Jusqu'au 26 juin 1965, les presqu'îliens de l'Île
Longue étaient des gens heureux de vivre dans un petit paradis quasiment
clos. Ils étaient les descendants des carriers (travailleurs dans les
carrières de pavés) et des agriculteurs des hameaux de Bot Huelc’h, Kermeur,
Kernaléguen, Le Mur. Jusqu'ici, ils avaient vécu en bonne intelligence
avec l'armée qui disposait d'un fort au Nord (1695) et de fortifications
(1879) au Sud. Bien sûr, il y avait eu le camp
d'internés entre 1914 et 1920... Les constructions du poste de réglage
des torpilles de 1929 avaient quelque peu abîmé le paysage à l'Est cependant
le sentiment de plénitude existait vraiment dans les mentalités. Bien
sûr, il y avait eu la seconde guerre mondiale et sa batterie anti-aérienne
allemande Cr324 mais c'était l'ennemi...
Le premier nuage vint du Général de Gaulle, président de la république,
qui visita l’école navale à Lanvéoc Poulmic et passa à Camaret le 15 février
1965 ; il revint vers Brest en déclarant "La géographie a peut-être fait
de Brest un haut lieu de notre destin". Pas grand monde n'avait décodé
le message subliminal.
L'explication apparut dans la presse le 26 juin 1965 : l'Île Longue allait
devenir une base sous-marine qui accueillerait le premier sous-marin nucléaire
français "Le Redoutable" alors en construction à Cherbourg. Le gouvernement
accompagna l'annonce d'un déclaratif belliqueux : "Décision ferme et irrévocable".
Lors de la campagne présidentielle, le candidat François Mitterrand, s'opposa
à ce projet dispendieux : "Ce sont là des dépenses somptuaires. Elles
ne peuvent assurer la sécurité de la France, bien au contraire. Elles
la désignent plutôt comme une cible le jour où, si un conflit éclatait,
par exemple entre l’Allemagne et la Russie, c’est contre la France, alliée
de l’Allemagne qui, elle, ne possède pas la bombe que se tourneraient
par précaution les forces atomiques soviétiques".
Le préfet maritime de Brest, l'amiral Maurice Amman, eut la lourde tâche
d'expliciter les conséquences. La construction d'une base nécessitait
l'expropriation des habitants (70 familles - 98 personnes, 10 fermes,
3 commerces + maisons secondaires et 300 estivants), avec un plan de relogement
; nécessitait une zone tampon au Sud entre la zone militaire et la zone
civile qui impliquait dans ce polygone d'isolement le hameau de Rostellec
; réclamait une zone militaire technique qui raserait le hameau de Guenvenez
(31 habitants) en retrait de l'Île Longue avec un vaste polygone d'isolement
autour (fixé par décret le 21 mars 1969). La "colline blanche" serait
un site clos aux risques nucléaires potentiels. Il fallait aussi ajouter
une caserne pour les gendarmes maritimes dans le fort de Crozon pour assurer
la sécurité du site de défense nationale. Au delà de l'occupation des
sols prévue par la Marine Nationale, on y ajouterait une zone de servitude
non ædificandi (non constructible) pour palier aux risques d'explosion.
Au total : 260 propriétaires expulsables.
A partir du 6 juillet 1965, la Marine fit réaliser une étude topographique
de Guenvenez.
La population locale fut profondément affectée car une date butoir d'expropriation
était imposée : 1er janvier 1967. Au delà, les bulldozers remodèlerait
l'Île Longue de fond en comble. Pas un civil ne devait subsister dans
cet immense chantier.
Le 15 août 1965, 400 personnes manifestèrent.
Un comité de défense improvisé refusa l'expulsion. Les manifestants clamèrent
« l'Île Longue aux touristes » ainsi que « Aujourd’hui l'Île Longue, demain
la presqu'île toute entière. » Une rumeur de seconde base sous-marine
au Cap de la Chèvre courait. La militarisation de la presqu'île de Crozon
inquiéta mais peut-être pas tant que cela sachant que la presqu'île vit,
pour part, de la présence militaire depuis toujours. Il fallut changer
de message de contestation pour évoquer le risque nucléaire.
Le 20 août, 600 (1800 selon certaines sources) personnes environ manifestèrent,
des tracts furent distribués partout dans le voisinage, des autocollants
antinucléaires furent apposés sur les pare-brises. Demande de la démission
du maire de Crozon qui s'avérait être contre le projet puisque participant
au comité de défense, tout en étant non défavorable à des contreparties
équipementières dans la baie de Douarnenez pour le développement de la
voile.
