L'anse de Dinan en Crozon au début du 20ème siècle

Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin commence par l'extrait qui suit concernant l'anse de Dinan en Crozon qui donne sur la mer d'Iroise. Paysages inoubliables surtout quand l'enfance s'en imprègne.

"Une vallée plate, ouverte sur l'océan [mer d'Iroise NDLR]. De chaque côté des petits villages gris(1) : Goullien [Goulien NDLR], Gaoularc'h, Kerlero(2), Kersiguenou, Kered [Kerret NDLR], Kersued [Kersuet NDLR]... Derrière la dune, un pays sans arbres(3), mais entre les villages un damier de petits champs cultivés(4) et de prés bordés de haute lande, de prunelliers, d'aupépiniers(5) courbés par le vent de la mer(6)... Au-delà des dunes une immense plage de sable fin, avec pour décor, tout près, à gauche, le "château de Dinant"(7), à droite au loin "les Tas de Pois" [pointe de Pen-Hir NDLR] de Camaret qui, le soir disparaissaient dans la brume ou s'incrustaient en noir sur le ciel du couchant.
C'était une plage déserte, pure, propre(8)... Au pied des dunes, de gros cailloux de porphyre, de quartz et de schiste s'enfonçaient à demi dans le sable sec. Au dessous, des trésors de coquillages polis par la mer(9), et, bien souvent par une seule trace de pas sur la vaste de lieue de sable dur que la courbe écumante et grondante des vagues assaillait d'un seul élan. C'est sur cette "fin de terre"(10), dans ce pays du bout du monde(11) que je passais les vacances d'été."





Notes :
1 Les villages traditionnels (penty = maison & mel = moulin sont en pierres apparentes souvent locales : schistes et surtout grès à l'exception des pierres d'appareillage des linteaux et encadrements importées en kersanton très souvent et quelques granits plus rarement. Au début du 20ème les nouvelles maisons plus hautes, avec un étage et un grenier sont crépies au ciment gris, une modernité de l'époque, ceci pour les fermes cossues et les maisons de ville.
2 Le hameau de Kerlero n'apparaît sur aucune carte. Kerloc'h, Kerellou existent. A noter l'évolution orthographique des noms des hameaux jusque dans les années 1950/60. Une sorte de francisation simplifiée inexplicable, quand d'autres dénominations passent les siècles. Sans oublier les noms des rues remis en cause. Sans oublier les hameaux qui disparaissent faute d'habitants.
3 Aujourd'hui, c'est un peu moins vrai, quelques arbres plantés existent et des fourrés se multiplient par manque d'entretien mais en 1914 comme durant des siècles, la partie occidentale de la presqu'île de Crozon est vierge de tout arbre. L'impression de désert vert saute aux yeux des explorateurs de passage au 19ème siècle.
4 Le culture en parcelles date du 19ème siècle quand, après bien des décennies de dislocation des terres seigneuriales ou de l'Eglise souvent vaines, le petit paysan parvient a acheté des lots de survie. La révolution ne sait pas faite en un jour mais en un demi-siècle.
5 Le mot aubépinier n'existe pas seule l'aubépine a son piquant.
6 Ce n'est pas une question de vent mais d'eau salée. Cette dernière issue des embruns grillent les bourgeons côté mer. Les bourgeons côté terre survivent. Les végétaux se développent de manière déséquilibrée et penchent côté terre.
7 Pointe de Dinan, la francisation a fait perdre le t. Le château imaginaire des Korrigans.
8 A environ un siècle d'écart de vue, les microplastiques souillent désormais le rivage, la propreté évoquée n'est plus. Quant à la fréquentation, la période estivale est plus agitée qu'auparavant et à la hausse mais rien qui ne ressemble aux plages du Sud de la France !
9 Le sable de la plage du/de Goulien suivi de celui de la plage de Kersiguénou, puis de Kerloc'h est un sable coquillier. Il a participé à la construction de la base de l'Ile Longue.
10 Fin de Terre = Pen ar Bed = Finistère
11 Bout du Monde ! Bien que les pointes de la presqu'île de Crozon ne soient pas les plus avancées du Finistère vers le ponant, les presqu'îliens se considèrent être les habitants du bout du monde avec autant de fierté que de dépit... L'éloignement un vaste sujet qui apparaît à chaque campagne électorale municipale et qui se volatilise ensuite. Vivre en presqu'île est une mise à l'écart qui peut être heureuse dans l'aisance, ou malheureuse en cas de soumission à une vie démunie.

