7, Cr8, la zone d'engraissement, ses algues rouges...
Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin évoque une tante : Anaïk. Une femme crozonnaise dans son costume(1) au quotidien et de cérémonie avec pour langue maternelle le breton. L'évocation se situe vers 1914 et les années qui suivent. Soumission sociale et linguistique...
"... tante Anaïk s'efforçait de me distraire et de m'occuper.
C'était une femme mince et solide, avec un regard et un sourire qui faisaient
croire en la bonté : chacun savait qu'elle était là pour accueillir, pour
aider, pour consoler. Toujours vêtue du costume des Crozonnaises : corsage
ajusté et jupe noire froncée à la taille, elle portait sur la tête un
fichu de coton blanc imprimé qui la protégeait du vent et du soleil. La
coiffe(2) ronde, le grand châle, le tablier de soie étaient réservés pour
la messe du dimanche, les courses au bourg et les jours de pardon...
... Elle ne parlait pas du tout le français(3), mais elle le comprenait
bien. Moi, je comprenais bien le breton, mais je n'essayais pas de parler
dans cette langue puisque je me faisais comprendre en français ! Ainsi
sans parler la même langue nous arrivions, même au cours de longues conversations,
à nous entendre parfaitement, ce qui amusait notre entourage..."
Notes :
1 Les costumes traditionnels bretons de la femme sont
extrêmement codifiés. Ils doivent annoncer si la femme est célibataire,
promise, mariée, en grand deuil, en deuil mais... L'embellissement de
la robe lors des pardons (cérémonies religieuses) doit être à la fois
une preuve d'humilité devant le seigneur mais signifier aussi le statut
social, surtout si la jeune-fille, entourée de ses parents, doit être
mariée au plus tôt. Côté homme, la règle qui prédomine est le statut social
et pas davantage.
2 La presqu'île
de Crozon se divise en deux cultures vestimentaires principalement
symbolisées par la coiffe des femmes. Les deux tiers Ouest de la presqu'île
(Roscanvel,
Camaret-sur-Mer,
Crozon,
Lanvéoc,
Telgruc-sur-Mer)
appartiennent à une identité propre dont la coiffe
Penn Sardin et sa dérivée la coiffe Penn Maout déterminent cette apparenance.
Les communes d'Argol
et de Landévennec,
à l'Est appartiennent au pays Rouzig et privilégie la coiffe
Sparl / Sparleen aux ailes d'hirondelle et aux plumes d'alouette pour
les cérémonies. Ceci peut paraître anecdotique, mais, à moins qu'il y
ait eu des intérêts majeurs, les deux communautés ne se fréquentaient
pas s'estimant étrangère l'une à l'autre. Par contre, en cas de malheur,
les barrières tombaient le temps des urgences et des souffrances...
LE DRAME DE LA LANGUE BRETONNE.
3 25 décembre 1793, la loi Louis-Joseph Charlier rend
l'école laïque obligatoire et gratuite. La loi sera vite défaite de sa
substance, subsiste néanmoins le corollaire indispensable : la langue
française pour tous citoyens.
En 1794, l'avocat révolutionnaire, Bertrand Barère de Vieuzac, éminent
orateur de l'Assemblée nationale constituante, charge les langues régionales
dont le breton qui est la langue parlée à 90% en Bretagne. Seuls les administratifs
et les commerçants ont une connaissance de la langue française, le peuple
est illettré et s'explique dans sa langue ancestrale avec des nuances
locales tant une vie repliée correspond aux modes d'existence d'alors.
Chaque groupe social développe des habitudes spécifiques en vase-clos
qu'il faut nommer pour se comprendre.
L'homme politique persuadé que la liberté des peuples passent par la connaissance
des lois rédigées en français, unique langue envisageable, ne s'empêche
pas de mépriser la langue bretonne : jargons barbares - idiomes grossiers
- règne du fanatisme - Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton...
Il propose par le biais du comité de salut public d'envoyer un instituteur
français en chaque nouvelle commune. Il n'est pas le seul convaincu, l'abbé
Grégoire enfonce le clou dans son Rapport sur la nécessité et les moyens
d’anéantir les patois et d’universaliser la langue française. Au nom de
la Liberté !