Face au succès du mouvement un comité associatif fut créé :
COMITÉ DE DÉFENSE DE L'ILE LONGUE, ROSTELLEC ET GUENVENEZ
Objet : protection et défense des intérêts, tant collectifs qu'individuels,
des membres.
Déclaration du 02 09 1965. Publication 12 09 1965. RNA : W292001863.
Adresse : chez M. Marcel Montillet, Kernaleguen, Île Longue en Crozon.
Panique politique dans les environs. Les années soixante étaient les années
du tourisme de masse en déferlante avec camping sauvage sur la côte. Les
politiciens s'avérèrent inquiets : venir en vacances dans une presqu'île
nucléarisée n'était pas une invitation au voyage. D'autres inquiétudes
apparaissaient : l'explosion nucléaire de la base irradierait la ville
de Brest.
Le maire de Crozon, Louis Jacquin, tenta l'apaisement en déclarant que
les accidents de têtes de missiles nucléaires ne se produisaient pas mais
déplorait le fait accompli. Il réclama la création d'un village proche
du Fret pour reloger les déplacés.
Le sénateur du Finistère André Monteil de l'Union centriste, ex-secrétaire
d'état de la Marine, craignit de voir le département transformé en désert
apocalyptique. La députée Suzanne Ploux posa des questions à l'assemblée
nationale et n'obtint rien.
La récupération politique au niveau national n'eut pas de conséquence
sur l'élection présidentielle. Charles de Gaulle fut élu allègrement en
presqu'île bien que les presqu'îliens refusaient le projet de la base
sous-marine.
Le 21 novembre 1965, une grande manifestation se déroula à Crozon. Cette
Marche pour la Paix réunissait la Ligue des Droits de l’Homme et de la
Libre pensée, le Mouvement de la Paix, l’Association Nationale des Anciens
Combattants de la Résistance, les Comités d’Action Laïque du Finistère,
la Fédération de l’Éducation Nationale, le Syndicat National des Instituteurs,
l'Union des Femmes Françaises, l’Union des Jeunesses Communistes Françaises,
l’Union des Etudiants Communistes, le Parti Socialiste et le Parti Socialiste
Unifié, le Parti Communiste.
Le meeting du 30 janvier 1966 de Brest associa plusieurs représentants
politiques régionaux et représentants du tourisme, puis politiquement
du maire de Crozon au conseiller régional en passant par les représentants
du comité de soutien de l'Île Longue.
Coup de grâce, le 22 février 1966, l’acquisition des terrains fit l'objet
d'une déclaration d'utilité publique et urgente. Le comité de défense
n'ayant plus le moral devant la détermination de la Marine, il commença
alors le volet des négociations des indemnisations. Les solutions de relogement
restèrent vagues et surtout largement éludées par la Marine.
La mairie de Crozon comprit qu'elle devait prendre en charge le dossier
de ce relogement car plusieurs ex-propriétaires ou locataires n'avaient
pas de solution, en décidant d'acquérir 3,5 hectares dans le quartier
du Zorn, expropriation oblige si nécessaire et cela le 23 octobre 1966.
Expropriation il y eut, pour reloger 9 familles et des habitants de Guenvenez
ainsi que deux maisons sans affectations soit 37 lots au total.
Confirmation de l'ordonnance d'expropriation le 5 janvier 1967 et immédiatement
repoussée au 1er avril 1967 car l'ordonnance fut promulguée après la date
originelle du 1er janvier prévu.
La Marine provisionna 200 000frs pour dédommagement et lotissement des
terrains du Zorn. Seulement 30 572.59 frs furent affectés aux propriétaires
expropriés. Prix fixés définitivement par jugement du 29 septembre 1967.
Certains propriétaires plièrent et acceptèrent le dédommagement en l'état.
D'autres refusèrent et allèrent en justice pour être magistralement déboutés
et contraints de rembourser les deux tiers de l'indemnisation perçue.
Après bien des tractations municipales, le 9 mars 1972, le trésor public
accepta de passer l'éponge.
L'armée débroussailla les terrains tout en laissant quelques familles
sur place en suspend jusqu'au 22 mai 1967. Nouvelle date butoir :10 familles
furent autorisées à vivre dans le hameau du Mur en attente de destruction
et ceci jusqu'en septembre, puis jusqu'au 31 décembre 1967. Le lotissement
du Zorn ne serait disponible qu'au printemps 1968, si tout devait
bien se passer.
