Une des plages d'ivresse avant la punition pénale !
Aux petites âmes, toujours les récifs...
Un sombre sort tempétueux s'abattit sur les habitants de
Crozon dans la soirée du 25 novembre 1928. Au large, les enfers mettaient
en pièce les navires marchands et à la côte tous les flottants étaient
refoulés. Dans cette infortune, 20 demi-muids, peut-être 25 – tonneaux
épais de 500 à 650 litres – échouèrent sur la côte Sud-Ouest de
la presqu'île de Crozon entre le Cap
de la Chèvre et la plage de Kersiguénou.
600 litres présentement, multipliés par 20 énormes barriques cela revenait
à 12 000 litres de vin, à 25 on en venait à 15 000 litres (valeur estimée
jusqu'à 50 000frs), venus supposément d'Oran pour se destiner à Dunkerque
sans-doute, bien que le cargo ne fut jamais identifié. Une marée rouge
en somme qui déclencha une dégoulinade de Crozonnais du littoral qui vint
sur les plages, équipée de tout ce qui pouvait être un contenant, de la
bouteille vide à la lessiveuse pour récupérer subrepticement cette fortune
de mer aussi précieuse que l'oxygène ambiant. La ligue d'inventeurs –
nom donné aux personnes qui trouvent un objet/trésor – se mit à
faire une séance d'œnologie dans les courants d'air alors que certains
toits des pentys et des soues volaient par la brusquerie d'Eole. Qu'importe,
hommes et femmes tarabustèrent les barriques, se chamaillèrent, gouttèrent,
regouttèrent, reregouttèrent. Il fallait se faire une juste opinion du
niveau de l'iode qui aurait pu gâter le breuvage... Chacun, s'étant rassuré,
rentra chez lui gai comme un pinçon printanier et à la lueur d'une ultime
lucidité, cacha le précieux liquide dans des endroits discrets, broussailles
ou abris connus que de lui-même.
Une discrétion qui déclencha un commérage spontané qui remonta aux oreilles
du garde maritime de Morgat, qui les avaient toujours grandes ouvertes.
Gendarmerie prévenue, parquet de Quimper aussi, l'enquête commença et
l'on obtint quelques certitudes auprès de quelques déshydratés du bon
vivre qui avaient prévenu le syndic des gens de la mer pour que la loi
se chargea de l'affaire. Il suffit pour la maréchaussée de déboucher le
« c'est pas moi, c'est lui » pour qu'un flux de contrevenants fut identifié
dans les heures qui suivirent. 400 litres de vins seulement furent extraits
de leurs cachettes ; pour le reste, il sembla qu'une intense évaporation
locale eut vaporisé ce que le législateur nommait fraude car toute marchandise,
selon le principe de l'octroi et assimilés, devait être taxée par la douane
à son arrivée à terre, même accidentelle... Les Crozonnais connaissaient
cette imperfection financière qui rendait la trouvaille onéreuse et donc
amère.
Tous les hameaux de la côte presqu'îlienne furent épinglés et par un coup
de Trafalgar, au Conquet, un fût se trouva pris dans un cheminement légal
d'une vente aux enchères dont le produit de la vente revint à la caisse
des invalides de la marine (175fr). Si le Conquétois ne savait se satisfaire
de la providence, que pouvaient y faire nos chers Crozonnais ?
21 mars 1929 : 48 inventeurs de Crozon, passèrent au tribunal correctionnel
de Quimper sous l'attention d'un président de séance légèrement irrité
par les témoignages des suspects fraudeurs. La première vague d'auditions
n'emmena que des innocents au gosier asséché malgré les soupçons gendarmesques.
Voyant, le juge faire mauvais vin, une seconde vague admit avoir absorbé
une lampée de principe jusqu'au litre pour les plus confondus. Le juge
se dérida et promis une ristourne à l'amende promise... Une troisième
vague menée par un grand escogriffe, certainement dubitatif quant à la
générosité judiciaire, déclara ne pas se souvenir ni de s'être abstenu,
ni d'avoir bu... Il fut plébiscité par d'autres inventeurs conquis par
le droit à l'oubli.
Rendons hommage à la liberté de dégustation des fortunes de mer et à leurs
ardents défenseurs Crozonnais victimes d'une coercition étatique intraitable.
Ils étaient des femmes et des hommes, cultivateurs et marins-pêcheurs
pour la plupart de 18 ans à 69 ans, pauvres de naissance et assurés de
le rester, saoulés par l'ivresse des profondeurs d'une république livrée
aux chiffres et aux amalgames.
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