"Assistance judiciaire"* Décision du 15 octobre 1913
D'un jugement rendu, par défaut, entre Mr Julien-Marie J., forgeron, demeurant
à Tal-al-Groas, en Crozon, demandeur, et Mme Amélie-Marie R., son épouse,
sans domicile ni résidence connus en France, par le tribunal civil de
première instance de Châteaulin, le 13 janvier 1914, enregistré le 3 février
1914 et signifié à la dite dame par exploit de Me Moré, huissier à Châteaulin,
commis à cet effet, en date du 17 février 1914, il a été extrait ce qui
suit :
Donne défaut contre la défenderesse qui bien que régulièrement assignée,
ne comparait pas ;
Prononce le divorce entre les époux J.-R., au profit du mari et aux torts
et griefs de la femme ;
Confie définitivement au demandeur la garde de l'enfant mineur issu de
leur union.
Pour extrait :
H. Gassis, avoué-licencié.
Dans l'avis original les patronymes des justiciables sont cités.
Exemple de publication publique d'un jugement de divorce par défaut dans
le cadre d'une assistance judiciaire suite à une ordonnance du président
du tribunal civil de première instance de Châteaulin selon l'article 247-3
du Code civil de l'époque.
Quand un couple divorce (rétablissement par la loi Naquet
du 27 juillet 1884**) en presqu'île de Crozon, il doit se présenter au
tribunal civil de première instance de Châteaulin. L'absence de l'un des
conjoints déclenche un jugement par défaut dont tous les torts sont à
la charge de l'absent-e. De facto, la faute causant le divorce, dans le
cas présent l'absence de présentation, donne au plaignant droit à une
pension éventuelle à déterminer, en plus de la garde des enfants.
Contexte général du divorce fin 19ème siècle, début 20 ème.
Depuis la loi du 27 février 1810 du code pénal abrogée par l'article 17
de la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975, les conjoints adultères sont poursuivis
:
Article 336. L'adultère de la femme ne pourra être dénoncé que par le
mari : cette faculté même cessera, s'il est dans le cas prévu par l'article
339.
Article 337. La femme convaincue d'adultère subira la peine de l'emprisonnement
pendant trois mois au moins et deux ans au plus. Le mari restera le maître
d'arrêter l'effet de cette condamnation, en consentant à reprendre sa
femme.
Article 338. Le complice de la femme adultère sera puni de l'emprisonnement
pendant le même espace de temps, et, en outre, d'une amende de cent francs
à deux mille francs. Les seules preuves qui pourront être admises contre
le prévenu de complicité, seront, outre le flagrant délit, celles résultant
de lettres ou autres pièces écrites par le prévenu.
Article 339. Le mari qui aura entretenu une concubine dans la maison conjugale,
et qui aura été convaincu sur la plainte de la femme, sera puni d'une
amende de cent francs à deux mille francs.
Par les risques encourus, il n'est donc pas rare que des maris et des
épouses ne se présentent pas devant un juge pour divorcer. La garde d'un
enfant pouvant ne pas être souhaitée, à quoi bon en débattre devant des
magistrats. Ainsi la disparition sans laisser d'adresse est fréquente
et afin que le jugement de divorce par défaut ne prenne pas la poussière
dans les archives du tribunal, un avoué compile les extraits du jugement
et les fait parvenir aux rédactions de la presse locale. Nul ne saurait
ignorer son divorce, pas plus que la population ne souhaite s'abstenir
d'en être informée...
Les causes du divorce en milieu rural officiellement enregistrées fin
19ème et début 20ème siècle sont :
46,1% excès, sévices et injures graves – formulation administrative
qui relate une mésentente dont l'évidence est établie. Bien que le divorce
par consentement mutuel n'existe pas selon la loi Naquet, la négociation
entre les parties aboutit à la phrase laconique ne discréditant pas explicitement
le-la conjoint-e endossant les torts.
12,5% abandon du domicile côté femme – souvent pour cause d'adultère.
11.4% abandon du domicile côté homme – souvent pour cause d'adultère.
0.4% adultère des deux conjoints – nécessite un abandon des poursuites
par accord mutuel.
11% adultère de la femme – en général, le mari apporte la preuve
de l'infidélité et fait obstacle aux poursuites à la condition d'obtenir
un divorce favorable financièrement.
5.4% adultère du mari – les femmes sont moins enclines à dévoiler
les infidélités du mari et préfèrent requérir sur les "excès, sévices
et injures graves" dans l'espoir d'obtenir un soutien financier aussi
illusoire soit-il.
1.2% condamnation d'un des conjoints.
11.9% causes particulières.
La loi Naquet délimite les contours du droit au divorce dont les causes
ne peuvent être que "les excès, sévices et injures graves, une peine afflictive
et infamante, l'adultère". Un adultère qui tombe sous le coup du Code
pénal mais qu'une instance de divorce, émanant du Code civil, ne soutient
pas.
En 1904, le conjoint adultère est autorisé à épouser son-sa complice ce
qui fait tomber les risques de poursuites. En 1907, les enfants adultérins
peuvent être légitimés par un second mariage... Ainsi le recours au mariage
de la seconde chance reste le procédé majeur de la régularisation des
vies privées vers la conformité sociétale.
En 1913, les femmes obtiennent le divorce à leur avantage à 51.3%. Les
deux régions françaises usant rarement du divorce sont la Bretagne et
le Massif Central jusqu'en 1960. L'illettrisme est un facteur d'abstention
dans les démarches de divorce ainsi que la pratique du breton dans une
administration exclusivement française. Les milieux agricole et bourgeois
divorcent peu (environ 10% d'entre-eux), pas plus qu'ils n'ont recours
à la séparation de biens (une évolution des séparations se fera dans les
années 1930). Les milieux ouvrier et ménagère sont très majoritaires (+
40%) à recourir au divorce mais comme ces deux professions ne sont guère
représentées en presqu'île, le divorce presqu'îlien est rare alors qu'en
1913 la France connaît 15 000 divorces. En presqu'île les deux professions
les plus représentatives sont agriculteur et pêcheur, voire les deux cumulées
pour la population côtière. L'épouse assiste l'agriculteur mais n'a pas
de revenu, par contre, son mariage
est souvent le fruit d'un arrangement foncier que l'on ne saurait briser
par des affaires humaines. Elle travaille parfois dans les conserveries
en tant qu'ouvrière... Dans ce cas, le divorce lui est possible mais le
peut-elle face à la réprobation générale ? De plus, une femme divorcée
est peu "sollicitée" sachant que le mariage à l'église lui est
interdit.
Une femme qui abandonne le domicile conjugal et son enfant s'exclut de
la communauté dans laquelle elle vivait jusqu'alors même si son mari était
un infâme conjoint. Le curé ne manque pas de célébrer les vertus du mariage
et des sacrifices à consentir pour une femme lors du sermon dominical.
Devenue une paria, infréquentable de quelque manière que ce soit, une
femme divorcée est invitée à ne pas se montrer en public et à déménager
au loin autant que faire se peut. L'homme, est un homme, c'est tout dire,
il a la possibilité de refaire sa vie sur place dans les conditions qu'il
aura choisi. Ses écarts sont source de rigolades dans les débits de boissons,
les écarts d'une femme sont une diablerie éhontée inqualifiable débattue
autour des lavoirs.
* Loi du 22 janvier 1851 créant "l'assistance judiciaire"
pour les personnes dépourvues de ressources.
** Le divorce est interdit de 1816 (Restauration) à 1884.
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