Avant la révolution française chaque village disposait
de feuilles de cadastre dit plans terriers soit un livre registre des
possessions et des possédants avec le descriptif des obligations liées
aux parcelles - références à l'article du censif et fiefs concernés. Des
feuilles dessinées à main levée sans mesures précises mais néanmoins déterminant
une estimation de la surface et un vague descriptif contenant souvent
la nature de la clôture ainsi que le nom du propriétaire. Chaque paroisse
avait son style terrier car aucune loi n'engageait à représenter les terres
uniformément... Les procès en contestation des limites de propriété étaient
nombreux et injustes car souvent relatifs aux rayonnements sociaux des
plaignants qui réclamaient grandes surfaces lors des jugements et déclaraient
menues parcelles à l'impôt. L'ami du notaire avait plus de chance d'obtenir
gain de cause que l'ennemi juré du juriste...
Pour amoindrir l'anarchie des prétentions, on mit au point un projet de
cadastre par masses de culture (1802). La variation des cultures selon
les années mit un terme à cette tentative. En juillet 1807, Napoléon Ier
s'entretint avec son ministre du Trésor - Nicolas François Mollien : "Les
demi-mesures font toujours perdre du temps et de l'argent. Le seul moyen
de sortir d'embarras est de faire procéder sur le champ au dénombrement
général des terres, dans toutes les communes de l'Empire, avec arpentage
et évaluation de chaque parcelle de propriété. Un bon cadastre parcellaire
sera le complément de mon code (civil), en ce qui concerne la possession
du sol. Il faut que les plans soient assez exacts et assez développés
pour servir à fixer les limites de propriété et empêcher les procès."
L'intention de l'empereur n'était pas seulement basée sur l'allègement
procédural mais aussi sur la facilité fiscale. A chaque surface correspondra
un impôt foncier indiscutable. Le cadastre napoléonien fut ainsi institué
en France par la loi du 15 septembre 1807. S'ensuivit une lente application
: la représentation de millions de parcelles correspondit à une savante
entreprise avec toute une hiérarchie de géomètres sur le terrain dont
le recrutement était fastidieux. Il fallut une quarantaine d'années pour
parvenir à y voir clair avec quelques exceptions : la Corse, l'île de
Molène et de Sein (Finistère), sans cadastre... Les géomètres devaient
jouer les conciliateurs pour établir les limites de propriétés en souffrance,
tâche ardue et périlleuse dans le monde agricole.
Si le cadastre avait bien des avantages afin de préserver les droits des
propriétaires et un gain d'efficacité certain pour collecter l'impôt,
en ce qui concerne la presqu'île de Crozon, il eut un effet de perte qualitative
dans l'appréciation des terres. En effet, chaque terrain avait un nom
en breton, le possédant n'était pas propriétaire d'une terre numérotée
mais nommée. On était donc propriétaire de "Parc an otrou",
"Goarem vuillan", "Neiz ar vran", "Iz an hent",
"Bal vars", "Carg a mi"...
Chaque nomination comportait un renseignement précieux. Les "Mez"
indiquaient une terre ayant une difficulté d'accès ou de travail. "Mez
ero" valait donc bien moins que "Parc ar run" à surface
égale car les parcelles nommées Parc ou Park étaient de qualité. Il y
avait aussi les appellations descriptives. Une terre nommée "Goarem..."
désignait une garenne. Une terre nommée "Feunten..." mentionnait
une fontaine ou une source... Le propriétaire avait une sorte de certificat
d'authenticité en sa possession et l'acheteur était informé de la nature
et, de manière induite, du prix des terrains envisagés. L'ancien cadastre,
ou cadastre napoléonien, va balayer cette institution au profit de numérotations
indifférenciées qui évitera inversement les redondances puisque plusieurs
parcelles pouvaient avoir un nom identique. Inversement, la mise à jour
du cadastre napoléonien s'avérera "insurmontable" ou presque.
Le livre terrier avec ses toponymes avait une valeur historique. Les dénominations
offraient des indices sur les aménagements du territoire du passé. Un
ancien manoir disparu, un lieu de culte détruit que la toponymie perpétuait
indéfiniment.