Le cœur du domaine de l'abbaye, des hectares à perte de vue.
La gestion financière de l'abbaye
de Landévennec eut de graves conséquences économiques sur la Presqu'île
de Crozon en maintenant, dans une indifférence complète, un seuil de pauvreté
contraint par le régime féodal et clérical. Lutte de pouvoir entre ces
deux « factions » dominantes et dont la porosité ne fit qu'accroître les
inégalités avec pour seule régulation, une injustice organisée dans la
défense des privilèges au dépend des démunis. Qu'une aristocratie chercha
le gain à tous crins, le contraire eut surpris. Qu'une confrérie religieuse
œuvra aux bénéfices substantiels, cette détermination étonne tant la modestie
des biens terrestres semblait être l'apanage de la vie monastique.
L'abbaye de Landévennec en ces siècles de l'ancien régime ne fut ni pire,
ni meilleure que tout autre établissement religieux. Absence de charité,
détournements de fonds, falsifications de titres... Oppressions, démêlés
judiciaires... Rien de l'état d'esprit du bon chrétien.
Le moine Guénolé exista sans doute ; qu'il fut à l'origine d'une communauté
d'une douzaine de moines qui s'installa dans le doux écrin de Landévennec
pour y diffuser la nouvelle religion chrétienne en terre païenne, c'était
la vocation des moines que le prosélytisme. La réalité est qu'aucun texte
ayant résisté au temps, si tant est qu'il y en ait eu, n'a pu donner la
date de la fondation de la communauté qui selon les sources varie entre
le 5ème et 7ème siècle. Tout ce qui est connu aujourd'hui de la vie monastique
locale fut décrit par le moine Gurdisten vers 870, soit à minima deux
siècles après la mort de Guénolé. Le moine prit soin de réécrire et d'enluminer
la genèse de l'abbaye en dotant le célèbre moine de qualités divines.
Ainsi l'installation de l'abbaye par la bienveillance du roi légendaire
Gradlon, pour « service rendu », est un arrangement historique flou, définitivement
opaque.
Les évêchés se déterminaient par la cartographie des influences féodales
des seigneurs qui s'adossaient à l'organisation de l'église catholique
pour engranger les meilleurs avantages sachant que les évêques étaient
des fils de bonne famille. L'évêché de Cornouaille Bro-Gernev englobait
l'actuel Finistère Sud dont la presqu'île et le centre occidental de la
Bretagne avant le régime concordataire.
A l'intérieur même de l'église apparut une lutte à propos des prérogatives
des moines sur la gestion de leurs biens qu'ils voulaient indépendante.
Inversement, les évêques successifs demandaient des comptes et surtout
des retombées financières croissantes pour être remarqués de la papauté.
Ceux-ci étaient en liens avec le parlement de Rennes et déplaisaient autant
à la petite noblesse presqu'îlienne qu'aux moines souvent issus du peuple,
du moins d'un niveau social non titré. Les nobliaux prirent l'habitude
de faire des dons de parcelles aux moines afin d'entrer dans les faveurs
du ciel de sorte que l'accumulation des surfaces permit d'établir un vaste
domaine agricole qui venait en soustraction des possibilités de rayonnement
de l'évêché.
Le cartulaire (recueil de chartes et des titres) de 1050 de l'abbaye décrit
les possessions de l'abbaye. Les donations et possessions englobaient
Landévennec, Argol et Telgruc à plus de 98% des terres. Crozon (+ Lanvéoc),
Camaret, Roscanvel à 60% des terres en ce qui concerne la presqu'île de
Crozon. Certes, nombreuses étaient les terres à l'abandon, à défricher,
de peu de profondeur, et donc d'une culture plus que délicate mais cela
restait un patrimoine foncier qu'il fallut gérer. Un moine ordinaire n'avait
ni le temps, ni peut-être les compétences du comptable de sorte qu'un
abbé régulier était élu à chaque monastère. Une élection parfois tonitruante
et manipulée par l'évêché afin de placer un « connaisseur » ayant des
accointances avec les notaires et les aristocrates du cru ceci jusqu'au
concordat de Bologne.
