La chasse est pratiquée avant tout par les membres masculins
des familles aisées. le prix d'un fusil de chasse n'étant pas à la portée
de toutes les bourses, le milieu des pêcheurs étant pauvre depuis toujours,
seuls les notables peuvent prétendre à s'offrir ce loisir. La vie en presqu'île
étant un milieu très fermé, il n'est pas aisé de marier sa fille à un
fils de famille dont les intérêts peuvent se croiser. L'armée en cours
d'armement intense dans les batteries côtières affecte de jeunes officiers
d'artillerie qui à leur poste s'ennuient intensément tant il y a peu de
guerre à faire entre les rochers et les casernements. De jeunes officiers
souvent issus de bonnes familles et à ce titre de quasi noblesse les pères
notables se disent qu'une fille mariée à un officier est un bon placement
d'autant que les filles n'ont pas d'avenir sur les terres, seuls les fils
aînés sont en mesure de faire fructifier le patrimoine familial. Et c'est
ainsi que sur les rivages, on voit chasser notaires, médecins, propriétaires
terriens, armateurs en compagnie de lieutenants fringants faisant feu
sur les récifs, à proximité des grottes marines. Le boucan est plus guerrier
qu'un tir d'artillerie parfois. Les cavités rocheuses font office de caisse
de résonance. Le jeune militaire s'est distrait, et à défaut d'avoir déplumé
un Anglais, le grand
cormoran reste une prise de choix. Pour autant, l'officier sait-il
qu'il est chassé par une stratégie paternelle locale ? Le lieutenant se
retrouve à la table d'une maison bourgeoise en présence des hôtes endimanchés
et de leur fille à marier toute pomponnée... Au menu, du cormoran, un
"faisan un peu salé" savouré par un faisan en uniforme...
Oui mais voilà, la révolte gronde chez les pêcheurs car les tirs de carabine
se font à l'encontre de tout ce qui vole. Les oiseaux marins, goélands,
mouettes, pingouin, macareux sont aussi tirés par le beau monde, or ces
volatiles sont les radars naturels de la présence de poissons dans la
mer. Quand ces oiseaux survolent frénétiquement une surface maritime,
les pêcheurs n'ont plus qu'à y jeter les filets, la pêche est assurée.
Le 1er septembre 1909, un arrêté préfectoral du Finistère interdit la
chasse aux mouettes et aux goélands, la victoire est célébrée par les
pêcheurs dans les débits de boisson. Le coup est rude pour les chefs de
famille en surplus de filles à marier. Le temps se gâte d'ailleurs car
les militaires vont de plus en plus dans les bals organisés par les hôteliers.
On fricote mieux dans les bals musette que dans les salles à manger guindées.
Le coup de grâce viendra du jazz... Quiqu'il en soit la saveur de la chair
de cormoran n'est pas inoubliable tandis que les corps des filles des
pêcheurs peuvent être vite oubliés avec un moindre risque quant au scandale
quand un polichinelle est dans le tiroir.
Le cormoran aurait pu trépasser s'il n'y avait pas
eu la première guerre mondiale, puis la seconde... Le 15 octobre 1975,
le volatile marital est devenu une espèce protégée.
Depuis le cormoran subit les alléas de la vie humaine - texte officiel gouvernemental
de 2019 :
"Le grand cormoran (Phalacrocorax carbo sinensis ) est une espèce animale
protégée au titre du Code de l'environnement.
Sa destruction, sa capture, sa perturbation, sa naturalisation, la destruction
de ses œufs ou de ses nids sont interdits.
Cependant, afin de prévenir l'impact de cet oiseau sur les activités piscicoles,
comme le risque de sa prédation sur les espèces de poissons protégés, des dérogations
peuvent être accordées pour permettre la destruction à tir du grand cormoran.
Ces dérogations sont accordées dans la limite d'un quota fixé annuellement
par arrêté ministériel, pour chaque département, après avis de Conseil National
de la Protection de la Nature.
"
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