L'anse de Dinan ses porzhs au Sud (petits ports provisoires de la saison de pêche), l'occupation romaine, les chasse-marées, la vieille batterie, les terrains de manœuvres militaires, la présence des régiments territoriaux, 14-18, les défenses allemandes Cr6, Cr7, Cr8, la zone d'engraissement, ses algues rouges...

La femme bretonne en milieu rural fin 19ème siècle début du 20ème

Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin évoque une tante : Anaïk. Une femme crozonnaise dans son costume(1) au quotidien et de cérémonie avec pour langue maternelle le breton. L'évocation se situe vers 1914 et les années qui suivent. Soumission sociale et linguistique...

"... tante Anaïk s'efforçait de me distraire et de m'occuper.

C'était une femme mince et solide, avec un regard et un sourire qui faisaient croire en la bonté : chacun savait qu'elle était là pour accueillir, pour aider, pour consoler. Toujours vêtue du costume des Crozonnaises : corsage ajusté et jupe noire froncée à la taille, elle portait sur la tête un fichu de coton blanc imprimé qui la protégeait du vent et du soleil. La coiffe(2) ronde, le grand châle, le tablier de soie étaient réservés pour la messe du dimanche, les courses au bourg et les jours de pardon...

... Elle ne parlait pas du tout le français(3), mais elle le comprenait bien. Moi, je comprenais bien le breton, mais je n'essayais pas de parler dans cette langue puisque je me faisais comprendre en français ! Ainsi sans parler la même langue nous arrivions, même au cours de longues conversations, à nous entendre parfaitement, ce qui amusait notre entourage..."



Notes :
1 Les costumes traditionnels bretons de la femme sont extrêmement codifiés. Ils doivent annoncer si la femme est célibataire, promise, mariée, en grand deuil, en deuil mais... L'embellissement de la robe lors des pardons (cérémonies religieuses) doit être à la fois une preuve d'humilité devant le seigneur mais signifier aussi le statut social, surtout si la jeune-fille, entourée de ses parents, doit être mariée au plus tôt. Côté homme, la règle qui prédomine est le statut social et pas davantage.
2 La presqu'île de Crozon se divise en deux cultures vestimentaires principalement symbolisées par la coiffe des femmes. Les deux tiers Ouest de la presqu'île (Roscanvel, Camaret-sur-Mer, Crozon, Lanvéoc, Telgruc-sur-Mer) appartiennent à une identité propre dont la coiffe Penn Sardin et sa dérivée la coiffe Penn Maout déterminent cette apparenance. Les communes d'Argol et de Landévennec, à l'Est appartiennent au pays Rouzig et privilégie la coiffe Sparl / Sparleen aux ailes d'hirondelle et aux plumes d'alouette pour les cérémonies. Ceci peut paraître anecdotique, mais, à moins qu'il y ait eu des intérêts majeurs, les deux communautés ne se fréquentaient pas s'estimant étrangère l'une à l'autre. Par contre, en cas de malheur, les barrières tombaient le temps des urgences et des souffrances...

LE DRAME DE LA LANGUE BRETONNE.
3 25 décembre 1793, la loi Louis-Joseph Charlier rend l'école laïque obligatoire et gratuite. La loi sera vite défaite de sa substance, subsiste néanmoins le corollaire indispensable : la langue française pour tous citoyens.

En 1794, l'avocat révolutionnaire, Bertrand Barère de Vieuzac, éminent orateur de l'Assemblée nationale constituante, charge les langues régionales dont le breton qui est la langue parlée à 90% en Bretagne. Seuls les administratifs et les commerçants ont une connaissance de la langue française, le peuple est illettré et s'explique dans sa langue ancestrale avec des nuances locales tant une vie repliée correspond aux modes d'existence d'alors. Chaque groupe social développe des habitudes spécifiques en vase-clos qu'il faut nommer pour se comprendre.

L'homme politique persuadé que la liberté des peuples passent par la connaissance des lois rédigées en français, unique langue envisageable, ne s'empêche pas de mépriser la langue bretonne : jargons barbares - idiomes grossiers  - règne du fanatisme - Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton... Il propose par le biais du comité de salut public d'envoyer un instituteur français en chaque nouvelle commune. Il n'est pas le seul convaincu, l'abbé Grégoire enfonce le clou dans son Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser la langue française. Au nom de la Liberté !

