Toutes les épidémies n'ont pas laissé d'archives derrière
elles, en voici quelques-unes.
1347, la peste décime la population de la presqu'île de Crozon et tout
particulièrement celle de la côte Nord comprenant les hameaux de Trovéoc,
Quillien, Lomergat, Kervoulac'h et Kerlivit. Le curé de Crozon ainsi que
les hommes d'église de la paroisse se désintéressent des pestiférés. La
cure d'Argol porte assistance en s'exposant. A la demande de la population
d'Argol, l'évêque ordonna la construction d'une chapelle
qui entraîna la création de l'enclave d'Argol.
La peste est à Roscanvel en 1594 parmi les troupes de siège franco-anglaises
qui tentent de réduire le bastion
de l'armée espagnole.
En 1740, Roscanvel connaît un taux de mortalité élevé qui fluctue sur
plusieurs années entre deux à quatre fois la mortalité habituelle et ceci
de tous âges sans que le mal ne soit identifié, mais l'épidémie ne fait
pas de doute, elle atteint une population éparpillée mal nourrie vivant
auprès de zones humides. Les médecins de la marine qui vivent à Roscanvel
savent se protéger par les gestes barrières qu'ils connaissent, l'isolement
de la famille, l'eau bouillie, le linge propre... Tout ce qui est à la
portée de la médecine Royale et qui ne l'est pas de la population rurale.
Une population qui ne parle pas le français, qui craint Dieu et ne croit
pas aux miasmes - terme désignant les microbes. Ces épidémies locales
proviennent des conditions sanitaires des lieux de vie avec pour facteur
aggravant la malnutrition qui affaiblit les organismes. Il est vraisemblable
qu'une multitude de foyers épidémiques - appelé cluster en 2020 lors de
l'épidémie du Covid-19, les anglicismes donnant une intensité technocratique
indéniable - n'aient jamais été comptabilisés car tout ce qui ne touche
pas la noblesse ou à défaut la bourgeoisie est mis sur le compte de la
misère humaine du mécréant - la punition divine - certains curés cultivent
la parabole pour maintenir la pression et éviter les égarements vers les
rites païens encore en vigueur. La population court aux sources miraculeuses
et propage les épidémies involontairement. Les fontaines de dévotions
ont chacune un saint thaumaturge qui épargne les bonnes âmes. Les hommes
d'église adoptent une attitude très partagée. Il y a ceux qui vont au
chevet des malades et ceux qui s'en éloignent du mieux qu'ils peuvent.
En dehors des épidémies locales, les plus ravageuses sont celles importées
de Brest.
L'activité portuaire de Brest, autant militaire que marchande, facilite
la propagation d'une multitude d'épidémies plus ou moins circonscrites
qui contaminent les populations de proximité. Les liens maritimes de la
presqu'île de Crozon, par la navigation dans la Rade et ceci vers le port
de Brest, diffusent des virus qui ne sont pas toujours déterminés avec
justesse par la médecine. Le typhus (bactérie dans le lait par exemple)
et la typhoïde (piqûre d'insectes) sont confondus. Quoiqu'il en soit,
les presqu'îliens vivent dans la hantise des épidémies. Les escadres mouillent
dans la Rade de Brest, les épidémies fréquentes sont la peste, le choléra,
la dysenterie, la typhoïde, le typhus , le scorbut, la variole... D'ailleurs
parfois, personne ne s'y retrouve alors on dit "avoir attrapé la maladie
de Brest". Partout, les autorités sanitaires sont dépassées. Manque de
moyens, manque de prévention, le dénuement est quasi total et le seul
remède est la quarantaine, mais où, l'espace manque. En 1770, les nations
du Nord de l'Europe interdisent l'accès de leurs ports aux navires de
l'Ouest français et donc tout particulièrement ceux venant de Brest. La
réputation de Brest n'est pas surfaite : la plupart des épidémies sont
entrées par Brest autant par les bagnards que les marins.
Quelques exemples :
• En 1733 - un vaisseau de guerre indéterminé débarque
des contagieux au port.
• En 1741 - l'escadre d'Antoine-François de Pardaillan
de Gondrin, marquis d'Antin - vice-amiral commandant la flotte du Ponant
à Brest - affectée par le typhus et la dysenterie à une période où la
famine est partout en région. La double épidémie touche une population
qui est déjà affaiblie par des affections endémo-épidémiques telle que
la typhoïde, le paludisme, la tuberculose, la variole. La région est touchée,
les hôpitaux ne font pas face.
• En 1744 - l'escadre de Jacques Aymar, comte de
Roquefeuil et du Bousquet - Lieutenant Général des armées navales à Brest.
• En 1746 - la flotte de l'amiral Jean-Baptiste Louis
Frédéric de La Rochefoucauld, duc d'Anville de l'expédition d'Halifax
/ Acadie - Les marins sont dispersés dans des lieux éloignés, souvent
religieux ou des hôpitaux auxiliaires des communes voisines de Brest et
Recouvrance vite saturés. Certains convalescents sont hébergés de façon
plus éloignées...
