"Par les champs et les grèves."
Extrait rédigé en 1847. Voyage en Bretagne avec un ami écrivain, Maxime
Du Camp. Le périple aventureux pour l'époque fut préparé par des lectures
"savantes", sans celles-ci Flaubert ne put disserter...
En route ! le ciel est bleu, le soleil brille, et nous
nous sentons dans les pieds des envies de marcher sur l'herbe. De Crozon
à Landévennec,
la campagne est découverte, sans arbres ni maisons ; une mousse rousse
comme du velours râpé s'étend à perte de vue sur un sol plat. Parfois
des champs de blés mûrs s'élèvent au milieu de petits ajoncs rabougris.
Les ajoncs ne sont plus en fleurs, les voilà redevenus comme le avant
printemps. Des ornières de charrettes profondes et bordées sur leurs bords
d'un bourrelet de boue sèche, se multipliant irrégulièrement les unes
près des autres, apparaissent devant nous, se continuent longtemps, font
des coudes et se perdent à l'œil. L'herbe pousse par grandes places entre
ces sillons effondrés. Le vent siffle sur la lande ; nous avançons ; le
brise joyeuse se roule dans l'air, elle sèche de ses bouffées la sueur
qui perle sur nos joues et, quand nous faisons halte, nous entendons,
malgré le battement de nos artères, son bruit qui coule sur la mousse.
De temps à autre, pour nous dire la route, surgit un moulin
tournant rapidement dans l'air ses grandes ailes blanches. Le bois de
leur membrure craque en gémissant ; elles descendent, rasent le sol, et
remontent. Debout sur sa lucarne tout ouverte, le meunier nous regarde
passer.
Nous continuons, nous allons ; en longeant une haie
d'ormeaux qui doit cacher un village, dans une cour plantée, nous avons
entrevu un homme monté dans un arbre ; au bas, se tenait une femme qui
recevait dans son tablier bleu les prunes qu'il jetait d'en haut. Je me
souviens d'une masse de cheveux noirs tombant à flots sur ses épaules,
de deux bras levés en l'air, d'un mouvement de cou renversé et d'un rire
sonore qui m'est arrivé à travers le branchage de la haie.
Le sentier que l'on suit devient plus étroit. Tout
à coup, la lande disparaît et l'on est sur la crête d'un promontoire qui
domine la mer. Se perdant du côté de Brest, elle semble ne pas finir,
tandis que, de l'autre, elle avance ses sinuosités dans la terre qu'elle
découpe, entre des coteaux couverts de bois taillis. Chaque golfe est
resserré entre deux montagnes ; chaque montagne a deux golfes à ses flancs,
et rien n'est beau comme ces grandes pentes vertes dressées presque d'aplomb
sur l'étendue de la mer. Les collines se bombent à leur faîte, épatent
leur base, se creusent à l'horizon dans un évasement élargi qui regagne
les plateaux, et, avec la courbe gracieuse d'un plein-cintre moresque,
se relient l'une à l'autre, continuant ainsi, en le répétant sur chacune,
la couleur de leur verdure et le mouvement de leurs terrains. A leurs
pieds, les flots, poussés par le vent du large, pressaient leurs plis.
Le soleil frappait dessus, en faisait briller l'écume ; sous des feux,
les vagues miroitaient en étoiles d'argent et tout le reste était une
immense surface unie dont on ne se rassasiait pas de contempler l'azur.
Sur les vallons on voyait passer les rayons du soleil.
Un d'eux, abandonné déjà par lui, estompait plus vaguement la masse de
ses bois et, sur un autre, une barre d'ombre large et noire s'avançait.
A mesure que nous descendions le sentier et qu'ainsi
nous nous rapprochions du niveau de rivage, les montagnes en face desquelles
nous étions tout à l'heure semblaient devenir plus hautes, les golfes
plus profonds ; la mer s'agrandissait. Laissant nos regards courir à l'aventure,
nous marchions, sans prendre garde, et les cailloux chassés devant nous
déroulaient vite et allaient se perdre dans les bouquets de broussailles,
aux bords du chemin.
Arrivés enfin à Landévennec,
nous entrâmes pour déposer nos sacs quelque part dans un cabaret plus
que simple, où l'on s'asseyait sur les futailles en guise de bancs. Après
y avoir bu un coup de mauvaise eau-de-vie dans un de ces grands gobelets
du pays en faïence rayée de bandes roses et bleues comme une culotte de
bal masqué, nous allâmes tout de suite voir l'abbaye.
Il n'en reste qu'un portail composé de trois arcades
; celle du milieu plus basse que les deux autres est seule percée. De
chaque côté de l'une d'elles, après un contrefort, une longue petite fenêtre
cintrée va s'évasant du dehors comme les meurtrières d'une forteresse
; en dedans de l'arcade du milieu, des colonnes courtes supportant des
moulures ont des chapiteaux couverts d'entrelacs compliqués.
Quand on a franchi ce pan de muraille, soit par la
brèche qui ouvre sur la cour, soit par le portail dont une échelle mise
de travers vous barre l'entrée, apparaissent au fond les ruines du chœur
et de l'abside découpant leur dentelure blanchâtre sur la couleur bleue
du ciel. Elles forment un rond-point flanqué de chapelles latérales, rondes,
garnies de contreforts extérieurs, avec des fenêtres à plein cintre la
plupart soutenues par des colonnes qui s'engagent à leur base dans des
piliers carrés.