Le décret du 27 janvier 1794 qui en découle ne sera pas appliqué, cependant l'enseignement naissant aux rares communes qui ont les moyens, se fait en français. L'école n'est une attente pour personne en cette période agitée. L'élite a son enseignement particulier ; quant au peuple, il préfère des bras plutôt que des têtes, question de survie au jour le jour... Les envolées politiciennes parisiennes sont lointaines et peu traduites sur place. De cette Révolution, on sait peu...

La diffusion scolaire poussive faute de financements, impose néanmoins un enseignement français avec interdiction aux élèves de parler breton. Une multitude de dispositions ministérielles durant des décennies, a déterminé la suppression de la langue bretonne avec des commentaires humiliants, des menaces, des répressions administratives. Des écoles privées catholiques ont organisé des résistances car perdre le breton c'était s'éloigner des paroissiens mais en vain d'autant que la proximité de l'Eglise avec les aristocrates en déroute ne plaît pas à la population. L'anticléricalisme prend une tournure politique qui sera sans cesse croissante jusqu'à la séparation de l'Eglise et de l'Etat (1905).

A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème, depuis l'école obligatoire, les enfants ont souffert de devoir parler français alors que leurs familles étaient bretonnantes. Pire sans doute, l'école s'ouvrait à 6 ans jusqu'à 13 ans minimum, de sorte que les premières années de leur vie, les enfants parlaient le breton, puis brutalement le français, et enfin revenaient souvent à bilinguisme approximatif s'ils ne quittaient pas leur région natale pour faire fortune ailleurs. Ces enfants devenus des anciens à leur tour narraient encore toute la dramaturgie de leur vécu comme si le traumatisme ne les avait jamais quitté. Peur d'avoir un accent breton à l'école – la violence des enseignants d'alors n'est pas une vue de l'esprit, peur de ne pas être compris de leurs parents... Des parents voyant leurs progénitures effacer leur culture au nom d'une Liberté républicaine promise... Les témoignages des années 1980 / 2000 se firent aux larmes mais en breton. Les victimes se retrouvaient dans les cafés à partager des souvenirs jusqu'aux pleurs, hommes ou femmes confondus, et si une oreille française écoutait, elles se taisaient comme si des représailles étaient encore possibles.

France, terre des libertés en suspend. Désormais la survivance de la langue bretonne passe par un enseignement assujetti aux moyens financiers qui lui sont attribués, par la république qui prétend valoriser les langues régionales appartenant au patrimoine immatériel de la France. Le breton autrefois exclu, se trouve inclut selon les vicissitudes politiciennes.

Le paysan pêcheur breton chique - tabac à chiquer

Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin évoque un oncle consommant du tabac à chiquer.

"L'oncle Yvon chiquait... Quand il ne la logeait pas dans le pli de son béret bleu, sa chique gonflait sa joue gauche entre l'œil rond et la cicatrice, et cette bosse contribuait à lui donner l'air d'un forban !"

Chiquer, ce que firent des générations populaires. Mâcher un morceau de tabac compacté en barrette. Il fallait un sérieux coup de dents pour couper une part de chique. Ensuite une mastication machinale que l'on retrouve dans la consommation du chewing-gum, s'éternisait plusieurs heures. Chaque homme portait sa chique enveloppée de son emballage dans une poche, dans un berret, qu'importe, ne pas en avoir provoquait un manque physique et pour cause, le taux de nicotine était élevé. Une partie de la salive envoyait le jus dans les boyaux ! Le trop-plein était craché. Le jus marron projeté aux alentours était ragoutant, mais ne pas chiquer n'était pas masculin ! Une fois la saveur disparue, la chique était recrachée avec un bruit d'expulsion inimitable. A ne pas confondre avec le tabac à priser des aristocrates et des bourgeois, bien souvent, qui reniflaient un tabac en poudre sorti des tabatières luxueuses…

La chique provoquaient des problèmes dentaires, dents jaunes et déchaussées… Les plaisirs des paysans pêcheurs étant rares en dehors de l'ivresse par excès d'alcool, les femmes* préféraient un homme qui chiquait qu'un pilier de débit de boissons. La cigarette démocratisée prendra le relais avec les gitanes papier maïs, les gauloises de troupe par exemple. En presqu'île de Crozon par la présence de contingents militaires, fumer fut vite adopter, tout particulièrement le 87ème RIT de faction sur les côtes.

Les mots chique, chiquer catalogués parmi le langage familier ont aussi un sens figuré… C'est du chiqué, il fait semblant de… On disait aussi, je lui est coupé la chique : je lui ai coupé la parole, coupé son assurance. Mots en désuétude néanmoins.

