L'infanterie de marine à Crozon : 2ème Régiment
de Marche d'Infanterie de Marine
C'est très joli de s'en aller chaque jour dans la presqu'île de Crozon
pour y suivre les manœuvres
de nos marsouins. A une condition cependant, c'est de ne pas s'endormir
dans les bras de Morphée, comme on eût dit il y a cent ans, et surtout
de se réveiller à temps.
Or, ce matin, à 7h. 1/2, j'arrivais à l'embarcadère des vapeurs brestois,
où je devais embarquer sur "l'Express", afin de me rendre au Fret
d'où je devais gagner le terrain des opérations. Une cruelle déception
m'v attendait. En effet, à sept heures "l'Express" avait poussé, oubliant
de m'emmener. Je consultai immédiatement ma carte d'état- major, qui ne
me quitte jamais, et je fus vite persuadé qu'il n'y avait d'autre ressource
que d'aller faire le tour par Daoulas et Le Faou.
Je partis donc — non d'un pied léger comme aurait dit
mon ami Petitcolas — mais d'une pédale légère, et à bicyclette je me résignai
à avaler consciencieusement les longs kilomètres qui me séparaient du
lieu à atteindre.
Faut-il vous raconter les péripéties de ce voyage ?
Pourquoi pas ? Ce récit montrera à nos lecteurs la difficulté des voyages
dans le si pittoresque pays que je viens de traverser.
Parti d'un train que ne renieraient pas nos coureurs,
j'arrivais bientôt au Passage de Plougastel [bac du Relecq-Kerhuon NDLR].
Naturellement le bac était de l'autre côté. Premier arrêt ; au bout de
35 minutes cependant, j'étais arrivé à l'autre rive, ayant eu l'honneur
de me faire passer par de charmantes Plougastelles, qui ne dédaignent
pas de donner un coup d'aviron.
Une fois arrivé sur la route de Daoulas, je repris
mon train soutenu et j'arrivai sans tarder à un petit village où je descendis
pour m'informer du chemin qui me restait à faire.
Un brave hôtelier, dont je regrette de ne pas connaître le nom, m'indiqua
un passage particulier qui m'amena directement au château de M. le comte
de Mougon [île de Tibidy NDLR], à qui je demandai l'insigne faveur de
traverser la rivière(1) de Landévennec
dans une de ses embarcations.
Je fus reçu de la plus aimable façon et bientôt, grâce
à cette extrême obligeance, j'étais sur l'autre bord.
Je dus débarquer auprès d'une poudrière [île d'Arun NDLR], le génie ayant
jugé à propos de construire une très large, mais très peu longue
jetée à Landévennec qui fait que par les grandes marées l'on n'y peut
débarquer.
Je me suis laissé dire que pour le même prix l'on aurait
eu plus long mais moins large.
Enfin, j'enfourche ma fidèle bécane, qui devait bientôt me jouer un mauvais
tour, et j'arrive d'une traite au passage
de Térénez.
La, nouvelle traversée.
Après une côte, dont on parle dans les annales des
sports, j'attrapai enfin la route de Crozon.
Vers onze heures, j'étais rendu et me félicitai du
succès de mon entreprise, lorsque j'entends un bruit très caractéristique
qui ne m'a d'ailleurs pas trompé. Mon pneu arrière venait d'éclater et
se trouvait instantanément plat comme une galette. Mais j'étais arrivé.
Je me mis en devoir de me restaurer et de réparer mon
cheval d'acier.
Je dois dire que ce fut vite fait, grâce à l'obligeance
de la propriétaire de l'hôtel des Voyageurs, et, sans tarder une seconde
de plus, je me rendis sur le terrain de manœuvre.
Mon premier devoir de reporter était d'interviewer
tous les sous-officiers et soldats sur ce qui s'était passé.
Or, voici ce que j'ai pu conclure de ce que je venais
d'entendre et de ce que je vis par la suite.
Le 2ème régiment était parti dès six heures de Crozon.
L'ennemi, figuré par une compagnie du 2ème, est supposé repoussé de Tal-ar-Groas
et se porte sur Tréyout, petit village au nord de Crozon. A sept heures
et demie, position est prise et l'ennemi se prépare à se défendre.
Pendant ce temps, les bataillons des 2ème et 6ème régiments
font jonction au nord de Kergallet et se forment en lignes de colonnes
doubles, face à l'ouest. Immédiatement, les éclaireurs sont expédiés et
bientôt les troupes sont couvertes du côté de l'ennemi.
