Anciennement terre vaine, actuellement patrimoine naturel.
Une expression revenait régulièrement dans les actes fonciers
et litiges juridiques à propos de la nature des terrains :
• Terres vaines et vagues
• Terres vaines et vagues et sans profit
• Terres vaines et vagues et sans produit
Avec des précisions telles que :
• et sans maître
• réduites à l'état de vaine pâture (pâture provisoire après
culture ou fauchage par des paysans non propriétaires)
Le jargon employé concernait les terres non cultivables, non exploitables
en aucune manière, sans revenu possible, et sans production voulue par
les paysans.
La presqu'île de Crozon n'a pas manqué depuis les prémices de l'agriculture
(fin de la préhistoire) ou au travers des siècles de l'ancien régime (royauté)
de terres vaines et vagues qui qualifiaient les landes et les rocailles
selon ce que certains définissaient comme l'Arabie Pétrée.
Article 328 de la Coutume de Bretagne (lois du duché de Bretagne) : "Nul
ne peut tenir terre en Bretagne sans seigneur : parce qu'il n'y a aucun
franc-alleu en icelui pays". En Bretagne, selon la tradition, le principe
de « nulle terre sans seigneur » empêchait d'emblée qu'une terre fut sans
maître (sans propriétaire).
Qui voulait faire paître librement du bétail sur les terres vaines et
vagues était autorisé sans contrepartie financière à quiconque. Le seigneur
local ne pouvait s'y opposer à moins d'en réclamer la propriété sans frais,
sur simple enregistrement auprès des instances des domaines. Si un seigneur
ne se précipitait pas à se saisir de terres gratuites c'est qu'au vu de
sa vassalité envers son seigneur suzerain, il lui aurait été réclamé des
jours supplémentaires en armes, une contribution matérielle supplémentaire
pour équiper la troupe du suzerain et enfin une ponction financière supplémentaire
relative à la surface de son fief. Point de précipitation donc à vouloir
régner sur des terres sans valeur.
L'attitude des moines de l'abbaye de Landévénnec était de même sachant
qu'une prise en possession de terres vaines et vagues aurait déclenché
des redevances supplémentaires à l'évêché.
Ce dispositif moyenâgeux semble avantageux pour les nombreux paysans sans
terres. Faire paître les quelques bêtes de la ferme dans un espace illimité,
sans clôture, gracieusement paraît être profitable ; pourtant, les brebis
(les plus grands troupeaux étaient de 30 ovidés) et les quelques vaches
broutaient une alimentation peu digeste et peu nutritive qu'étaient les
jeunes ajoncs et les jeunes bruyères avec pour conséquence la réduction
significative de la collecte de ces plants adultes qui étaient le bois
de chauffage des paysans. Pas d'arbre en presqu'île occidentale. La
présence d'arbres sur un terrain était une source de profit et ne pouvait
être assimilé à une terre vaine, celle-ci était d'office seigneuriale
ou monastique.
Ainsi la pauvreté était parfaitement organisée car si un paysan se mettait
à défricher un arpent de terre vaine, il s'exposait à la peine de mort
pour avoir volé une terre seigneuriale sans qu'aucun acte de propriété
ne put le confirmer. Pendaison aux fourches
patibulaires après un procès minimaliste, voire pas de procès du tout
selon les mœurs du noble en charge de la justice du territoire concerné.
Après la révolution française de 1789 abolissant les privilèges de la
noblesse, on eut pu croire que les choses changeraient.
L'article 9 du décret du 28 août 1792 : "les terres vaines et vagues ou
gastes, landes, biens hermes ou vacans, garrigues, dont les communautés
ne pourraient pas justifier avoir été anciennement en possession, sont
censés leur appartenir et leur seront adjugés par les tribunaux, si elles
forment leur action dans le délai de cinq ans, à moins que les ci-devant
seigneurs ne prouvent par titres ou par possession exclusive, continuée
paisiblement et sans troubles pendant quarante ans, qu'ils n'en ont la
propriété".
Si en effet, un seigneur ne pouvait plus se prévaloir de la propriété
d'un bien sans qu'un acte dûment enregistré ne le prouva, si un paysan
économe pouvait se rendre propriétaire d'une terre sans maître en payant
à la nation le prix déterminé, il se voyait depuis 1791 imposé par une
contribution foncière due annuellement. Contribution foncière qui deviendra
l'impôt foncier bien connu.
La Bretagne fait l'objet de dérogations pesantes dans l'article 10 du
décret du 28 août 1792 : "Dans les cinq départements qui composent la
ci-devant province de Bretagne, les terres actuellement vaines et vagues,
non arrentées, afféagées ou accensées jusqu'à ce jour, connues sous le
nom de Communes, Frost, Frostages, Franchises, Galois, etc., appartiendront
exclusivement, soit aux communes, soit aux habitants des villages, soit
aux ci-devant vassaux qui sont actuellement en possession du droit de
communer, motoyer, couper des landes, bois et bruyères, pacager et mener
leurs bestiaux dans lesdites terres, situées dans l'enclave ou le voisinage
des ci-devant fiefs".
Autrement exprimé, un quelconque possédant de l'ancien régime prorogeait
ses usages si son vœu était celui-là déclinant toute possibilité à un
paysan/habitant ou une commune à se porter acquéreur d'une terre vaine.
Après une certaine indifférence ou crainte de la noblesse déchue, ce ne
fut qu'à partir de 1820 que ces dispositions générèrent des litiges durant
des décennies que les paysans, ni les communes d'ailleurs, ne purent assumer
financièrement face aux tribunaux. Une loi de 1850, assouplit la pratique
par affichage publique des partages des terres vaines pour amoindrir les
frais de justice. Seule la loi du 11 décembre 1992, mit un terme à des
pratiques préférentielles qui n'étaient plus appliquées depuis longtemps.
Les possessions aveugles des terres vaines et vagues ont affecté l'économie
française par une absence de revenus sur des millions d'hectares qui eurent
pu être valorisés. Quelques économistes et visionnaires du 18ème/19ème
siècles s'en soucièrent mais l'idée que les terres devaient appartenir
à ceux qui avaient les moyens de les monnayer plutôt qu'à ceux qui purent
les exploiter, persista après la Révolution.
Le département du Finistère fut l'un des départements français où les
terres vaines et vagues furent les moins réclamées. Dans le Finistère,
la presqu'île de Crozon fut la plus « dotée » de terres vaines et vagues
lors de la nouvelle répartition après la révolution.
Aujourd'hui, une terre vaine et vague est propriété
supposée de la commune à défaut de fournir un acte contradictoire.
Un propriétaire peut se séparer d'une terre vaine (dans la signification
actuelle d'une terre inexploitable ou inondable) envers la commune pour
éviter de payer un impôt foncier.
Les biens
sans maître existent encore...