La presqu'île de Crozon au 18ème siècle selon Jacques Cambry

L'administration révolutionnaire du département du Finistère demande à Jacques Cambry de consigner un état des lieux du département en le parcourant de long en large et d'y noter le reflet de la situation en cours (1794). Le passage de Cambry par la presqu'île de Crozon est l'occasion de faire une dépeinte enrichissante d'une réalité confondante. Le texte ci-dessous reprend l'orthographe du texte original édité en 1799.

Il y a dix-huit lieues de Camaret à Loquefret ; dix lieues d'Edern à la pointe de Landerneau ; ce sont les plus grands diamètres du district.

Le sol, en général, est sabloneux sur la côte ; il est lourd, aquatique dans l'intérieur des terres.

On y sème peu de froment ; on récolte principalement du sarazin, des seigles, de l'avoine, très peu d'orge ; les habitans commencent à s'accoutumer à la culture des pommes de terres ; les cidres y sont en très-petite quantité.

Landevenec [Landévennec NDLR] est entourée de bois : les environs d'Argol, de Châteaulin, de Pleiben sont couverts de taillis ; il en existe d'espace en espace sur la surface du district, on voit dans Loquefret, Pleiben et Plounèves de beaux bois de haute futaie, mais pas une forêt : le pays de Crozon est entièrement dépouillé.

Le sarazin se sème dans le mois de mai ; la récolte se fait sen septembre.

Les autres grains mis en terre en novembre, ne se ramassent qu'au mois d'août. Les bœufs et les chevaux sont employés à la culture.



Crozon est un des plus peuplés, des plus considérables cantons de ce district, c'est un pays de sable et de rochers ; mais la néessité força les habitans à travailler avec le plus grand soins toutes les langues de terre susceptibles de quelque culture, is sont pêcheurs en général, et fréquentent sur-tout la riche baye de Douarnenez.

Les établissemens de Crozon relatifs à la pêche sont placés dans l'anse de Morgat. Morgat est un fort petit bourg voisin, de la baye de Dinan dans laquelle on a projetté de faire une chaussée qui puisse servir d'abri aux barques de cabotage. On n'aborde point l'anse de Dinan, parce qu'on n'y est en sûreté que très-près de la terre, et que les vents du sud-ouest sont fréquens et furieux.

Tous les habitans de Morgat sont pilotes [vaisseaux NDLR], marins pêcheurs.

La côte de Dinan jusqu'à la pointe de la chèvre à quatre-vingt-dix pieds d'élévation, elle n'offre d'objets remarquables qu'au peintre qui voudroit placer dans ces tableaux de superbes fonds de rochers.

Il seroit urgent de réparer le chemin de Crozon à Camaret, aussi nécessaire à la défense de la côte qu'au commerce, il est interrompu par la rupture d'une chaussée du moulin de l'anse de Dinan. La descente à Camaret est dangereuse pour toute espèce de voitures, cette réparation seroit facile, les matériaux sont sous la main ; elle ne coûteroit qu'un millier d'écus.

Le port de Camaret s'encombre par les terres, les pierres, les gravois qui tombent des montagnes voisines; on remédieroit à cet inconvénient par une petite chaussée de retenue dans laquelle on pratiqueroit des passages grillés en fer, pour laisser écouler les eaux.

Des bâtimens de toute espèce peuvent mouiller à Camaret, mais il ne peut entrer dans le port que les barques….

On trouve à mer basse jusqu'à dix brasses d'eau au mouillage.

On fait à Camaret la pêche de sardine.

La communication de l'Orient à Brest est abrégée de neuf lieues en prenant la route de Lanvau [Lanvéoc NDLR]; ce bourg donne sur la rade de Brest, il a deux petits ports. Le port de L'Ouest n'offre aucune facilité pour les embarquemens quand les vents d'Est règnent sur la côte, une jettée prolongée partant du milieu de la chaussée, dans la direction de la route, tiendroit à flot les bâteaux ; on ne seroit pas obligé d'attendre quelquefois l'embarquement, une marée entière, on pourroit partir à toute heure, cette jettée coureroit au nord ; observez que le service des côtes, que les approvisionnemens de Brest, que des courriers pressés prennent la route de Lanvau ; les dix mille francs accordés pour ces travaux jusqu'en 1793, ne sont pas le cinquième de la somme nécessaire pour les achever.



