Les ombres de la presqu'île de Crozon.
Panorama de la presqu'île de Crozon d'Est en Ouest.
La presqu'île de Crozon : terre de souffrances et d'abominations.
Dépeinte des Bretons occidentaux et donc des presqu'îliens :
« Ce peuple menteur et superbe, jusqu'à ce jour demeuré rebelle, et dépourvu
de bonté, ne garde de chrétien que le nom, car pour ce qui est des œuvres,
du culte et de la foi, il en est loin. Nul souci de l'orphelin, de la
veuve, ou des églises. Le frère a commerce avec sa propre sœur, ou enlève
la femme de son frère. Tous vivent dans l'inceste et commettent le crime.
Ils habitent les buissons, logent dans les forêts, et vivre de rapines
est leur joie, à la façon des bêtes sauvages. Aucun palais où l'on rende
justice, et leurs jugements sont bien en deçà de leurs actes. Ils ont
un roi dénommé Morvan, si tant est qu'on puisse parler de roi, puisqu'il
ne régit rien... »
Ainsi écrivit Ermold le Noir en 826 dans un texte en latin « Carmen elegiacum
de rebus gestis Ludovici Pii » « Poème élégiaque sur les hauts faits de
Louis le Pieux » 3ème livre . Traduction 1932 édition E. Faral.
Contexte de l'écrit :
Le chef breton Morman – Murman – Morvan, après bien des batailles
contre les Francs, mourut au combat en 818. Premier unificateur des tribus
bretonnes, il est considéré comme le premier monarque de Bretagne par
certains historiens, d'autres privilégient Nominoë, ultérieurement. Quoiqu'il
en soit Wiomarc'h – Guyomard reprit le flambeau de la résistance
contre Louis le Pieux et ses fils qui n'aspiraient qu'à absorber la Bretagne
et à infliger le tribut : un prélèvement financier à l'encontre des vaincus
avec un devoir de soumission à la clé.
La Bretagne dans les faits se divisait en deux parties. La partie orientale
appartenait aux Marches Bretonnes dirigées par un préfet, le comte Lambert
1er de Nantes, dont l'autorité était au service des Francs mais dont la
préférence partisane allait vers Lothaire 1er (régnait sur l'équivalent
de l'Italie du Nord) un des fils de Louis le Pieux. Par contre, une très
grande partie de la Bretagne occidentale était indépendante pour ses chefs,
et tributaire selon l'opinion de l'empereur Franc. Périodiquement, des
troupes des comtés de la Marche entraient en conflit avec la résistance
bretonne qui obtenait à défaut d'une victoire éclatante, un maintien de
leurs libertés relatives, et ce, au prix du sang.
En 823, Louis le Pieux (Louis 1er, fils de Charlemagne) vint d'Aix la
Chapelle avec son armée et demanda à deux de ses fils, Pépin 1er d'Aquitaine
(régnait sur l'équivalent d'un grand Sud-Ouest de la France) et Louis
II le Germanique (régnait sur l'équivalent de la Bavière), de venir, avec
leurs effectifs, conquérir une bonne fois pour toute les révoltés de l'Ouest
et asservir tous les Bretons. Courant 824, les troupes franques pratiquèrent
un déchaînement de violence partout où ils passèrent : pillages, actes
criminels en tous genres. Curieusement, les écrits qui relatent ces abominations
ne parlent pas de victoire ou de défaite pour l'un ou l'autre des camps.
Il semblerait que Wiomarc'h ait esquivé les combats perdus d'avance et
sauva ainsi ses tribus. L'absence de « conclusion » en ce conflit larvé
remettra la guerre en chemin en 836... Les Bretons l'emporteront alors.
Entre-temps, Wiomarc'h fut assassiné par la volonté du préfet de Nantes
en 825, épreuve dont les Bretons tirèrent une opposition plus déterminée
encore.
En attendant, vers la fin 824 (cette date varie selon les sources), de
retour de la campagne douteuse de Bretagne, une crise familiale mit de
la discorde entre Pépin d'Aquitaine et son père Louis le Débonnaire –
Louis le Pieux qui préférait son fils Louis le Germanique qu'il avait
eu d'un premier mariage. Pépin d'Aquitaine enragea et se laissa entraîner
dans sa haine par son poète, conseiller de cour, Ermoldus Nigellus –
Ermold le Noir, un intrigant carolingien témoin des combats décevants.