Une douzaine de moines ne pouvaient entretenir et cultiver des milliers
d'hectares de sorte que le domaine de l'abbaye aussi vaste fut-il était
un domaine congéable. D'un côté le foncier (bailleur) propriétaire du
bâti, des terres et des bois nobles et de l'autre le domanier (fermier)
propriétaire de l'outil de travail, bâtis compris mais devant verser des
rentes et la dîme. Le fermier pouvait affermer les terres du bail... Dilution,,
éparpillements, malversations, litiges en tous genres...
Guerres de succession à chaque décès de l'abbé régulier. Règlements des
conflits par les évêques de Vannes et de Rennes qui fréquentaient la maison
du Duc de Bretagne.
Autre souci de légitimité, les désaccords de propriété en une époque où
le cadastre n'existait pas, où la noblesse et le clergé s'inventaient
des prérogatives et des droits illusoires par des documents falsifiés
qu'il fallait démêler dans des accords complexes et rarement appliqués.
La famille Rosmadec
était l'une des rares à nuire aux velléités expansionnistes des ecclésiastiques
car elle-même espérait une hégémonie régionale avec quelques aboutissants
honorifiques au royaume de France.
Bien que le concordat de Bologne entre François 1er, roi de France, et
Léon X, pape, data de 1516 et autorisant le monarque à nommer les évêques
et les abbés issus de sa noblesse selon ses désirs de contrôle de l'Eglise
quelque peu envahissante et trop argentée, le processus de la « commende
» se mit en place seulement en 1522 en presqu'île (10 ans avant le rattachement
de la Bretagne à la France) et l'abbé régulier de l'abbaye de Landévennec
devint un abbé commendataire. Le premier commendataire était un protégé
d'Anne de Bretagne, Thomas Le Roy qui occupa ces fonctions deux ans avant
de mourir. Les successeurs œuvrèrent avec modération jusqu'à la nomination
d'un prêtre breton sans carcasse, Pierre Loargan, qui se trouva propulsé
par l'entremise de deux nobles : René de Mesgouez seigneur de Kermoalec
et Troilus de Mesgouez marquis de la Roche. Ce dernier, ex page et amant
de Catherine de Médicis était maître en opportunisme, manigances et spéculations
jusqu'à mourir honni et ruiné. Mais du temps de sa splendeur, avec son
frère, ils mirent l'abbaye dans un grand dépouillement.
Vincent Le Grand, juge à Carhaix, recueille le témoignage des moines de
Landévennec, le 14 juillet 1603 pour éditer un procès verbal révélateur
:
« … Les moines seront contraints de quitter l'abbaye et leur profession
pour trouver d'autres moyens par lesquels s'entretenir. Ils nous ont encore
remontré que l'avarice desdits seigneurs de Kermoalec et marquis de la
Roche les aurait tant transporté qu'ils auraient pris la vaisselle d'argent
dédiée pour servir l'église, [ainsi que] crosse, calices, patènes, plats,
chandeliers et autres, et en auraient fait de la vaisselle de cuisine
pour leur usage particulier, [avec l'intention de] les lisser comme leur
propre à leurs héritiers. Ils auraient pris et fait rendre et fondre en
leur manoir de Trévalet, pour en faire servir de canons, deux des plus
grosses cloches de ladite abbaye... »
Seuls cinq moines (1597) acceptèrent de vivre dans cette abbaye sans fenêtre
et aux toits percés avec pour toile de fond les guerres de la Ligue qui
infiltraient des incursions protestantes dans la région avec pour apothéose
des famines et des épidémies. 1606, deux moines survivaient dans une demi
ruine. L'abbé incompétent mourut fort à propos tant on espérait s'en débarrasser.
Le successeur Jean Briant / Briand acquit la réputation de rénovateur
de l'abbaye. Un bienfaiteur de la congrégation selon certains écrits tardifs,
mais un gestionnaire strict quant aux taxations infligées à une population
que la main-mise de l'abbaye étranglait. Un abbé qui n'oublia pas de se
faire construire une maison
abbatiale sur place. Plusieurs groupes de moines demandèrent leurs
« mutations » pour cause de trop grande précarité entre les murs du monastère...