Les expropriations urgentes de Guenvenez : mises en application le 18
avril 1968 et reconduites le 8 août 1969. Les indemnisations définitives
fixées par jugement le 19 décembre 1969 (après la 1ère instance du 20
décembre 1968).
Le premier commandant de la base prit ses fonctions en janvier 1970. Le
sous-marin "Redoutable" en attente à Brest occupe un radoub
de l'Île Longue le 25 septembre 1970. Des milliers de personnels vont
y travailler. L'arrêté n° 7/72 du 20 mars 1972 reconnut la base sous-marine
de l'Île Longue.
l'Île Longue est méconnaissable, industrieuse. Les immenses terrassements
de l'Île Longue défigurent l'aspect campagnard, les déblais étalés à la
mer pour augmenter de 30 hectares la surface initiale artificialise la
côte. Les bassins / radoubs des sous-marins sont des balafres. 300 000
m3 de béton coulés, 6 000 tonnes d’acier employés, la base existe en plein
milieu de la rade de Brest. 100 000 tonnes de béton précontraint protégerait
le site d'une explosion accidentelle pyrotechnique d'un missile. Les risques
technologiques font l'objet de dossiers de surveillance.
Une manifestation antinucléaire inoubliable de la presqu'île de Crozon
concernant l'Île Longue se produisit le 27 juin 1981, juste après l'élection
de François Mitterand, président de la république socialiste. L'extension
des terrains militaires à vocation nucléaire avait concentré 1500 manifestants
de Morgat à Crozon. En tête de cortège, le maire et conseiller général
socialiste de Crozon Claude Yvenat, le député socialiste Jean Beaufort,
des antinucléaires de Plogoff et une trentaine de moutons du Larzac, lieu
contestataire antimilitariste méritoire ou notoire selon les opinions
politiques des lecteurs.
Le 22 avril 2023, quelques dizaines de militants de la MJCF – Mouvement
de la Jeunesse Communiste Française, de la Ligue des droits de l’Homme
et du Mouvement de la paix ont manifesté sur la cale du Fret avec en toile
de fond l'Île Longue pour condamner les armements nucléaires et réaffecter
les personnels dans la filière nucléaire civil. Le contexte de la guerre
en Ukraine attise les peurs.
Le 21 mai 2023, le collectif Ouest et Bretagne du Mouvement de la paix
avec la présence du Collectif finistérien pour l’interdiction des armes
nucléaires (Cian 29) ont organisé une marche / débat devant l'île Longue.
Manifestation en pleine guerre Ukraine/OTAN face à la Russie où la menace
nucléaire est aussi terrifiante et désespérante que dissuasive.
Le choix de l'Île Longue en Rade de Brest ne fut pas
la première option envisagée. D'autres lieux telle que la Corse eut son
heure d'intérêt mais le passage à Gibraltar inquiéta. Une autre éventualité
fit surface : Rochefort mais l'absence d'arsenal réduisit l'enthousiasme.
Enfin le Cap de la Chèvre apparut plausible, l'anse de St Nicolas avec
son ancienne caserne, seulement la force de la houle aurait nécessité
une digue géante pour assurer la tranquillité des sous-marins à l'approche
des radoubs. Un tunnel sous la presqu'île de Crozon entra dans le jeu
pour que les sous-marins du Cap de la Chèvre pussent rejoindre la rade
sans passer par le Goulet...
Pierre Pommelet, 28 ans, diplômé de l’École polytechnique et de l’École
des Ponts et Chaussées, chef du chantier et concepteur de la base sous-marine,
remarqua à l'époque l'empressement des autorités dans la réalisation du
chantier et par conséquence, l'empressement dans les expropriations sans
grands égards. Le général piaffait ! A peine achevé l'ouvrage, ce responsable
était désigné pour dessiner et réaliser les grands axes routiers bretons.
Après 1945
Chasseur de mines type tripartite CMT
Patrouilleur Kermorvan DF P2 douanes
Sémaphore du Toulinguet Camaret
Terminal pétrolier de l'Otan à Lanvéoc Lanvéoc
Présence armée britannique et US
BAN et Ecole navale après 1944/45 Lanvéoc
Hélicoptère Caïman marine NH90
Vedette de gendarmerie maritime P798
Batterie antiaérienne canon 57 mm
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Une information, une demande, patrimoine, nature, hors tourisme :
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