Chefs Kabyles internés au fort de Quélern en Roscanvel

Le décor de fond, un bureau de poste ancien presbytère, à gauche. A droite un restaurant ancienne poste. En premier plan un rond point à gauche, à droite un parking... Un carrefour communal ordinaire qui par le passé était un cimetière dans lequel une fosse commune qui se situait approximativement au pied du lampadaire bleu "accueillait" à contre-coeur un chef Kabyle... Une surface bitumée pour une page d'histoire de France très sombre...

Le 2 septembre 1870, Napoléon III dépose les armes au terme de la bataille de Sedan. L'empereur est fait prisonnier par la Prusse. Des habitants de l'Alsace et la Lorraine ne souhaitant pas passer sous administration prussienne préfèrent quitter la France précipitamment sur "l'invitation" d'Adolphe Thiers président de la république de 1871 à 1873. Ce dernier propose des terres en Algérie, colonie française : 100 000 hectares réservés aux Alsaciens Lorrains. Tout migrant s'engageant à vivre en Algérie 9 ans a un droit de terre acquis. Les populations Kabyles n’apprécient guère ces dépossessions arbitraires. Une émeute des chefs Kabyles est déclenchée par une grande activité de harcèlement, de guérilla envers les propriétaires français de grandes fermes. L'état français fait sonner une troupe de 100000 hommes commandée par le vice-amiral Louis Henri de Gueydon, gouverneur de l'Algérie, qui contient l'insurrection, met en fuite plusieurs chefs et en arrête d'autres. Les prisonniers Kabyles sont traités comme les Communards de Paris, avec une fermeté et un maigre souci de justice. Le procureur général de la cour d'appel d'Alger renvoi aux assises de Constantine 213 prévenus Algériens. Seuls 136 insurgés sont réellement arrêtés, les autres sont en fuite. Parmi les arrestations, 74 concernent des cheiks, des chefs religieux, des dignitaires de Kabylie.

Mohammed Ben Belkacem Ben Fialah, prisonnier n°142 est accusé de :
1. D'avoir, dans les cercles de Djidjelli et d'El Miliah, dans le courant de l'année 1871, participé à un attentat ayant pour but, soit d'exciter à la guerre civile, en armant ou en portant des citoyens ou habitants à s'armer les uns contre les autres, soit de porter la dévastation, le massacre et le pillage dans une ou plusieurs communes.
2. De s'être, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, soit pour envahir des domaines, propriétés ou deniers publics, places, villes forteresses, postes, magasins, arsenaux ou bâtiments appartenant à l'état; soit pour piller ou partager des propriétés publiques ou nationales, ou celles d'une généralité de citoyens; soit enfin pour faire attaque ou résistance envers la force publique, agissant contre les auteurs de ce crime, mis à la tête de bandes armées, ou d'y avoir exercé une fonction ou un commandement quelconque, ou de les avoir levées ou fait lever, organisées ou fait organiser.

La mise en détention est ainsi déterminée avant l'application des peines :
Enjoint au gardien de ladite maison de les recevoir et des écrouer sur les registres, en se conformant à la loi. Seront pris au corps et conduits sous bonne et sûre garde, dans la maison de justice établie pour la cour d’assises du département de Constantine, où ils seront écroués comme acteurs des crimes de excitation à la guerre civile, pillages, incendies, dévastations, assassinats et complicité ci-dessus spécifiées, prévus et punis par les articles 91, 96, 434, 437, 440, 442, 295, 296, 297, 302, 304, du code pénal.
Fait et prononcé, en chambre du conseil, au palais de justice à Alger, le samedi 21 septembre 1872.

Chaque prisonnier prend connaissance des chefs d'accusation qui le concerne qui sont de toutes les façons une porte vers la condamnation à mort dans la plupart des cas. Des condamnations commuées à la déportation à vie en Nouvelle Calédonie pour certains. 90 Kabyles dont des caïds, des marabouts, toute une élite arabe mais francophone se retrouve internées dans les bunkers souterrains de l'armée française dans le fort de Quélern construit en 1854 et ne servant à rien du fait de sa non résistance aux obus explosifs ennemis. Conditions de vie déplorables dans des cellules humides. Chaque chef avait gardé son costume traditionnel et se comportait avec une prestance qui émut le directeur de la prison qui tenta d'humaniser une incarcération qui devait être la plus affligeante possible. La nourriture y avait été adaptée et l'absence d'alcool respectée mais pour le reste, la vie carcérale n'avait pour avantage que quelques promenades surveillées.

L'un des dignitaires, Mohammed Bou Fialah meurt de tuberculose et comme le mauvais temps ne permet pas le transfert du corps par voie maritime vers l'Algérie comme le suggéra l'autorité pénitentiaire, il est conduit le jour même, comme la coutume musulmane l'exige, au cimetière de Roscanvel, sous un linceul blanc, levé par ses hommes, entourés de soldats français jusque la fosse commune sur laquelle quelques paroissiens ont planté une croix chrétienne. La fosse commune est aujourd'hui le parking de la place de l'église.

Une autre personnalité Kabyle a marqué les esprits d'alors, le chef Ahmed-Boumezrag El Mokrani dit Boumezrag «l’homme à la lance» qui fut arrêté avec ses guerriers, condamné à mort le 27 mars 1873 par la Cour d'Assises de Constantine, se voit déporté au fort de Quélern avant son départ pour la Nouvelle-Calédonie. Sa condamnation est commuée en peine de prison à vie. Sa mère de 64 ans vient d'Algérie pour assister au départ de son fils pour le bagne, elle est déjà en deuil d'un fils tombé dans la révolte et qui était un chef de famille important. Elle le salue à la cale du pavillon de Sourdis quand il embarque à bord d'un navire de détention pour un voyage calamiteux de six mois dans des cages de fer avec d'autres rebelles, communards de Paris, anarchistes... Elle lui montre une branche de palmier dattier, l'emblème de son pays d'origine.

Ce chef va aider ses geôliers à résister à une révolte Canaque. Pour ce fait d’allégeance à l'autorité française, il est gracié en 1878 mais ne peut quitter la Calédonie qu'en 1905 pour rejoindre son pays et y mourir l'année suivante.

10 navires de déportation vont quitter Roscanvel pleins de prisonniers contestataires à la république française. La traversée comptera ses morts. Les survivants ne reviendront pas tous vers leur patrie. Certains feront leurs vies en Nouvelle-Calédonie.



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