L'attaque ne tarde pas à se faire et l'ennemi est vivement
combattu.
Bientôt il est obligé de se replier devant le nombre
et les attaques réitérées des bataillons, qui s'avancent en faisant soit
des feux de masse, soit des feux en tirailleurs.
La retraite s'exécute en bon ordre du côté de Crozon.
Pendant cet exercice, le service médical a fonctionné
et les brancardiers ont simulé l'enlèvement des blessés, pendant que les
médecins opéraient les pansements indiqués.
Vers onze heures, sur un coup de clairon, la manœuvre
prend fin. Les hommes préparent le repas froid et bientôt les mâchoires
fonctionnent avec autant d'activité que les jambes ont fonctionné auparavant.
Le colonel de la Follye de Joux, qui avait dirigé la
manœuvre, a lui-même déjeuné sur le terrain.
Pendant toute la durée du repas, la bonne petite musique
improvisée du 2ème a joué les meilleurs morceaux de son répertoire.
Vers une heure, la manœuvre recommence. L'ennemi, qui avait été refoulé
et qui s'était replié sur Crozon, avait laissé sur la position du Cléguer,
auprès d'un moulin
en ruine, un bataillon d'arrière- garde. Ce bataillon tente d'arrêter
la pour- suite des régiments, pour donner le temps à ses troupes de se
replier. Il est bientôt forcé de lâcher pied et est poursuivi assez longuement
sous des feux très nourris.
Enfin, vers trois heures, le rassemblement était sonné.
Les troupes simulant l'ennemi enlèvent le manchon blanc du képi et, après
une pause, nos marsouins regagnent leurs cantonnements.
En somme, la manœuvre a été exécutée avec précision
et conformément aux règles générales de l'instruction sur le combat.
C'était un exercice plutôt qu'une opération de guerre.
Il a permis de constater la bonne et solide instruction
du soldat. Un bon point cependant pour la défense, qui a été merveilleusement
organisée par M. le capitaine Pizot, dont la compagnie représentait l'ennemi,
et qui était intelligemment secondé par ses deux lieutenants, MM. Trioreau
et Demée.
Le service médical, ainsi que celui des brancardiers,
a été également fort bien dirigé, et tout s'est passé dans le meilleur
ordre.
Les troupes arrivent à Crozon vers 4h. 1/2 et se dispersent
immédiatement.
A cinq heures, la musique a joué sur la place, à la
grande satisfaction des habitants. Cette vaillante petite phalange d'artistes
amateurs est vraiment digne de son aînée du 2ème.
On ne saurait trop louer son chef, M. Julien — et non
M. Dubois, comme l'a dit un journal — du succès obtenu.
A ce propos, disons qu'on a beaucoup admiré le musicien
qui blouse de la grosse caisse, un nègre du plus beau noir, qui attire
tous les regards et donne lieu àtoutes sortes de commentaires.
Il n'y a pas eu de retraite aux flambeaux, comme cela
avait été annoncé.
Mais il est bientôt cinq heures, et je songe que si
je ne veux pas faire, comme le matin, la longue tournée qui m'a coûté
mon retard du matin, je dois filer au Fret, où le bateau arrive vers 5h.
1/2.
Je grimpe en selle et abats vivement les six kilomètres qui me séparent
de l'embarcadère.
Enfin "l'Express" arrive, j'embarque, et en route ! La traversée de la
rade me rafraîchit et le corps et les idées ce qui me permet de faire
mon compte rendu.
Je songe alors aux soldats que j'ai laissés là-bas
et qui ont eu si chaud ces jours derniers et qui, aujourd'hui, sentiront
cette agréable fraîcheur de la traversée.
Ce matin, les marsouins prendront un bain à la grève de Morgat,
grève reconnue hier par le lieutenant Ollivier-Henry.
Ce soir, vers deux heures de l'après-midi, l'infanterie de marine s'embarquera
à Lanvéoc et reviendra
directement à Brest, où elle débarquera au pont Gueydon.
De là, elle gagnera ses casernements pour prendre un
repos bien gagné.
Et maintenant, à la prochaine !
Henry Calais
Crozon, 16 septembre 1898
La Dépêche de Brest
Note
1 L'île de Tibidy et l'île d'Arun sont séparées par l'estuaire de
la rivière du Faou qui se jette dans la rade de Brest et croise la rivière
Aulne. Il n'y a pas de rivière à Landévennec dont le rivage est lui-aussi
en bord de l'Aulne et de la rade mêlées, une croisée qui génèrent le sillon
du Pâl et le sillon
des Anglais.
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