Landevenec est sur la droite au milieu des bois, on les exploite sans intelligence [La Commende NDLR], on les coupe sans les enlever, on détruit sans profit ; des enfans commissionnés, des commis sans connaissance font plus de mal qu'un incendie. Ces tems d'ignorance et de désordre cesseront-ils avant d'avoir perdu la France ?

Cette côte est sèche en général.

L'abbaye de Landevenec fut fondée dit-on, par le roi, Gralon, à la fin du quatrième siècle ; Le fameux Guenolé fut le premier abbé de ce saint Monastère : le roi Gralon, après la destruction de la superbe cité d'Is, s'y retira. Ce fut là qu'il fut enterré ; on écrivit sur son tombeau, simple et sans ornemens, ces vers, datés de 405.
"Hoc in sarcophago jacet inclyta magna propago
Gradlonus magnus Britonum rex ; mitis et agnus Noster Fundator, vitae coelestis amator ;
Illi propitia sit semper virgo Maria."

["Dans ce sarcophage repose l'illustre descendant de
Gradlonus grand roi des Bretons ; notre doux et tendre Fondateur, amoureux de la vie céleste ;
Que la Vierge Marie lui soit toujours favorable." NDLR]

Le style, les idées n'en sont pas recherchées : il est extraordinaire qu'à cette époque, près la superbe ville d'Is, abîmée par son luxe, ses débauches, on n'ait pas trouvé de poète plus élégant pour célébrer notre bon roi Gralon ; quelque profond critique en soupçonnera l'authenticité.

L'orge est le grain qui croît le mieux sur la presqu'île de Crozon ; les habitans s'en nourrissent principalement : ils fument leurs terres avec du goëmon, et se chauffent, faute de bois, avec des motes [tourbe NDLR] et la bouze de vache.

Les hommes y sont doux, timides, bons mais gâtés par leurs prêtres, espèce d'imbéciles aussi fanatiques, aussi dangereux, aussi fixement enracinés sur cette bute de sable que sur tous les points de la terre où l'on peut tromper, dominer, vivre aux dépens d'autrui, sans aucun genre de travail, profiter des foiblesses qu'on vous avoue, reconnoître un Dieu tout-puissant pour rejetter toute puissance temporelle, et faire de sang-froid verser des flots de sang pour maintenir le privilège et le droit d'abrutir et de tromper les hommes.

Dans la terre de Crozon est une pointe nommée Rostuder, dont les vassaux étoient attachés à la Glèbe (vassaux motoyers) ; ils rendoient compte à leur maître de tous les produits de la seigneurerie et n'avoient pour salaire qu'une nourriture frugale, et ce qu'il leur falloit de peau de mouton, pour s'habiller. Ce droit fut converti en rentes féagères, par un des ancêtres du maréchal de Château-Renaud.



Le fort Quélern, un des boulevards de Brest, que de nouveaux travaux rendent imprenable, est établi sur les terres de Crozon. Les Espagnols possédèrent un moment une des pointes de la presqu'île qui porte encore leur nom.

Du clocher de Crozon, on voit les îles de Molène, d'Ouessant et la pointe du Raz ; Brest, la mer, les montagnes du Menes-com [Ménez-Hom NDLR] et de Loc-Renan [Locronan NDLR].

Ces côtes sont très-élevées, des rochers énormes s'avancent, et les défendent en partie de la force des coups de mer. On voit du côté de l'île, prés du Bec-de-la-Chèvre, une grotte de 40 pieds de large, et de 100 pieds de profondeur.

On nomme la Porte, un énorme rocher percé, entièrement découvert à mer basse. La Porte a 40 pieds de haut, 30 pieds de large ; la mer, dans les jours de tempêtes, entre avec fureur par cette bouche étroite, et s'élance, en grondant, sur une plage sabloneuse qu'elle ne tarde pas à couvrir.

Au bourg de Crozon, commence une chaîne de montagnes de 33 lieues de longueur ; elle reçoit différens noms, de Menez-com, de Montagne-Noire, de Mné Arès, etc.

Soixante-douze moulins à vent, dans ce canton, travaillent principalement pour Brest.

Le canton d'Argol, district de Châteaulin, est situé dans les montagnes ; il est couvert de landes, ne contient que des terres strériles, si vous exceptez celles qui sont situées à l'est, et dans la partie du nord, où réussissent les fromens et quelques autres graines.

Extraits :
Jacques Cambry. Voyage dans le Finistère ou Etat de ce département en 1794 et 1795 - tome second. A Paris l'imprimerie - Librairie du Cercle- Social, rue du Théâtre-Français, N°4. An VII de la République française.

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