Le décret du 27 janvier 1794 qui en découle ne sera pas appliqué, cependant
l'enseignement naissant aux rares communes qui ont les moyens, se fait
en français. L'école n'est une attente pour personne en cette période
agitée. L'élite a son enseignement particulier ; quant au peuple, il préfère
des bras plutôt que des têtes, question de survie au jour le jour... Les
envolées politiciennes parisiennes sont lointaines et peu traduites sur
place. De cette Révolution, on sait peu...
La diffusion scolaire poussive faute de financements, impose néanmoins
un enseignement français avec interdiction aux élèves de parler breton.
Une multitude de dispositions ministérielles durant des décennies, a déterminé
la suppression de la langue bretonne avec des commentaires humiliants,
des menaces, des répressions administratives. Des écoles privées catholiques
ont organisé des résistances car perdre le breton c'était s'éloigner des
paroissiens mais en vain d'autant que la proximité de l'Eglise avec les
aristocrates en déroute ne plaît pas à la population. L'anticléricalisme
prend une tournure politique qui sera sans cesse croissante jusqu'à la
séparation de l'Eglise et de l'Etat (1905).
A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème, depuis l'école obligatoire,
les enfants ont souffert de devoir parler français alors que leurs familles
étaient bretonnantes. Pire sans doute, l'école s'ouvrait à 6 ans jusqu'à
13 ans minimum, de sorte que les premières années de leur vie, les enfants
parlaient le breton, puis brutalement le français, et enfin revenaient
souvent à bilinguisme approximatif s'ils ne quittaient pas leur région
natale pour faire fortune ailleurs. Ces enfants devenus des anciens à
leur tour narraient encore toute la dramaturgie de leur vécu comme si
le traumatisme ne les avait jamais quitté. Peur d'avoir un accent breton
à l'école – la violence des enseignants d'alors n'est pas une vue de l'esprit,
peur de ne pas être compris de leurs parents... Des parents voyant leurs
progénitures effacer leur culture au nom d'une Liberté républicaine promise...
Les témoignages des années 1980 / 2000 se firent aux larmes mais en breton.
Les victimes se retrouvaient dans les cafés à partager des souvenirs jusqu'aux
pleurs, hommes ou femmes confondus, et si une oreille française écoutait,
elles se taisaient comme si des représailles étaient encore possibles.
France, terre des libertés en suspend. Désormais la survivance de la langue
bretonne passe par un enseignement assujetti aux moyens financiers qui
lui sont attribués, par la république qui prétend valoriser les langues
régionales appartenant au patrimoine immatériel de la France. Le breton
autrefois exclu, se trouve inclut selon les vicissitudes politiciennes.
Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin évoque un oncle consommant du tabac à chiquer.
"L'oncle Yvon chiquait... Quand il ne la logeait pas dans le pli de son béret bleu, sa chique gonflait sa joue gauche entre l'œil rond et la cicatrice, et cette bosse contribuait à lui donner l'air d'un forban !"
Chiquer, ce que firent des générations populaires.
Mâcher un morceau de tabac compacté en barrette. Il fallait un sérieux
coup de dents pour couper une part de chique. Ensuite une mastication
machinale que l'on retrouve dans la consommation du chewing-gum, s'éternisait
plusieurs heures. Chaque homme portait sa chique enveloppée de son emballage
dans une poche, dans un berret, qu'importe, ne pas en avoir provoquait
un manque physique et pour cause, le taux de nicotine était élevé. Une
partie de la salive envoyait le jus dans les boyaux ! Le trop-plein était
craché. Le jus marron projeté aux alentours était ragoutant, mais ne pas
chiquer n'était pas masculin ! Une fois la saveur disparue, la chique
était recrachée avec un bruit d'expulsion inimitable. A ne pas confondre
avec le tabac à priser des aristocrates et des bourgeois, bien souvent,
qui reniflaient un tabac en poudre sorti des tabatières luxueuses…
La chique provoquaient des problèmes dentaires, dents jaunes et déchaussées…
Les plaisirs des paysans pêcheurs étant rares en dehors de l'ivresse par
excès d'alcool, les femmes* préféraient un homme qui chiquait qu'un pilier
de débit de boissons. La cigarette démocratisée prendra le relais avec
les gitanes papier maïs, les gauloises de troupe par exemple. En presqu'île
de Crozon par la présence de contingents
militaires, fumer fut vite adopter, tout particulièrement le 87ème
RIT de faction sur les côtes.