Le terrain de la cour ondule, fait des bosses et des
creux ; c'est un mouvement heurté de plans inégaux que les ronces et les
lierres verdissent de leur verdure inégale. Dans les chapelles latérales,
par le trou des fenêtres, on voit au loin la mer à l'horizon d'une prairie
que bossellent en dômes verts les têtes rondes des pommiers et qui s'encadre
comme un tableau dans le plein cintre rongé des fenêtres romanes.
Une statue d'abbé est appuyée contre le mur un gros
anneau au médius de la main droite, un menton long, des pommettes saillantes,
des yeux sortis, des cheveux légèrement crépelés, et une chape bordée
de longues franges, et un écusson qui est d'hermine à trois fasces au
chef chargé d'un lambel à trois pièces timbré de la crosse abbatiale.
Est-ce là, pourquoi non ? pourquoi oui ? saint Guénolé,
premier abbé du monastère, mort en 448, le même qui conseilla au roi Gradlon
de quitter la ville d'Ys avant l'engloutissement du Seigneur, et qui,
lorsque sur la grève le roi fuyait au galop avec la belle Dragut [Plus
souventfois écrit : Dahut NDLR], sa fille, lui cria dans un nuage, comme
les flots déjà battaient les jarrets de son cheval, de se débarrasser
du démon qu'il emportait en croupe ? Gradlon la précipita dans les flots,
les flots l'engloutirent, s'arrêtèrent, et Gradlon continua sa course.
Pour contempler cette figure plus à notre aise, nous
nous étions assis sur une autre statue couchée par terre. Celle-là représente
un évêque, il a la crosse, la chape bordée de roses et d'olives, la bague
au pouce et, sous le bras gauche, le bâton pastoral passé. Une manche
étroite, fermée d'un gros bouton et sortant elle-même d'une manche très
ample, serre son bras ; ses mains sont jointes ; deux anges soutiennent
l'oreiller où il repose ; son chien, couché à ses pieds, surmonte un écusson
qui est de neuf macles posées par trois au lambel de trois pièces serties
au chef et supporté à dextre par un lion lampassé, à senestre par un lévrier.
Pendant que nous nous occupions à lire ces niaiseries,
un veau jaune, marqué d'une tache à la tête, se promenait près de nous.
Il chancelait sur ses longues jambes faibles, et les mouches bourdonnaient
autour de ses naseaux blancs, humides encore du lait de sa mère.
Derrière le portail, au bas de la montagne qu'ils
recouvrent, les grands hêtres balançaient leur cimes, le soleil frappait
sur les vieux pans de mur, un air chaud passait; toutes sortes de plants
et d'arbrisseaux, des orties, des marguerites, des angéliques, des sureaux,
des bruyères et du baume faisaient un mélange de parfums sucrés; il tombait
sur vous quelque chose de tendre, d'énervant, de navrant, d'écœurant ;
on se sentait pris de mollesse, tout plein de titillations obtuses et
de convoitises fluides.
Et comme nous étions là, couchés sur l'herbe, est
survenue devant nous une grande jeune fille, blonde et blanche, allant
nu-pieds parmi les ronces, et seulement vêtue d'un jupon de drap rouge
dont le cordon lui serrait autour de la taille sa chemise de grosse toile
jaune ; elle avait à la main un roseau cassé par le haut et se tenait
debout à nous regarder sans rien dire. Elle s'en est allée ; puis est
revenue ; elle riait quand on lui parlait et vous quittait aussitôt.
Puis nous nous sommes levés, nous avons repris nos
bâtons, nous sommes partis. En passant par-dessus le mur, nous en avons
fait ébouler des pierres et le ciment s'est égrené sous nos mains. Est-ce
que nous détruirions aussi, nous autres ? et ce que n'ont pu abattre ni
le temps, ni les hommes, ni le bon goût, ni l'industrie, voilà que l'achève
sans le savoir le contemplateur naïf, dans l'exercice même de sa curiosité
admirative.
En vingt minutes une barque nous eut passés de l’autre
côté de la rade et déposés dans une anfractuosité du rocher, sur de grandes
lames de pierre couvertes de goémons où nous glissâmes quelque temps avant
de pouvoir gagner la terre. Entrés dans la campagne, notre embarras commença.
Il fallait coucher à Daoulas, or nous ne savions pas par où prendre. Les
chemins tournaient le long des haies fournies, plus compactes que des
murs. Nous montions, nous descendions ; cependant les sentiers s’emplissaient
d’ombre et la campagne s’assoupissait déjà dans ce beau silence des nuits
d’été.
Ne rencontrant personne enfin qui pût nous dire notre
route, et deux ou trois paysans à qui nous nous étions adressé ne nous
ayant répondu que par des cris inintelligibles, nous tirâmes notre carte,
atteignîmes notre compas, et, nous orientant d'après le coucher du soleil,
nous résolûmes de piquer sur Daoulas à vol d'oiseau. Donc, la vigueur
aussitôt nous revint aux membres et nous nous lançâmes dans les champs
à travers les haies, par-dessus les fossés, abattant, renversant, bousculant,
cassant tout, sans souci aucun des barrières restant ouvertes et des récoltes
endommagées.
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