Autre dégradation : le patrimoine foncier en voie de dislocation faute
d'entretien et d'une claire gestion. Les paysans payaient indifféremment
des redevances aux seigneurs qui le demandaient ou au clergé qui l'exigeait
sur des parcelles éloignées de l'abbaye dont on ne savait plus la réelle
propriété tant les actes avaient été dénaturés au fil du temps. L'abbaye
se repliait et intensifiait ses prises de bénéfices sur la presqu'île.
Après la rehausse de Jean Briant qui confia 40 000 livres à son successeur
Pierre Tanguy, qui lui-même transmit sa charge à son neveu Jacques mort
en 1695, la décadence absolue. Les deux abbés Tanguy furent des fraudeurs
de haute volée, faussaires experts, percepteurs de rentes illégales, escrocs
majeurs. Pratiquant la déforestation aveugle pour de l'argent facile de
court terme ce qui eut pour conséquence, l'affaiblissement de la rentabilité
des forêts de Landévennec. Le Conseil de Rennes condamna Jacques Tanguy
avant d'octroyer le droit à des réparations auprès des héritiers des abbés
malfrats... L'abbaye était devenue une œuvre de malversation toujours
en défaveur de la population locale.
Bien qu'un tiers des revenus de l'abbaye était sensé revenir aux moines
(mense conventuelle), les frais de fonctionnement et d'entretien ordinaires
menaient les moines à l'emprunt et à la dette envers le diocèse qui profitait
de ce moyen de pression pour faire taire les moines.
Les annales des abbayes commendataires de 1742 notaient les finances de
l'abbaye :
Sous la gestion de Jacques-Philippe de Varennes de l'ordre de St Benoît,
nommé en 1713, versait 120 florins or à Rome pour un revenu de 4500 livres
déclaré. En comparaison, l'évêché de Quimper versait 1000 florins or au
Vatican et disposait d'un revenu auprès de 200 cures de 22 000 livres.
L'abbé de Varennes fut l'un des rares abbés à soutenir financièrement
les moines en réduisant sa part personnelle et celle de l'évêché. Réduire
la mense abbatiale revenait à réduire les perspectives d'une promotion
épiscopale.
Etat des finances de l'abbaye au 26 août 1766 :
Pension versée par l'abbé 1437 livres
Métairie de Penforn 105 livres
Dîme d'Argol et de Telgruc 1359 livres
Corvées de Landévennec 107 livres
Vente d'un bois de 2 arpents, 80 perches 180 livres
Rentes sur Tibidy 24 livres
Rentes de l'île de Sein 30 livres
Rentes sur la maison de Bel-Air de Quimper 96 livres
Rentes sur deux fermes de Guasquelliou 137 livres 7 sols
Une garenne 32 livres 2 sols
Rente sur l'Hôtel de ville de Paris 122 livres 10 sols
Versement pour offices claustraux 55 livres
Métairie de Gernévez d'Argol 61 livres
Fermage de 9 moulins 1773 livres
Rentes de la Chambrerie 107 livres
Versement à la sacristie 100 livres
Revenu des 6 prieurés 3209 livres 2 sols 2 deniers
Casuel 200 livres
Charges ordinaires 1289 livres 9 sols 4 deniers
Réparations ordinaires 2000 livres
Cette nomenclature n'éclaire pas tous les avantages financiers du monastère
/ seigneurie. Par exemple, revenait à l'abbaye, les redevances de trois
principaux bacs permettant de traverser la rivière Aulne autant pour les
échanges commerciaux, militaires, agricoles que pour les passages privés.
A chaque, embarquement un tarif qui au 18ème siècle était fixé par le
roi. Le passage de Landévennec lui-même était tarifé que l'on fut homme
ou bête à 1 sol 10 deniers et par quintal de marchandise 1 sol. Par manque
d'entretien à la charge de l'abbaye, la circulation des bacs était aléatoire.
Sans oublier les affaires de pêcheries...
Le pli de « l'indélicatesse » était pris, voici l'abbé Jean-Baptiste-Marie
Champion de Cicé (en fonction de 1746-1779) qui ne rêvait que d'une chose,
une nouvelle maison abbatiale digne de son nom et bien qu'interdite d'élévation
par l'autorité royale afin de pourvoir aux travaux urgents de l'abbaye
estimés à 20 000 livres, parviendra à ses fins ultérieurement tout en
sacrifiant une ancienne chapelle portant les armes de la famille de Rohan
et constituant un patrimoine identitaire ancien de l'abbaye auquel les
moines étaient attachés.