Les mots chique, chiquer catalogués parmi le langage familier ont aussi
un sens figuré… C'est du chiqué, il fait semblant de… On disait aussi,
je lui est coupé la chique : je lui ai coupé la parole, coupé son assurance.
Mots en désuétude néanmoins.
* Certaines femmes, plutôt âgées, fumaient la pipe.
Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin évoque l'étranger du village voisin. Méfiance au couteau et entraide naturelle, des sentiments partagés spécifiques en Bretagne.
C'était un grand plaisir de se retrouver à certaines
heures avec les groupes d'enfants en liberté qui venaient de toutes les
maisons de la vallée. [...] Des troupes d'enfants plus ou moins nombreuses
variaient donc souvent, suivant les obligations et les fantaisies des
uns et des autres. Elles accueillaient tous les enfants, garçons et filles
des petits villages de notre vallée. Mais ceux qui venaient d'ailleurs
étaient pour nous des "étrangers". [...] Nous observions une
petite silhouette qui venait de loin, du côté de Kersiguénou.
[...] Dans notre groupe les garçons avaient tiré leurs couteaux(1)
et le tenaient à hauteur de la poitrine, la pointe en avant... et j'en
avais fait autant !
L'"étranger" ne semblait pas avoir peur, il cria, bien fort
en breton :
– Je m'appelle Jean. Je suis mignon à vous, "me zo mignon
doc'h".
Cela voulait dire : je viens en ami, je ne vous veux aucun mal.
Yaouen l'interpella :
– Où habites-tu ?
– A Saint-Philibert
– Que viens-tu faire chez-nous ?
– Je viens ramasser des petits cochons pour ma sœur qui
fait un coffret de coquillages.
Yaouen appuya sur la pointe de son couteau qui alla se ficher dans le
sable et tous l'imitèrent.
– Bon, on va te montrer les bons coins et on va t'aider.
Chacun rangea son couteau et ensemble on se dirigea vers les rochers à
gauche de la plage, "du côté de Dinant" [Dinan
NDLR]. Jean eut dans ses poches plusieurs poignées de ces petites "porcelaines"
roses(2) que nous appelions "petits cochons" pour retourner
à Saint Philibert, un village situé de l'autre côté du coteau à trois
cents mètres seulement de notre village de Kersued ! [Kersuet NDLR]
On se sépara amicalement.
– Kenavo a wech all Jean !
Au revoir Jean à la prochaine fois !
J'ai pensé plus tard que, dans les gestes de ces enfants survivait sans
doute le souvenir des rivalités anciennes, du temps où les pilleurs
d'épaves défendaient leur butin contre les clans voisins.
Notes :
1 Les faits divers d'antan regorgent de bagarres aux couteaux
sur fond d'ivresse dans les ports. Camaret-sur-Mer cumulait les rixes
civiles et militaires. L'ennui général étant là, la moindre provocation
se réglait à coups de surins. Le pêcheur ne quittait jamais son couteau
et le soldat en avait un non réglementaire au cas où. Le casernement
de Lagatjar était parfois interdit de sortie le soir venu. A Roscanvel,
les beuveries militaires faisaient peur à la population surtout les femmes.
2 Gibbule rose / Troque-Mage / Gibbula Magus.
Aujourd'hui, si les distances se sont réduites par
l'usage de l'automobile, l'appartenance à une localité plus qu'à une autre
reste forte. Un habitant de Camaret-sur-Mer
n'est plus un étranger pour un habitant de Crozon,
néanmoins un camaretois n'est pas un crozonnais quels que soient les efforts
d'intégration. Plus révélateur encore, un camarétois qui emménagerait
à Crozon vous affirmera sans détour qu'il n'est pas "d'ici", il s'empressera
de vous révéler qu'il est de Camaret, plus précisément si nécessaire,
un portuaire ou un terrien de coteau…
Dans le cas de médisances au coin d'une rue, le quidam douteux est davantage
stigmatisé par sa localisation "étrangère" que par sa personnalité répréhensible
même si celui si habite à quelques kilomètres à vol d'oiseau…
Le point d'attachement reste important pour les presqu'îliens, l'origine
locale est une fierté impérissable tant que la presqu'île
de Crozon reste la terre natale. Ce besoin d'appartenance se dilue
quand pour des raisons sociales le gentilé quitte la presqu'île. La nostalgie
plus ou moins vive prend le relais sans être coiffée d'une fierté quasi
exubérante. Pour le mariage
il en va de même, on se marie entre voisins si possible !
Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin évoque le penty breton - maison traditionnelle familiale vers 1914. Puis la ferme dans son ensemble. Cette propriété rurale correspond à des biens basiques du début du 20ème siècle bien plus significatifs que ceux des siècles précédents. Un indice précieux d'une amélioration mesurée du niveau de vie des pêcheurs paysans de la presqu'île de Crozon après des siècles de pauvreté endémique entretenue par l'Eglise et la Noblesse... Quoiqu'il en soit la description est le témoignage d'un habitat type aujourd'hui occupé par des "étrangers" propriétaires de maisons secondaires qui valent une fortune pour peu que la mer soit visible à vue d'œil. Après la seconde guerre mondiale, un à un, les pêcheurs paysans renoncent à leur style de vie trop sévère. Les propositions d'achat sont nombreuses et tentantes sous l'influence de notaires cupides qui font des ventes à la journée. Les familles traditionnelles rêvent désormais d'une maison sèche en parpaings crépis, avec chauffage central dans les chambres et le confort des années 1960, l'eau au robinet, les toilettes, la salle de bain, la table en formica, puis la machine à laver, la télévision... En finir avec la campagne avec vue sur la mer que l'on ne peut plus voir même en peinture, on préfère s'approcher du bourg et des commodités, l'attirance pour lamodernité est plus forte que tout pour vivre comme tout le monde... Cette transformation eut été plus rapide si les offres d'emploi avaient été plétoriques.
"Car il n'y avait pas d'autre éclairage dans la pièce
que celui d'un grand feu d'ajonc sur lequel se courbait la tante Anaïk
pour cuire les épaisses petites galettes de blé noir sur le le large "bilic"
[bilig NDLR] de fonte.
On prenait place sur le "banc tossel" qui s'appuyait au lit clos.[...]
Au bout de la table, sous la fenêtre s'arrondissaient par ordre de tailles,
dans leurs enveloppes de lin, l'énorme pain d'orge, le pain de froment
de douze livres et le petit pain de seigle. On n'y touchait pas les soirs
où l'on mangeait à sa faim les délicieuses galettes beurrées en buvant
des bols de lait frais.[...]
Les deux lits clos de merisier luisaient doucement, leurs rideaux de couleurs
vives et les assiettes à fleurs au-dessus de la cheminée et dans le vaisselier
s'éclairaient soudain lorsqu'on jetait dans le feu une brassée d'épines...[...]
C'était l'heure d'aller chercher de l'eau fraîche à la fontaine. Ensuite
il fallait nourrir les poulets, conduire les bêtes aux près, parfois barrater
le beurre...[...]
On se sentait à l'abri, derrière ses murs épais ; son sol de terre battue
réclamait pour tout ménage le balai de genêts deux ou trois fois par jour.
Le pinceau effaçait à chaque printemps les traces enfumées sur les murs
blanchis à la chaux que décoraient les photos de marins, de mariés et
de communiantes. Le vaisselier était plein de solides faïences ; sur les
bols et les assiettes on pouvait voir des fleurs aux couleurs vives, des
coqs rouges, et aussi lalune et les étoiles.
Attenant à notre lit clos, à droite de la cheminée une armoire de merisier
se mettait à l'alignement. Elle s'ouvrait sur des bassines de lait, la
motte de beurre, quelques provisions d'épicerie, les quatre ou cinq bouteilles
de vin qui attendaient les visiteurs et les jours de fête, en compagnie
d'une ou deux bouteilles de liqueurs rapportées d'Espagne ou du Portugal
par les marins.
Cette grande armoire étant moins large que le lit clos, derrière logeait
le charnier de lard salé, une caisse de pomme de terre, un panier de légumes
cueillis dans les champs et deux grands seaux d'eau. On accédait à cette
réserve par l'espace étroit laissé entre l'armoire et la cloison de bois
peinte en blanc.
