Le 19 janvier 1914, la gendarmerie se rend dans une boulangerie
/ débit de boissons de Crozon pour interroger la gérante à propos d'une
rumeur d'infanticide. La femme est veuve, a 37 ans et aurait accouché
clandestinement. La rumeur se veut précise : cette femme, Marie-Anne Le
D. veuve L, aurait fait brûler le corps de son bébé dans le four de la
boulangerie. La clientèle s'est raréfiée très rapidement dans un sentiment
de forte réprobation et par crainte d'une diablerie.
La jeune mère nie tout dans un premier temps, puis reconnaît avoir confié
son fils à des bohémiens de passage. Les gendarmes ne sont bien évidemment
pas convaincus par cet alibi.
Elle est arrêtée le 21 janvier et interrogée par un juge d'instruction
qui parviendra à lui faire admettre que le corps du bébé est caché dans
des linges dans la sous-pente de la boulangerie. Elle explique son geste
par la peur des commérages à propos de son inconduite bien que veuve depuis
longtemps. Une veuve doit rester sage comme une image pieuse, seul un
mariage à l'église peut lui éviter le dépérissement. A l'époque le veuvage
féminin est affiché sur les devantures des commerces quand la veuve est
commerçante, cela donne une stature de courage et d'intégrité reconnue
de tous. La veuve joyeuse n'entre pas dans la catégorie des femmes honorablement
connues.
Afin de jauger la noirceur de Marie-Anne, les gendarmes ont interrogé
autant de personnes que jugé nécessaire. L'enquête de moralité ne révèle
rien, la veuve avait jusqu'ici bonne réputation et l'on ne lui attribue
aucune frasque publique. On se demande même qui est l'auteur de la surprise
; l'aide boulanger sans-doute mais le coquin ne dit mot et fait l'innocent.
Le jugement du tribunal de Quimper pour suppression d'enfant, du 29 avril
1914, sous la présidence de M. le conseiller Tissandier, condamne la veuve
infanticide à un an de prison avec sursis sachant que le corps de l'enfant
ne comportait aucune marque de violence.
Avocat Me Verchin. Substitut Brouard.
La propriétaire de la boulangerie est contrainte d'entamer une campagne
de presse et d'informer la population que l'enfant n'a pas été enfourné
mais retrouvé mort de manière inexpliquée pour recouvrer ses bénéfices.
Les affaires d'infanticide sont fréquentes et les peines encourues « modestes
» tant que la mère n'a pas eu de comportements que la morale réprouve
: prostitution, violence, alcool... Des femmes, dans les fermes à l'écart,
ont échappé à la justice en enterrant leurs bébés dans le jardin sans
que quiconque ne s'en souciât. Ces affaires ne faisaient pas la une des
journaux. Quelques lignes dans la rubrique locale au moment de l'arrestation,
deux paragraphes pour le compte-rendu du jugement et l'on passait à l'affaire
suivante qui comportait autant de désarroi et de pression sociale chez
des femmes en manque de liberté.
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