La presqu'île comme des villes de Bretagne reçoivent ces malades en voie
de guérison avec les risques d'une mauvaise appréciation de l'état sanitaire
des marins.
• En 1757 - deux navires précurseurs (4 novembre)
le "Célèbre" et le "Bizarre" portent 1000 marins malades du typhus jusqu'aux
hôpitaux. Par manque de place et de personnels certains contaminés sont
secourus par des ouvriers du ports et des forçats sans protection aucune.
Le reste de l'escadre Dubois de La Mothe - Emmanuel-Auguste de Cahideuc,
comte du Bois de La Motte, chef d'escadre - revient de Louisbourg au Canada
en urgence avec 4000 marins malades le 22 novembre 1757. Le bilan militaire
s'élève à 3 483 morts entre le 20 novembre 1757 et le 31 mars 1758. Les
forçats défunts ne sont pas comptés et les communes de proximité comptent
de 5000 à 7000 morts. Le système sanitaire de Brest est saturé (1300 places
- 2600 malades en moyenne). Une partie des matelots malades est logée
chez les particuliers. De nombreux presqu'îliens, surtout des Roscanvelistes
travaillent à Brest Recouvrance et rentrent en fin de semaine à Roscanvel.
De plus de nombreux enfants illégitimes Brestois sont en nourrice en presqu'île,
des parents font des allers-retours... Dès la première semaine, il y a
180 morts à Crozon et 80 à Argol, à Roscanvel on se soigne à l'eau de
la fontaine Saint Eloi qui inspire confiance, la mortalité s'envole malgré
tout. Des décès suspects se poursuivent jusqu'en 1759. Des hameaux sont
décimés - certains sont rayés du cadastre. La maladie s'exporte aussi
: des militaires malades sillonnent la Bretagne et contaminent à leurs
tours des populations éloignées de Brest. Des médecins, un siècle plus
tard, estiment que cette épidémie a diffusé le typhus dans la campagne
bretonne et que les résurgences sporadiques proviennent de cette phase
épidémique ceci jusqu'à la fin du 19ème siècle.
Le lazaret de l'île
de Trébéron permet des mises en quarantaine et de séparer les malades
des bien-portants. L'île des Morts sert de cimetière. Le dispositif est
insuffisant et la liaison entre Brest et les îles est assurée par des
gabariers civils venant de Roscanvel pour la plupart. Chacun rentre chez-soi
le soir venu. Les familles sont atteintes par les épidémies en cours et
les transmettent aux voisins.
• En 1770 - les nations du Nord de l'Europe interdisent
l'accès de leurs ports aux navires de l'Ouest français et donc tout particulièrement
ceux venant de Brest. La réputation de Brest n'est pas surfaite : la plupart
des épidémies sont entrées par Brest autant par les bagnards que les marins.
• En 1779 - une dysenterie devient épidémique, le
scorbut est détecté. Les escadres des comtes d'Estaing - Jean-Baptiste
Charles Henry Théodat d'Estaing marquis de Sailhant, comte d'Estaing,
vicomte de Ravel, amiral de France - et d'Orvilliers - Louis Guillouet,
comte d'Orvilliers Lieutenant général des armées navales - débarquent
2000 malades. L'escadre espagnole (24 vaisseaux) présente, atteinte elle-aussi
n'est pas débarquée. La population de la presqu'île est exposée à une
double épidémie entre typhus et dysenterie. Les malades sont disséminés
dans des églises, des hangars, des maisons publiques, des galetas, des
casernes...
Ces deux épidémies majeures (1757 et 1779) sont indirectement présentes
à Crozon. La population se méfie encore de la médecine et préfère toujours
s'en remettre à Dieu, à ses saints dont les bienfaits se retrouvent dans
les fontaines de dévotion où se croisent le bétail et les lavandières,
où l'on puise de l'eau pour l'alimentation que l'on ne fait pas bouillir
par manque de bois - trop cher - trop rare.
Au 19ème siècle, l'Europe fait face à plusieurs vagues cholériques, certaines
de ces vagues touchent la presqu'île de Crozon. Le choléra provient du
delta du Gange en Inde. La première vague de 1823 se propage jusqu'au
Caucase et l’Anatolie en plein hiver. Les contaminations ne vont pas au
delà.
• La deuxième vague atteint la Russie et se transmet à toute l'Europe
par le biais de l'armée russe en lutte avec l'armée polonaise de 1826
à 1831. Le gouvernement de Louis-Philippe minimise la menace et demande
néanmoins que les préfets et les maires assainissent les milieux malsains,
les dépôts d'ordures, les stagnations d'eaux usées, les quartiers insalubres
– autant dire éradiquer la misère en quelques semaines. Le "choléra-morbus"
entre en France par le port de Calais le 15 mars 1832 à cause d'un passager
malade. La maladie est à Paris le 26 mars. Lors des bals de la fête de
la mi-carême, des parisiens portent un masque amusant représentant le
choléra souriant, la menace fait rire les optimistes d'autant que les
pouvoirs publics se veulent rassurant puisqu'ils ont tout prévu et les
médecins se rangent derrière l'Etat en affirmant que le risque est mineur.
