Séjour en presqu'île de Crozon du Chevalier de Fréminville

Christophe-Paulin de La Poix de Fréminville, dit le Chevalier de Fréminville, visite la Bretagne à plusieurs occasions entre 1827 et 1844, voici ce qu'il relève de la presqu'île de Crozon, nommée par ses soins, péninsule de Crozon. A noter que l'armée américaine de la Libération (1944) dans ses rapports, utilise aussi le terme de péninsule. Entre le descriptif très "nature" de Fréminville et les sites d'aujourd'hui, il y a une militarisation exponentielle de la fin du 19ème siècle (à partir de 1880 environ) que l'archéologue n'a pas connue.

Lorsqu'on a traversé du nord au sud le magnifique bassin de la rade de Brest, on aborde la péninsule de Crozon, au pied du fort Lanveoc'h [Lanvéoc NDLR]. Dans une anse qui se trouve à une petite demi-lieue dans l'est, est le château du Poulmic ; ce fut le premier objet que je fus visiter dans ce canton. Le Poulmic était un grand fief dépendant en arrière vasselage de la maison de Rohan ; on y voyait jadis un château très fort qui fut ruiné à l'époque où le cardinal de Richelieu, voulant anéantir la féodalité, s'acharna à la destruction de ces forteresses qui en faisaient le plus ferme appui. Un château bâti dans le style d'architecture du temps de Louis XIII remplaça l'antique citadelle, et ce domaine passa en diverses autres mains. Le titre de baronnie lui fut néanmoins toujours affecté, et la maison du Poulmic portait pour armoirie, échiquetée d'argent et de gueules, cette devise : De bien en mieux.* On ne voit donc plus aujourd'hui que les restes des bâtiments construits sous Louis XIII. A leurs hauts faîtages, à leurs longues cheminées, au style d'ornements des fenêtres et des corniches, on reconnaît facilement le cachet de cette époque. Ces bâtiments en ruines ne sont que peu de chose par eux-mêmes, cependant on ne les considère pas sans intérêt en songeant qu'ils furent habités, il y a cent cinquante ans, par le maréchal de Château-Renaud, qui y avait établi un observatoire et un poste de signaux. C'est de là que même, dans ses moments de loisirs, cet illustre marin transmettait des ordres à son escadre, et qu'il faisait évoluer dans la rade de Brest une armée de cent vaisseaux de ligne.[Le vice-amiral Le Beulin pratiquait de même à Roscanvel NDLR].

La péninsule de Crozon est sans contredit le point le plus remarquable et le plus curieux de toutes les côtes du Finistère, tant sous le rapport géologique que sous celui de l'archéologie. Cette péninsule, comprise entre les baies de Brest et de Douarnenez, s'étend de l'est à l'ouest, depuis les bords de la rivière d'Aoûn ( improprement d'Aulne ) jusqu'à la pointe de Toulinguet, qui en est l'extrémité la plus occidentale. Ses côtes escarpées, découpées et profondément échancrées, se subdivisent encore en trois autres presqu'îles, celle de Quélern, l'île Longue et la pointe de la Chèvre [cap NDLR]. On y remarque plusieurs baies ou anses, telles que celles du Poulmic, du Fret, de Roscanvel ; la rade de Camaret [anse NDLR], qui offre, en cas de besoin, un utile abri aux vaisseaux ; l'anse de Dinan et celle de Morgat. Ses rivages, continuellement sapés par les efforts d'une mer orageuse, sont accidentés de mille et mille manières, et présentent les aspects les plus singuliers, les plus extraordinaires et les plus imposants. Ainsi l'on voit dans l'anse de Dinan une arcade naturelle d'une admirable hardiesse, et dans celle de Morgat, ces belles grottes que les étrangers, et même les parisiens, s'empressent de venir contempler, et où ils se convainquent que les grandes scènes de la nature l'emportent de beaucoup sur tout le prestige que peuvent produire les merveilles de l'art.

Placée au dernier terme d'un vaste continent, longtemps inculte, déserte, et presque inaccessible, la presqu'île de Crozon devait être naturellement un des séjours de prédilection des Druides de la vieille Armorique. On sait, en effet, que c'était toujours dans les lieux les moins fréquentés, les plus éloignés de l'habitation des autres hommes, que ces prêtres se réunissaient de préférence et établissaient leurs monuments sacrés, autant pour pouvoir se livrer dans la solitude à leurs méditations, que pour envelopper les pratiques de leur culte de ce prestige mystérieux qui en impose aux peuples et leur inspire une vénération plus profonde pour toutes les matières religieuses. La péninsule de Crozon est donc, encore aujourd'hui, couverte de monuments druidiques non moins remarquables par leur nombre que par l'ensemble que présentent plusieurs d'entre eux, et d'où l'on peut tirer quelques inductions relatives à la religion des Celtes. Nous les avons tous visités , dessinés et examinés avec le plus grand soin ; mais nous devons reconnaître ici que nos recherches eussent été de moitié moins fructueuses, si elles n'eussent été puissamment secondées par M. Le Bastard du Mesmeur, habitant de la paroisse de Crozon, et lui-même zélé antiquaire breton. Nous lui devons bien de la reconnaissance tant pour son utile coopération, que pour l'accueil qu'il nous a fait dans son manoir de Lescoat, où nous avons trouvé une hospitalité embellie encore par les grâces de son aimable et charmante épouse.

* Ce domaine appartient actuellement à M. Le Gentil de Quélern. [Château déconstruit pour reconstruire une ferme au 19ème siècle, elle-même démolie pour construire la base de Lanvéoc-Poulmic. NDLR]

Extrait de "Antiquités de la Bretagne. Finistère volume 2.
BREST . IMPRIMERIE DE COME ET BONETBEAU , ÉDITEURS , RUE DU CHATEAU , 44 . A LA LIBRAIRIE DE COME , AINÉ , Rue St. - Yves , au coin de la rue de Traverse . 1835 .

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