La maison de la buée proche du lavoir.
Un ancien point d'eau pour faire la buée avant le temps des lavoirs.
Un agenouilloir et le battoir à droite au lavoir.
Lessiveuse à champignon.
La buée fut le premier nom donné à la lessive : "faire
la buée" ou "faire la bue". La femme qui s'activait à la tâche était nommée
buandière et si celle-ci travaillait pour une maison bourgeoise citadine,
elle faisait la buée dans la buanderie.
En presqu'île de Crozon, les épouses des pêcheurs-paysans lessivaient
à des points d'eau à peine aménagés ; une source alimentait un creux dans
le sol parfois bien moins grand qu'une mare. Puis vint le temps des lavoirs
spartiates et enfin celui des lavoirs aménagés au 19ème siècle. Dans la
littérature, il est souvent fait mention de la "poétique" de ces travailleuses
papotant, échangeant et commérant aussi, autour du lavoir... Des écrits
masculins vantant les charmes de la vie traditionnelle et émanant d'une
élite intellectuelle qui ignorait une réalité bien plus dramatique. Les
artistes peintres n'étaient pas en reste quant à représenter une activité
féminine quasi bucolique.
Les efforts consentis par les femmes pour la lessive usaient les organismes
lentement mais sûrement, en silence, dans l'évidence de répéter la tâche
toute une vie. Les maux de dos, les lombalgies et autres traumatismes
plus ou moins musculaires furent les pathologies les plus fréquentes des
blanchisseuses. Les problèmes respiratoires pour celles qui œuvraient
en milieu clos étaient connus des médecins. Les fausses-couches étaient
fréquentes, voire répétitives, pour les lavandières les plus fragiles.
Plus assurément encore, les mains gercées, crevassées, brûlées par les
produits lavants ; les problèmes articulaires n’arrangeaient rien à l'état
de santé de ces femmes surmenées... L'espérance de vie des lavandières
professionnelles – blanchisseuses – lessiveuses – était écourtée.
En presqu'île dès qu'une certaine aristocratie et ceci jusqu'à la révolution
française, émergea, le métier de blanchisseuse évolua au service des bourgs
cossus. Les châtelains des manoirs excentrés n'avaient pas recours aux
lavandières externes à leurs personnels de servitude. Au 19ème siècle,
la baisse progressive des activités agricoles et le démantèlement des
grandes propriétés foncières, furent contrebalancées par l'augmentation
des activités industrieuses même si en presqu'île elles étaient faiblement
représentées (fours à chaux - conserveries - construction navale). La
nouvelle bourgeoisie faisait appel à des blanchisseuses qui s'installaient
à côté d'un lavoir suffisamment spacieux pour travailler au mieux.
La présence des militaires en presqu'ile de Crozon donnaient du travail.
Si le
soldat du rang lavait son linge, le sous-officier s'arrangeait selon
les circonstances, l'officier délèguait aux lessiveuses du quartier. L'ultime
période faste de la blanchisserie fut la seconde guerre mondiale. L'armée
d'occupation réclamait beaucoup de personnels civils pour entretenir les
locaux et les tenues. Les blanchisseuses professionnelles, mais aussi
les femmes qui cherchaient un travail pour subvenir aux nécessités courantes,
ont donc beaucoup travaillé pour l'armée allemande mais avec un retour
d'expérience fort utile à la résistance. Les lavandières étaient contactées
plus ou moins directement par des résistants qui leur demandaient quel
type de linge elles lavaient. Si un lieutenant demandait le lavage d'une
tenue de combat, ou si celui-ci demandait le lavage d'un uniforme de cérémonie,
les conclusions à tirer par les services d'intelligence variaient. Le
grand lavage à la venue du Maréchal
Rommel, n'était pas passé inaperçu.
La principale avancée d'après-guerre consista à user de bacs
à lessivage en béton.