L'académie de médecine préconise des cataplasmes à la moutarde, des tisanes
de fleurs de guimauve...
Quand la maladie atteint les quartiers aisés, les résidents fuient partout
en France pour éviter la contamination ce qui a pour conséquence de favoriser
l'extension de la pandémie. 20 000 morts à Paris, on considère que l'épidémie
est éteinte au 1er octobre 1832. La France connaît 100 000 morts.
Des "spécialistes", des politiques, des ecclésiastiques proposent
des solutions. Le tir au canon dans les airs pour tuer les miasmes, l'entretien
de grands feux purificateurs parfumés aux herbes... Les pauvres imaginent
que les riches ont inventé un sortilège, les riches voient une manœuvre
du peuple pour renverser le pouvoir et perdre tout espoir d'une monarchie
à l'ancienne.
La maladie parvient à Quimper le 13 mai 1832 par le maître de manœuvre
Catel de la corvette Eglé de la Royale dont le convoi sanitaire, soit
un brancard, traverse le marché bondé de la ville. Une fois autopsié le
corps du malade, on jette son sang aux canards. 374 habitants de Quimper
sont touchés par la maladie qui semble disparaître en 1833. En réalité
cette vague épidémique s'étend dans le Sud de l'Europe et surtout la Provence
en France, de sorte que cette vague n'est pas éteinte et ressurgit à Brest
à la fin juillet 1834 (des morts jusqu'au 3 novembre). Camaret, à cause
de ses échanges portuaires avec Brest, est contaminé fin septembre ce
qui cause 107 ou 120 morts selon les sources durant les trente jours de
l'épidémie. Le premier mort à Crozon survient le 7 octobre. L'épidémie
fait 356 morts dans la commune et s'achève fin novembre.
• La troisième vague épidémique 1849-1850 – 1er cas à Brest le 5 septembre
1849 :
5 morts à Roscanvel; 1er mort entre le 10 et le 16 octobre.
32 morts à Crozon; 1er décès le 10 octobre.
3 morts à Camaret; 1er mort entre le 10 et le 16 octobre.
3 morts à Landévennec; 1er mort entre le 16 et le 22 novembre.
• La quatrième vague épidémique 1854-1855 – 1er cas à Morlaix le 4 juillet
(dernier le 22 octobre) :
23 morts à Camaret; 1er cas 14 octobre, dernier cas le 28 novembre. Camaret
contamine Brest le 18 novembre.
• La cinquième vague 1865-1866
3 morts à Crozon; 1er cas le 28 janvier, dernier cas le 17 février.
22 morts à Lanvéoc; 1er cas 26 janvier, dernier cas le 14 février. Lanvéoc
contamine le Faou.
• La sixième vague 1885-1886 n'a fait aucune victime en presqu'île de
Crozon. Le choléra est plutôt dans le Finistère Sud.
• La septième vague 1893 plusieurs cas dont Camaret mais pas
de données précises.
• En 1872 - une épidémie de typhus repart d'un quartier-maître,
débarqué à Rochefort en santé, il rejoint sa famille à Rouisan et propage
ensuite la maladie dans le Finistère avec 20% de mortalité. Cela semble
être la fin du règne du typhus dans le Finistère.
Puis vient une variole incessante en presqu'île... La tuberculose n'est
jamais loin. Deux maladies plus mortifères que le choléra.
• En 1918 - La grippe espagnole entre dans
les camps d'internement : les forts transformés en prison de la presqu'île
- Crozon,
Lanvéoc,
l'île Longue. Une grippe ayant pour origine la Chine (Canton) et une continuité
aux Etats-Unis avant de venir en Espagne puis dans toute l'Europe. 408000
morts en France.
• En 1936-1937 - Nouvelle "grippe espagnole",
elle touche des réfugiés Espagnols recueillis à la caserne
Sourdis de Roscanvel. Virus Influenza A... La grippe est connue depuis
l'antiquité comme la maladie hivernale incontournable. Elle fut parfois
confondue avec la peste, quoiqu'il en soit les épidémies de grippe font
des victimes fréquemment non répertoriées : on meurt du froid, l'explication
est suffisante.
Lentement, trop lentement, insuffisamment, une politique hygiéniste émanant
des autorités militaires a enrayé très progressivement la diffusion des
différentes épidémies. Le lavage des corps et des vêtements, les quarantaines,
la non accumulation des personnes dans des lieux confinés... Ce qui se
traduit en 2020 par un nouveau langage : se laver les mains, ne pas se
serrer la main, s'embrasser, éternuer dans son coude, utiliser des mouchoirs
jetables, pratiquer la distanciation sociale, vivre le confinement avec
encore des autorités médicales au bord la saturation par le manque de
prévention, le manque de moyens adaptés.
L'inadaptation du système de santé est chronique, les manquements subsistent,
ce qui a changé au fur et à mesure des siècles c'est la peur de la maladie
- plus qu'une peur, les presqu'îliens vivaient dans la terreur du jugement
dernier, aujourd'hui on ne craint ni la maladie, ni Dieu et quand une
épidémie reparaît aujourd'hui elle surprend une population qui a oublié
que les épidémies ne nous ont jamais quittés.
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