Une fois de plus, les moines fléchirent leur instinct de révolte qui gagnait
par le biais d'un courant Janséniste prônant la mesure en toute chose.
Bien leur en avait pris car le roi Louis XV institua en 1766 la « Commission
des Réguliers » surnommée la « Commission de la hache » favorisant la
fermeture des monastères ayant peu de moines (moins de neuf). Les relations
de l'abbé Champion de Cicé permirent de maintenir l'abbaye litigieuse
en 1769.
Les moines à plusieurs reprises s'opposèrent aux injonctions royales ou
se permirent de les critiquer parfois par écrit sous le couvert d'un esprit
janséniste trop aigu. Fort préoccupés de leur sort, leur éloignement de
la misère des habitants resta cependant coupable.
En cette fin du 18ème siècle, l'ancien régime était à bout de souffle.
Une enquête administrative commandée par l'abbé Champion de Cicé (dernier
abbé commendataire) datant du 20 février 1778 précisait à propos de la
presqu'île :
« Ce canton offre le tableau le plus triste ; à peine y voit-on quelques
parcelles cultivées et dont l'habitant puisse tirer pendant trois mois
sa subsistance, le surplus est en friche... On ne peut rejeter la désolation
qui règne dans cette contrée que sur la nature des possessions ; toutes
ces terres sont en général sous l'usement de Cornouaille, c'est-à-dire
qu'elles sont tenues à domaine congéable. »
S'il y avait le moindre doute que les occupants de l'abbaye de Landévennec
n'avaient pas conscience du malheur qu'ils perpétuaient, cette enquête
qui recommandait des remaniements pour octroyer des biens fonciers à la
seule charge des paysans afin qu'ils pussent se nourrir décemment plutôt
que de travailler pour rien ou presque, ou d'abandonner les terres, établissait
sans conteste le dévoiement clérical au bénéfice de la cupidité.
Vers 1779, une nouvelle gestion des biens de l'église apparut. Les fruits
de la gestion des monastères passèrent directement par l'évêché pour se
fondre dans la mense épiscopale. La méthode de suppression de la mense
abbatiale prit effet le 7 juillet 1784. Les moines et l'évêché furent
emportés dans un tourment, auparavant larvé, mais désormais béant alors
que des travaux essentiels attendaient un financement. On déboisa à outrance
à nouveau pour remplir accumuler des fonds. Le tiers revenant aux moines,
ils s'empressèrent de rénover le bâti du cloître au niveau de 21 000 livres,
pour le reste, l'argent se dilua on ne sut où.
Les moines étaient quatre à la veille de la Révolution française, effectif
insuffisant pour maintenir le monastère selon la commission de la hache
!
Les événements de 1789 et le démantèlement des biens religieux au profit
des biens nationaux fit sortir des réalités financières déplorables à
l'abbaye de Landévennec remarquées en 1790 :
Mense / revenu à l'année : 16060 livres 15 sols 7 deniers.
Dette : 34556 livres 9 sols 5 deniers.
Recouvrements en cours : 2709 livres 3 sols.
Une faillite d'autant plus manifeste que les terres revendues à la noblesse
durant des siècles réduisit la valeur foncière d'une seigneurie rapace.
Une abbaye dont les ferrures de la porte connut l'or durant le 17ème siècle
selon des descriptifs contemporains... exagérés ou non... Dans les années
grasses, le revenu de l'abbé, à son seul usage, flirtait avec les 1500
livres annuellement, nourri, logé, blanchi... Sans nécessité de prière
avec obligation de faire de l'argent, toujours davantage...
En l'an mille, l'abbaye possédait des terres dans 22 communes du Finistère Nord actuel dont deux à 60%. Plus les deux-tiers du Finistère Sud actuel à diverses densités territoriales avec des débordements à l'Ouest du Morbihan actuel et des Côtes d'Armor actuelles dans des densités modérées.
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