Avant de connaître la machine à laver électrique dont le prix équivalait
de 6 à 8 mois d'un salaire moyen, les ménagères ont pu tester des machines
manuelles malcommodes qui nécessitaient de nouveaux efforts physiques
dommageables... Bien des grands-mères se souviennent de leur libération
: l'installation de la machine à laver à domicile, un événement dont elles
se réjouissent encore. Un changement de vie ou un changement de corvée,
tout dépendait de la destinée de chacune.
Le jour de grande buée au village réunissait toutes
les femmes pour le lessivage de tous les draps de toutes les familles.
Un travail fastidieux qui se faisait rarement, deux à trois fois par an
seulement. Les épais draps en lin ou coton, voire métis (lin et coton)
pesaient lourds une fois trempés. Chaque étape du lavage avait un surnom
explicite : le purgatoire : le coulage à froid ; l'enfer, le coulage à
chaud ; le paradis, le rinçage et l'essorage... Un paradis très relatif
dans une eau de source froide et des torsades excessivement éprouvantes.
Le rappel à la religion catholique n'est pas un hasard. Les missionnaires
et les curés
de campagne, venaient aux sources rencontrer des pénitentes bien plus
perméables aux affaires divines que leurs époux convertis à la dive bouteille.
Séchage si possible au soleil pour le blanchiment idéal. Les trois jours
de lessive se terminaient par une fête au village. Tout ce pénible cérémonial
disparut à l'avènement des lessiveuses galvanisées à champignon après
la première guerre mondiale pour les femmes dont le foyer avait les moyens
de s'en offrir une. Ce fut aussi le cadeau de mariage par excellence,
la lessiveuse devint l'ustensile moderne incontournable. En presqu'ile
de Crozon, quelques lavoirs trouvèrent leur utilité jusque dans les années
1960... Certes, le manque d'eau courante avait certainement freiné la
modernité, mais cela n'expliquait pas tout...
Les temps forts d'une buée :
Essangeage : tremper (essanger) le linge dans de l'eau froide. Les familles
aisées avaient un grand chaudron en fonte pour ce faire.
Coulage à froid : dans un cuvier recouvert d'un drap (surnommé le cendrier)
, l'extrait de cendres, le linge et de l'eau froide y sont mélangés. Le
linge est empilé (empilage). Les draps au fond, les torchons dessus. L'eau
est récupérée et l'opération renouvelée avant une nuit de repos.
Coulage à chaud : l'eau de la veille est jetée et remplacée par de l'eau
chaude, une vidange du cuvier, un nouveau remplissage par une eau réchauffée,
jusqu'à une nouvelle nuit de repos.
Lessivage : le linge est amené à un cours d'eau pour y être brossé soigneusement.
Retirage : le linge est rincé longuement.
Tordage : essorage du linge en le tordant ou en le frappant.
Séchage : sur l'herbe en plein soleil - la mise au pré permet d'azurer
le linge... En l’occurrence, le blanchir pour les draps et le linge de
maison.
Aujourd'hui, la lessive à la cendre se prépare avec
un mélange d'eau chaude et de cendres fines. Laissez décanter le mélange
24 heures. La filtration est nécessaire dans un torchon. Le produit récolté
est mis en machine. La lessive peut commencer.
La cendre blanche de chêne est recommandée. D'autres lavandières préfèrent
la cendre de bouleau. En y ajoutant de l'eau chaude, la chimie (carbonate
de potasse) qui en résulte est proche des lessives industrielles. Quelques
plantes ou racines régionales parfument le linge durant le lavage.
Dosage lessive cendres : 4 verres de cendres fines pour 2 litres d'eau.
Bien des lavoirs ont disparu, certains ont traversé les siècles néanmoins. Les lavoirs des différentes communes de la presqu'île sont les derniers témoins des buées d'antan. Argol – Camaret – Crozon – Morgat – Landévennec – Lanvéoc – Roscanvel – Telgruc.