* Certaines femmes, plutôt âgées, fumaient la pipe.

L'étranger en presqu'île de Crozon - Bretagne

Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin évoque l'étranger du village voisin. Méfiance au couteau et entraide naturelle, des sentiments partagés spécifiques en Bretagne.

C'était un grand plaisir de se retrouver à certaines heures avec les groupes d'enfants en liberté qui venaient de toutes les maisons de la vallée. [...] Des troupes d'enfants plus ou moins nombreuses variaient donc souvent, suivant les obligations et les fantaisies des uns et des autres. Elles accueillaient tous les enfants, garçons et filles des petits villages de notre vallée. Mais ceux qui venaient d'ailleurs étaient pour nous des "étrangers". [...] Nous observions une petite silhouette qui venait de loin, du côté de Kersiguénou. [...] Dans notre groupe les garçons avaient tiré leurs couteaux(1) et le tenaient à hauteur de la poitrine, la pointe en avant... et j'en avais fait autant !

L'"étranger" ne semblait pas avoir peur, il cria, bien fort en breton :
– Je m'appelle Jean. Je suis mignon à vous, "me zo mignon doc'h".

Cela voulait dire : je viens en ami, je ne vous veux aucun mal.

Yaouen l'interpella :
– Où habites-tu ?
– A Saint-Philibert
– Que viens-tu faire chez-nous ?
– Je viens ramasser des petits cochons pour ma sœur qui fait un coffret de coquillages.

Yaouen appuya sur la pointe de son couteau qui alla se ficher dans le sable et tous l'imitèrent.
– Bon, on va te montrer les bons coins et on va t'aider.

Chacun rangea son couteau et ensemble on se dirigea vers les rochers à gauche de la plage, "du côté de Dinant" [Dinan NDLR]. Jean eut dans ses poches plusieurs poignées de ces petites "porcelaines" roses(2) que nous appelions "petits cochons" pour retourner à Saint Philibert, un village situé de l'autre côté du coteau à trois cents mètres seulement de notre village de Kersued ! [Kersuet NDLR]
On se sépara amicalement.
– Kenavo a wech all Jean !
Au revoir Jean à la prochaine fois !

J'ai pensé plus tard que, dans les gestes de ces enfants survivait sans doute le souvenir des rivalités anciennes, du temps où les pilleurs d'épaves défendaient leur butin contre les clans voisins.





Notes :
1 Les faits divers d'antan regorgent de bagarres aux couteaux sur fond d'ivresse dans les ports. Camaret-sur-Mer cumulait les rixes civiles et militaires. L'ennui général étant là, la moindre provocation se réglait à coups de surins. Le pêcheur ne quittait jamais son couteau et le soldat en avait un non réglementaire au cas où. Le casernement de Lagatjar était parfois interdit de sortie le soir venu. A Roscanvel, les beuveries militaires faisaient peur à la population surtout les femmes.
2 Gibbule rose / Troque-Mage / Gibbula Magus.

Aujourd'hui, si les distances se sont réduites par l'usage de l'automobile, l'appartenance à une localité plus qu'à une autre reste forte. Un habitant de Camaret-sur-Mer n'est plus un étranger pour un habitant de Crozon, néanmoins un camaretois n'est pas un crozonnais quels que soient les efforts d'intégration. Plus révélateur encore, un camarétois qui emménagerait à Crozon vous affirmera sans détour qu'il n'est pas "d'ici", il s'empressera de vous révéler qu'il est de Camaret, plus précisément si nécessaire, un portuaire ou un terrien de coteau…

Dans le cas de médisances au coin d'une rue, le quidam douteux est davantage stigmatisé par sa localisation "étrangère" que par sa personnalité répréhensible même si celui si habite à quelques kilomètres à vol d'oiseau…

Le point d'attachement reste important pour les presqu'îliens, l'origine locale est une fierté impérissable tant que la presqu'île de Crozon reste la terre natale. Ce besoin d'appartenance se dilue quand pour des raisons sociales le gentilé quitte la presqu'île. La nostalgie plus ou moins vive prend le relais sans être coiffée d'une fierté quasi exubérante. Pour le mariage il en va de même, on se marie entre voisins si possible !

