L'industriel Mr P. propriétaire des deux conserveries en
Morgat se trouva à la une des commérages de Crozon Morgat pendant plusieurs
années. La presse régionale s'en fit l'écho.
Me Lalouët, avocat conseil de Mr Berneron, écrivit une lettre au maire
de Crozon Morgat que l'édile lut au conseil municipal du 11 octobre 1931.
"Mr P. semble empêcher l'accès des habitations situées sur la falaise.
La question n'est pas nouvelle : Mr P. a établi une rampe en cet endroit
sur un domaine dont il ne peut prétendre être réellement propriétaire
mais qu'il se réserve pour lui seul... Ce qui est encore plus mauvais,
Mr P. a supprimé le passage du bout opposé et y a construit un escalier
en pierres qui ne peut être suivi même par les piétons.
Cette situation est intolérable. Le conseil municipal en est ému. Il demande
avec insistance à l'administration supérieure d'ordonner à cet effet une
étude précise pour être soumise à la juridiction du conseil de préfecture."
Le commentaire de la presse (Dépêche de Brest ) étant accablant à l'encontre
de Mr P., celui-ci fit jouer son droit de réponse comme l'article 13 de
la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse le lui permettait.
8 novembre 1931. Lettre ouverte à Me Lalouët, avocat à Brest. — On nous
prie d’insérer [Ndlr]:
"Je viens de prendre connaissance dans la Dépêche de Brest de la lettre
que vous avez adressée au Conseil municipal de Crozon. Je suis propriétaire
de la rampe au point que, si demain fantaisie me prenait de bâtir, nul
ne pourrait m'en empêcher. Cette rampe nécessaire à l'usine a été construite
pour son usage par un entrepreneur dont je possède les reçus.
Il est exact, d'autre part, que je suis dans le bas de cette rampe locataire
du Génie maritime pour 100 m², et je paie une redevance annuelle — de
tout le reste, je suis propriétaire et détiens les titres d'achat, je
n'ai d'ailleurs jamais empêché de passer pour aller chercher de l'eau
à la fontaine. Pour ce qui est de l'escalier, la situation est tout autre.
Autrefois, ainsi que je l'ai vu de mes yeux, tout comme l'ont vu les gens
de mon âge, le chemin de la fontaine existait, mais s'arrêtait brusquement
à plus de trois mètres de hauteur et rejoignait le quai par un chemin
de chèvres semblable à celui qui existe actuellement devant Kerdour (moins
haut cependant). Le sentier le long du quai avait à peine 0 m.50. donc
jamais une voiture n'a passé par là. Le quai était constitué par d'énormes
pierres plates placées sur champ, à côté desquelles les pêcheurs venaient
débarquer et vendre leurs sardines aux saleurs.
L'usine construite, le pêcheur ne voulant plus porter sa sardine par le
chemin de chèvres, qui était très dangereux par temps de pluie, mon prédécesseur
intenta et gagna un procès contre le maire de Crozon, mettant ce dernier
dans l'obligation de construire l'escalier actuel.
Si donc l'on en revenait à l'ancien état des choses ce serait retourner
au dangereux chemin de chèvres et il resterait, comme il existe actuellement
pour les riverains, le chemin du haut, qui a toujours été le seul existant
pour les voitures.
J'espère que ces explications vous suffiront.
Veuillez agréer, monsieur, mes empressées salutations.
Mr P."
La mairie de Crozon-Morgat n'avait pas la même lecture du dossier. Le
fameux escalier aurait empiété sur le domaine maritime ainsi que le départ
de la rampe. La partie basse de la rampe était sur terrain communal inaliénable
et la partie haute, Mr Berneron en était le permissionnaire. Le conseil
municipal, par délibération du 22 mai 1932, décréta la démolition de l'escalier
en pierre et du mur de soutènement construits par Mr P. Le maire J. Cariou
envisagea l'hypothèse d'un procès au civil déclenché par le conserveur
et se réserva le droit de se faire aider par la préfecture pour user de
son droit d'option pour enfin réaliser le projet de transformer ce chemin
en voie vicinale de 6 mètres de large. L'industriel qui avait intenté
un procès administratif à Mr Berneron pour interdire à celui-ci d'y faciliter
la circulation, fut débouté.
Au cours du conseil municipal du 23 juin 1935 dirigé par le maire Mr Bergerot,
il fut décidé de faire le nécessaire administratif pour que le chemin
rural enfin élargi, entre le quai du Kador au niveau de la mer et les
fontaine et lavoir de la Montagne qui rendaient service à tout le voisinage,
fut classé parmi les voies vicinales de la commune afin de fixer son assiette
et de déterminer ses servitudes. Le mur de soutènement bien plus vertical
permit l'élargissement, l'escalier ne semble pas davantage commode.
Ce chemin est escarpé à cause d'un dénivelé important qui donna l'idée
d'appeler le quartier la "Montagne". Sans ce chemin, il fallait faire
un grand détour qui ne plaisait à personne. C'était à s'user les pieds
dans ses sabots de bois.
Aujourd'hui, la vicinale est devenue la rue de la Montagne avec son épingle
à cheveu. Chaque véhicule motorisé s'y prend à deux ou trois fois pour
assumer le fameux virage étranglé. Il faut noter que l'industriel de Douarnenez
était qualifié par la presse d'alors "d'industriel sympathique" jusqu'à
l'affaire de la rampe...
Mr P. paraissait de temps à autre dans la presse. Il fut amputé d'un bras en 1912 lors d'un accident dans son usine de Douarnenez en expliquant l'usage d'une nouvelle machine à courroie à une employée qui ne savait pas s'en servir. La directrice de l'école maternelle de Morgat remercia l'élite Morgatoise pour les dons de l'arbre de Noël de 1930. Parmi les généreux donateurs. Mr Lazard de Neuilly 100frs [financier propriétaire d'une villa au-dessus du port], Mme Péchin et Mr Potier de l'Hôtel de la mer 50frs, Mr Chabal architecte du gouvernement 50frs [architecte de nombreuses villas de Morgat], Colonel Valentin de Paris 50frs, Mr Breitling vice-président du tribunal de la Seine 20frs [famille Peugeot propriétaire de villas et d'un lotissement], Mr P. 10frs, Madame la général Hunter 10 frs, Madame de Marliade Hôtel Hervé 5frs...
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