De l'autre côté de cette cloison près de la porte, dans le couloir, un
seau d'eau était posé sur un petit tabouret au dessous d'une louche suspendue
à un clou : c'était là de l'eau fraîche qu'on allait chercher deux ou
trois fois par jour à une fontaine située à deux cents mètres de la maison.
On buvait à même la louche, on jetait dehors le reste de la louchée, et
il y avait souvent quelqu'un pour dire : – "on a de la
chance d'avoir une eau aussi pure et aussi fraîche".
C'était, avec le lait, la seule boisson journalière de la maison : on
ne faisait pas de cidre dans ce pays sans pommiers.
Une deuxième porte dans une cloison donnait accès de l'autre côté du couloir
à la pièce qu'on appelait "Goulen-Ty" et qui n'était pas un
lieu de séjour.
Là, à droite, une grande armoire de merisier contenait les draps et tout
le linge de la famille. Comme dans la salle, elle s'arrangeait en façade
avec un très ancien lit clos de bois sombre sculpté de fleurs et d'oiseaux.
C'est là que dormait le frère aîné de Soisik avant son mariage. Maintenant
c'était le jeune frère de maman et de tante Anaïk, Jean-Marie, qui l'occupait
quand il n'était pas en mer.
Derrière l'armoire se cachaient, suspendus à des clous, les habits de
travail qui servaient dans les champs.
Sur le mur du fond, en face de la porte, une petite armoire peinte en
bleu et vert comme une armoire de navire, contenait les coiffes empesées,
les habits de fête soigneusement rangés.
A sa droite des cirés accrochés à une patère de bois et une paire d'avirons
rappelaient que les hommes de cette maison étaient d'abord des marins
avant d'être des paysans.
Devant la petite fenêtre, à gauche, s'entassaient sur une longue table
des filets, des casiers pour la pêche, des paniers pour la récolte des
légumes.
Dans la grande armoire, entre deux draps, il y avait les papiers de famille,
et aussi tout l'argent de la maison. On la fermait à clé et la clé était
posée dans le premier rang du vaisselier... comme d'habitude dans presque
toutes les maisons de la vallée !
Quand on sortait, on "clavait" la porte en enfonçant une chevillette
de bois attachée à une ficelle dans un trou du mur.[...]
Attenant à la maison se trouvait le petit logement du cochon [soue NDLR].[...]
En face, l'étable des trois vaches : Guen, Pendu et Mignonne.[...]
Venaient ensuite l'étable des quatre moutons que je conduisais souvent
au pâturage, et la maison des poulets voraces, nourris de bon grain, qui
crillaient et se battaient lorsqu'on leur jetait les coques des crevettes
et qui couraient, affolés dans tous les sens quand un hydravion de la
base de Camaret [CAM 59 NDLR] survolait la maison.
Et, enfin un très grand hangar abritait la charrette, les outils pour
le travail des champs, et aussi le cheval qui avait dans un coin sa mangeoire
et sa litière. Celui-ci s'appelait simplement "Marc'h Bihan"
: " Petit cheval" [littéralement Cheval Petit NDLR] [...]
Dans un coin du hangar on voyait un étrange instrument : "un moulin
à lande" [hâche lande NDLR]. Je trournais la manivelle pour broyer
les ajoncs avant de les donner à manger au cheval. Marc'h Bihan attrapait
les épines avec ses babines et les mâchait comme si elles étaient des
herbes tendres.[...]
Derrière le hangar le "mulon" de paille où l'on pouvait se creuser
une tannière les jours de grand vent, et derrière les étables, le fumier
qu'on ne laissait jamais pourrir devant la maison.
Si on ajouutait à ces biens une petite "plate", barque cent
fois peinte et reeinte qu'on laissait sur la dune dans un coin abrité,
quelques champs par ci, quelques prés par là, on avait fait tout le bilan
de la richesse familiale. Notre maison [penty NDLR] était pareille à toutes
les petites maisons de nos villages ; chaque famille était en général
propriétaire de son modeste bien et fière de son indépendance."
"Mon beau pays perdu", Jane Auffret-Quintin. Préface d'Henri Queffélec. 1989
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