Décoration intérieure d'une maison bretonne traditionnelle - Penty

Le livre de souvenirs de Jane Auffret-Quintin évoque le penty breton - maison traditionnelle familiale vers 1914. Puis la ferme dans son ensemble. Cette propriété rurale correspond à des biens basiques du début du 20ème siècle bien plus significatifs que ceux des siècles précédents. Un indice précieux d'une amélioration mesurée du niveau de vie des pêcheurs paysans de la presqu'île de Crozon après des siècles de pauvreté endémique entretenue par l'Eglise et la Noblesse... Quoiqu'il en soit la description est le témoignage d'un habitat type aujourd'hui occupé par des "étrangers" propriétaires de maisons secondaires qui valent une fortune pour peu que la mer soit visible à vue d'œil. Après la seconde guerre mondiale, un à un, les pêcheurs paysans renoncent à leur style de vie trop sévère. Les propositions d'achat sont nombreuses et tentantes sous l'influence de notaires cupides qui font des ventes à la journée. Les familles traditionnelles rêvent désormais d'une maison sèche en parpaings crépis, avec chauffage central dans les chambres et le confort des années 1960, l'eau au robinet, les toilettes, la salle de bain, la table en formica, puis la machine à laver, la télévision... En finir avec la campagne avec vue sur la mer que l'on ne peut plus voir même en peinture, on préfère s'approcher du bourg et des commodités, l'attirance pour lamodernité est plus forte que tout pour vivre comme tout le monde... Cette transformation eut été plus rapide si les offres d'emploi avaient été plétoriques.

"Car il n'y avait pas d'autre éclairage dans la pièce que celui d'un grand feu d'ajonc sur lequel se courbait la tante Anaïk pour cuire les épaisses petites galettes de blé noir sur le le large "bilic" [bilig NDLR] de fonte.

On prenait place sur le "banc tossel" qui s'appuyait au lit clos.[...]

Au bout de la table, sous la fenêtre s'arrondissaient par ordre de tailles, dans leurs enveloppes de lin, l'énorme pain d'orge, le pain de froment de douze livres et le petit pain de seigle. On n'y touchait pas les soirs où l'on mangeait à sa faim les délicieuses galettes beurrées en buvant des bols de lait frais.[...]

Les deux lits clos de merisier luisaient doucement, leurs rideaux de couleurs vives et les assiettes à fleurs au-dessus de la cheminée et dans le vaisselier s'éclairaient soudain lorsqu'on jetait dans le feu une brassée d'épines...[...]

C'était l'heure d'aller chercher de l'eau fraîche à la fontaine. Ensuite il fallait nourrir les poulets, conduire les bêtes aux près, parfois barrater le beurre...[...]

On se sentait à l'abri, derrière ses murs épais ; son sol de terre battue réclamait pour tout ménage le balai de genêts deux ou trois fois par jour. Le pinceau effaçait à chaque printemps les traces enfumées sur les murs blanchis à la chaux que décoraient les photos de marins, de mariés et de communiantes. Le vaisselier était plein de solides faïences ; sur les bols et les assiettes on pouvait voir des fleurs aux couleurs vives, des coqs rouges, et aussi lalune et les étoiles.

Attenant à notre lit clos, à droite de la cheminée une armoire de merisier se mettait à l'alignement. Elle s'ouvrait sur des bassines de lait, la motte de beurre, quelques provisions d'épicerie, les quatre ou cinq bouteilles de vin qui attendaient les visiteurs et les jours de fête, en compagnie d'une ou deux bouteilles de liqueurs rapportées d'Espagne ou du Portugal par les marins.

Cette grande armoire étant moins large que le lit clos, derrière logeait le charnier de lard salé, une caisse de pomme de terre, un panier de légumes cueillis dans les champs et deux grands seaux d'eau. On accédait à cette réserve par l'espace étroit laissé entre l'armoire et la cloison de bois peinte en blanc.

De l'autre côté de cette cloison près de la porte, dans le couloir, un seau d'eau était posé sur un petit tabouret au dessous d'une louche suspendue à un clou : c'était là de l'eau fraîche qu'on allait chercher deux ou trois fois par jour à une fontaine située à deux cents mètres de la maison.

On buvait à même la louche, on jetait dehors le reste de la louchée, et il y avait souvent quelqu'un pour dire : – "on a de la chance d'avoir une eau aussi pure et aussi fraîche".

C'était, avec le lait, la seule boisson journalière de la maison : on ne faisait pas de cidre dans ce pays sans pommiers.

Une deuxième porte dans une cloison donnait accès de l'autre côté du couloir à la pièce qu'on appelait "Goulen-Ty" et qui n'était pas un lieu de séjour.