Ce clerc ou moine n'avait que pour but que de plaire à son monarque et
de correspondre en tous points à ce que pensait Pépin 1er dont la réputation
d'instabilité caractérielle était connue. L'empereur Louis le Pieux n'appréciant
guère la cabale, fit interner l'agitateur à Strasbourg dans l'église même.
Un traitement spécifique réservés aux ecclésiastiques déplaisants. L'évêque
Bernold aménagea la peine discrètement et permit à Ermold le Noir de rédiger
des récits latins en l'honneur de Louis le Pieux pour retrouver les grâces
de l'empereur, ceci vers 826.
Le Poème en l’honneur de Louis le Pieux – De Gestis Ludovici Caesaris,
dont le poème Faits et Gestes de Louis le Pieux est le plus connu est
une œuvre aux élans lyriques à la manière de la Grèce antique. Autres
écrits : les Épîtres à Pépin. L’embobineur aurait été libéré en 830 (période
de contestations des fils de Louis le Pieux) et serait retourné en Aquitaine
pour y mourir vers 838.
Toutes ces considérations concernaient aussi la presqu'île de Crozon car
Louis le Pieux infléchissait un poste avancé de son pouvoir : l'abbaye
de Landévennec et ses moines dépendants du pouvoir impérial bien qu'en
territoire hostile.
Ainsi, il s'agit d'une diatribe de la part d'un servile zélé mais qui
n'est pas fausse...
Peuple menteur ? Le mensonge étant une denrée internationale, sa monnaie
est courante...
Superbe ? A prendre dans le sens de bonne prestance ! Pourquoi affubler
d'une certaine tenue un ennemi juré ? Les échecs de Louis le Pieux ne
purent se justifier face à des hordes chétives...
Les reproches quant à la très relative chrétienté des Bretons trouvent
plusieurs fondements historiques. La Bretagne, et tout particulièrement
celle du couchant, fut violentée par des changements brusques de pratiques
religieuses qu'elle dut assimiler sans parvenir à se départir de ses croyances
ancestrales. Traditions tribales peut-être astronomiques. Croyances druidiques
polythéistes. Croyances romaines polythéistes puis monothéistes. Religion
chrétienne souvent inculquée de force avec des représentants monastiques
faisant profit du travail des convertis appauvris. Le tout sous d'atroces
périodes de razzias de différents barbares qui enlevaient les hommes et
les femmes valides pour les réduire en esclavage dans les pays d'origine
et ceci au nom de dieux inconnus et féroces. Un tourment permanent, une
exploitation systématique qui complexifiait l'identité spirituelle profonde
et ne permettait pas l'intégration d'une religion nouvelle qui peinait
à se répandre. Les Bretons étaient attachés aux sources magiques et craignaient
les orages alors s'imaginer qu'un seul Dieu put à lui tout seul leur faire
une vie meilleure dans un paradis exclusivement accessible après la mort,
n'était pas de nature à rendre le croyant plus croyant...
Un habitat rustique assurément ! Une rusticité qui perdurera durant des
siècles de pauvreté.
Des mœurs dépravés ? Selon les critères de la morale chrétienne affichée,
indéniablement ? Mais la perversité galopait dans tous les milieux y compris
monastiques.
L'inceste une réalité millénaire : une pratique ordinaire de toutes les
populations qui vivaient en milieu clos dans des fermes ceintes de murs.
L'inceste des pères et des mères, des frères... dont les résurgences actuelles
sont imprégnées d'une inconséquence criminelle d'antan. De la dictature
de la pulsion, aucune région du monde n'est épargnée, aujourd'hui même...
La justice ? Toujours au service de celui qui mène la foule. Une justice
expéditive, la plus atroce possible, non pas pour rendre justice mais
pour dissuader la moindre désobéissance ultérieure envers celui qui s'autorisait
à la planifier.
En définitive, le descriptif d'Ermold le Noir est davantage le reflet
d'une façon de vivre appartenant à une époque moyenâgeuse obscure orientée
par des personnalités qui ne l'étaient pas moins. D'ailleurs, ce même
profiteur avait dépeint les Strasbourgeois avec toutes les horreurs que
son imaginaire lui permettait lors de sa détention. Qu'il est facile de
mépriser quand on est convaincu de sa supériorité, nécessairement illusoire.