Là, à droite, une grande armoire de merisier contenait les draps et tout le linge de la famille. Comme dans la salle, elle s'arrangeait en façade avec un très ancien lit clos de bois sombre sculpté de fleurs et d'oiseaux. C'est là que dormait le frère aîné de Soisik avant son mariage. Maintenant c'était le jeune frère de maman et de tante Anaïk, Jean-Marie, qui l'occupait quand il n'était pas en mer.

Derrière l'armoire se cachaient, suspendus à des clous, les habits de travail qui servaient dans les champs.

Sur le mur du fond, en face de la porte, une petite armoire peinte en bleu et vert comme une armoire de navire, contenait les coiffes empesées, les habits de fête soigneusement rangés.

A sa droite des cirés accrochés à une patère de bois et une paire d'avirons rappelaient que les hommes de cette maison étaient d'abord des marins avant d'être des paysans.

Devant la petite fenêtre, à gauche, s'entassaient sur une longue table des filets, des casiers pour la pêche, des paniers pour la récolte des légumes.

Dans la grande armoire, entre deux draps, il y avait les papiers de famille, et aussi tout l'argent de la maison. On la fermait à clé et la clé était posée dans le premier rang du vaisselier... comme d'habitude dans presque toutes les maisons de la vallée !

Quand on sortait, on "clavait" la porte en enfonçant une chevillette de bois attachée à une ficelle dans un trou du mur.[...]

Attenant à la maison se trouvait le petit logement du cochon [soue NDLR].[...]

En face, l'étable des trois vaches : Guen, Pendu et Mignonne.[...]

Venaient ensuite l'étable des quatre moutons que je conduisais souvent au pâturage, et la maison des poulets voraces, nourris de bon grain, qui crillaient et se battaient lorsqu'on leur jetait les coques des crevettes et qui couraient, affolés dans tous les sens quand un hydravion de la base de Camaret [CAM 59 NDLR] survolait la maison.

Et, enfin un très grand hangar abritait la charrette, les outils pour le travail des champs, et aussi le cheval qui avait dans un coin sa mangeoire et sa litière. Celui-ci s'appelait simplement "Marc'h Bihan" : " Petit cheval" [littéralement Cheval Petit NDLR] [...]

Dans un coin du hangar on voyait un étrange instrument : "un moulin à lande" [hâche lande NDLR]. Je trournais la manivelle pour broyer les ajoncs avant de les donner à manger au cheval. Marc'h Bihan attrapait les épines avec ses babines et les mâchait comme si elles étaient des herbes tendres.[...]

Derrière le hangar le "mulon" de paille où l'on pouvait se creuser une tannière les jours de grand vent, et derrière les étables, le fumier qu'on ne laissait jamais pourrir devant la maison.

Si on ajouutait à ces biens une petite "plate", barque cent fois peinte et reeinte qu'on laissait sur la dune dans un coin abrité, quelques champs par ci, quelques prés par là, on avait fait tout le bilan de la richesse familiale. Notre maison [penty NDLR] était pareille à toutes les petites maisons de nos villages ; chaque famille était en général propriétaire de son modeste bien et fière de son indépendance."

"Mon beau pays perdu", Jane Auffret-Quintin. Préface d'Henri Queffélec. 1989

°°°

Avaler de travers

Reportage : manœuvres

Morgat spéculatif

Dentiste gratuit sur Crozon-Morgat

Du Camp : notes sur la presqu'île de Crozon

La presqu'île décrite par Gustave Flaubert

Le travail de conserverie

De l'hospice à l'Ehpad

Jules Janin : menhirs dolmens

Souvenirs de Jane Auffret-Quintin

Camaret-sur-Mer selon Gustave Toudouze

Séjour en presqu'île de Crozon du Chevalier de Fréminville

Alignements mégalithiques de Landaoudec - Fréminville

Roscanvel et Quélern par Fréminville

Alignements de menhirs Camaret-sur-Mer - Fréminville

Les menhirs de l'anse de Dinan & Lostmarc'h en Crozon par Fréminville

Menhirs de Ty-ar-C'huré - Morgat - Fréminville

L'Aber, la motte castrale de Rozan en Crozon vus par Fréminville

Eglise Saint Pierre de Crozon et manoir de Gouandour

Abbaye de Landévennec - légende de la ville d'Ys du roi Gradlon

Pages récentes : plage du Veryac'h - Ponceau du Corréjou - Tannerie au cachou... Dentiste gratuit



°°°

© 2012-2026